Lors de conflits armés, on entend haut et fort les voix politiques et on parle beaucoup des réfugié·e·s, mais qui écoute celles et ceux qui restent? Une exposition, visible du 20 mai au 3 juin dans nos bâtiments du Boulevard de Pérolles 90, donne à lire et à comprendre le quotidien des Ukrainien·ne·s au cœur de la guerre. Nataliya Borys, doctorante au Global Studies Institute de l’Unige, propose cette exposition en collaboration avec le Département d’histoire contemporaine de l’Unifr. Elle nous explique cette démarche.
Nataliya Borys, en quelques mots: quelle est la thématique de cette exposition?
L’exposition nous entraine à la découverte de témoignages de guerre au travers de lettres écrites principalement par des Ukrainiennes. Elles ont pour sujet la guerre, leurs sentiments, leurs espoirs et leurs secrets. Au début du conflit, nombre de ces personnes ont senti la nécessité d’écrire pour comprendre la guerre et exprimer leurs émotions: elles ont alors commencé à tenir un journal, à écrire sur les réseaux sociaux et à leurs ami·e·s pour partager leur effroi et leurs attentes. J’ai moi-même été submergée par les lettres de mes amis. Ces lettres sont touchantes: parfois tristes, parfois joyeuses. C’est ainsi qu’est né ce projet: donner l’opportunité aux Ukrainien·ne·s d’exprimer leurs préoccupations.
Qu’avez-vous voulu montrer?
La plupart des articles et conférences sur l’Ukraine se concentrent sur les réfugié·e·s et les dirigeant·e·s politiques. Un président a dit ceci, un autre cela. Ce que pense Poutine, ce que dit Zelensky. L’idée de cette exposition est de déplacer le focus du discours politique vers les Ukrainien·ne·s ordinaires, pour montrer ce qu’elles et ils ressentent à propos de la guerre. Celle-ci est survenue de façon brutale, personne n’était prêt·e psychologiquement. Soudaine et «absurde», comme la définissent les auteur·e·s de ces lettres, elle a été perçue comme injuste et irrationnelle. Nous avons voulu faire passer ces émotions et réflexions, telles qu’elles sont, sans filtre et sans tri.
Concernant la publication de certaines lettres au contenu plus délicat, j’ai demandé conseil à l’un de mes co-organisateurs. Celui-ci m’a répondu de manière très juste: «Même si je ne suis pas d’accord avec certain·e·s auteur·e·s, nous ne sommes pas là pour faire du politiquement correct. Nous sommes en Suisse ici, en sécurité. Je pense nous n’avons pas le droit de faire le tri. Les Ukrainien·ne·s ressentent la guerre comme ça, on peut les comprendre et nous devons leur donner cette opportunité de s’exprimer. On pourra analyser ces lettres plus tard. Là, immédiatement, la meilleure chose à faire est de publier les lettres de gens qui sont là-bas.»
Comment ces lettres sont-elles été rassemblées?
La sélection des lettres n’était pas une tâche aisée tant elles étaient nombreuses, touchantes, pleines d’espérance et d’accablement. On a parfois pleuré en les lisant. Certaines restaient optimistes, malgré les tristes nouvelles. De toute évidence, les femmes écrivaient des lettres beaucoup plus touchantes et sincères, tandis que les hommes restaient et restent silencieux. On se pose la question: pourquoi les hommes n’écrivent pas de lettres? N’ont-ils pas le temps? Ont-ils du mal à s’exprimer? Au final, nous avons décidé de ne pas faire de sélection, même si certaines lettres étaient «politiquement incorrectes». Donc, nous les avons publiées telles qu’elles sont, non censurées.
Qui a participé au projet?
J’en suis à l’origine. L’exposition a été montée à l’Université de Genève, puis grâce au soutien de Département d’histoire de l’Université de Fribourg, notamment à Claude Hauser, professeur d’histoire contemporaine, qui croyait à ce projet. De surcroît, Antonina Skidanova, historienne ukrainienne, a aussi été accueillie à l’Unifr en tant que la boursière Scholar at Risk, le programme qui permet aux chercheuses et chercheurs de continuer leur recherche, interrompue par la guerre. Antonina a aussi écrit une lettre, grâce à laquelle est d’ailleurs née l’idée de la faire venir en Suisse. En concertation avec le Professeur Jean-François Fayet, j’ai déposé un dossier qui a été accepté. Il n’était pas évident pour Antonina de venir en Suisse: sous les bombes, fuyant sa ville d’origine Kharkiv et prise de panique, elle a laissé ses papiers d’identité dans son appartement. «Comment va-t-on faire?» s’est-t-elle demandé. Courageuse, elle est retournée en ville, profitant d’une accalmie entre deux bombardements, et a récupéré ses papiers, y compris son passeport. Elle est arrivée sonnée à Fribourg.
- L’exposition «Lettres d’Ukraine» est en accès libre également pour le grand public, du 20 mai au 3 juin 2022 au rez-de-chaussée du Boulevard de Pérolles 90 (PER 21).
- Rencontre et échange autour de l’exposition, jeudi 2 juin de 12h00 à 17h00
- Département d’histoire de l’Unifr
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