Géosciences11.02.2019

Nouvelle estimation du volume de glace mondial


Une équipe internationale comprenant des chercheurs de l’Université de Fribourg a produit une nouvelle estimation du volume de glace de l’ensemble des glaciers sur Terre, à l’exception de la calotte glaciaire du Groenland et de l’Antarctique. Sa conclusion: les réserves de glace des hautes montagnes asiatiques ont été surestimées.

Le réchauffement climatique rogne les glaciers partout dans le monde. A mesure que la glace fond, les réserves d’eau douce partent littéralement à vau-l’eau. Or, sans eau de fonte, de nombreux cours d’eau auraient un bien moindre débit, en particulier ceux qui traversent des régions arides, comme les Andes ou l’Asie centrale, où ils sont notamment indispensables à l’agriculture. Pour anticiper l’évolution des glaciers et des réserves d’eau douce qui en dépendent, mais aussi du niveau des mers, les chercheurs ont besoin de données récentes sur le volume de glace mondial actuel.

Estimation de l’épaisseur de 215’000 glaciers
Sous la direction de l’EPF Zurich et de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL), une équipe internationale de glaciologues a combiné plusieurs modèles pour fournir une nouvelle estimation de la répartition de l’épaisseur des glaces, et donc du volume de glace, de quelque 215’000 glaciers à travers le monde. En dehors de la banquise, de la calotte glaciaire groenlandaise qui lui est rattachée et de l’Antarctique, les chercheurs ont intégré à leurs calculs tous les glaciers indépendants de ces inlandsis.

«Cette étude est exceptionnelle parce que, pour la première fois, des groupes de recherche de plusieurs universités ont déterminé l’épaisseur de tous les glaciers du monde par différents modèles de calcul», déclare Matthias Huss du Département de Géosciences de l’Université de Fribourg. «Cela nous permet de parvenir à un consensus et de mieux quantifier les marges d’erreur.» Parmi les modèles de calcul de l’épaisseur de glace utilisés, deux émanent de chercheurs de l’Université de Fribourg. Et comme ils ont produit des résultats pour la plupart des régions, on peut dire qu’ils ont largement contribué aux résultats de cette étude.

Une nouvelle estimation en retrait d’environ 18 %
D’après l’étude, le volume total de glace de tous ces glaciers s’élève actuellement à environ 158’000 kilomètres cubes (km3). Il y a encore quelques années, on avançait un chiffre environ 18 % supérieur. Les plus grosses masses glaciaires se situent en Arctique et représentent environ 75’000 km3, soit près de la moitié du volume mondial total des glaciers. Ces glaciers se trouvent sur les terres arctiques canadiennes et russes (île de Baffin et Novaïa Zemlia), sur le pourtour du Groenland et au Svalbard.

Les glaciers disparaissent plus vite qu’on le pensait
Avec l’Alaska, les reliefs de haute Asie – qui comprennent bien sûr l’Himalaya et le plateau tibétain, mais aussi les montages d’Asie centrale – recèlent les plus importantes réserves de glace après l’Arctique: 7000 km3. L’étude révèle que ce volume était jusqu’à présent surestimé et aboutit à un chiffre inférieur de 25 % aux estimations précédentes.

«Cette nouvelle estimation nous amène à considérer que les hauts reliefs asiatiques pourraient perdre leurs glaciers plus vite que prévu», explique Daniel Farinotti, professeur de glaciologie au Laboratoire de recherches hydrauliques, hydrologiques et glaciologiques de l’EPFZ et au WSL.

Les scientifiques pensaient jusque-là que la surface glaciaire dans cette région diminuerait de moitié d’ici les années 2070, mais cela pourrait bien advenir dès les années 2060, ce qui aurait de graves conséquences sur l’approvisionnement en eau. Les glaciers de haute Asie alimentent en effet de grands fleuves comme l’Indus, le Tarim et les affluents de la mer d’Aral. Des centaines de millions de personnes en dépendent.

Réduction de débit jusqu’à 25 %
Vers les années 2090, les chercheurs anticipent des réductions de débit des fleuves alimentés par les glaciers pendant la saison estivale jusqu’à 24 % par rapport au débit actuel, en fonction du modèle appliqué. «C’est une baisse inquiétante. Il faudrait mesurer plus précisément les volumes de glace par région pour se faire une idée plus juste de l’ampleur du phénomène», indique M. Farinotti. Pour le moment, les mesures d’épaisseur de la glace qui peuvent servir pour calibrer les modèles sont encore très rares dans la région.

Les chercheurs ont aussi déduit de leurs calculs que les glaciers, ou plutôt leurs eaux de fonte, pourraient faire grimper le niveau des mers de 30 centimètres au maximum s’ils fondent entièrement. De 1990 à 2010, le niveau des mers a déjà augmenté d’environ 1,5 centimètre en raison de la fonte des glaciers.

Pour leurs calculs, les chercheurs ont combiné jusqu’à cinq modèles informatiques indépendants. Diverses sources d’information, comme les contours des glaciers qui ont pu être déduits d’images satellites et les modèles altimétriques numériques de leur surface, ont été associées à des données sur leur comportement d’écoulement. «Nous pouvons ainsi déduire la répartition géographique de l’épaisseur des glaces», explique le professeur de l’EPF. Des mesures d’épaisseur de la glace effectuées sur les glaciers ont par ailleurs servi à calibrer les modèles. Comme l’indique M. Farinotti, ces mesures ne sont toutefois disponibles que pour un millier de glaciers dans le monde pour le moment.

Pour la présente étude, les chercheurs de l’EPF et du WSL ont collaboré avec des scientifiques des universités de Zurich, Fribourg, Erlangen-Nürnberg et Innsbruck, mais aussi de l’école polytechnique indienne de Bombay (Indian Institute of Technology Bombay).