Gastromancie ou l’art de la divination culinaire

Gastromancie ou l’art de la divination culinaire

Vous les avez peut-être aperçus sur le campus de Pérolles. Dans leur carriole, deux comédiens de la compagnie Cécile D. ont questionné les étudiant·e·s de passage sur leurs habitudes alimentaires. Forts du soutien de deux sociologues de l’Université, Camille Piller et Daniel Jeanloz ont mis au point une nouvelle technique d’entretien, tout en douceur, la gastromancie.

Comme pour échapper aux premiers rayons qui frappent le campus de Pérolles, une étudiante, intriguée, pénètre dans une remorque ressemblant à s’y méprendre à un food truck miniature. Coincé derrière une petite table, Daniel Jeanloz, comédien de la Compagnie Cécile D, l’y accueille chaleureusement avant de lui tirer des cartes. Avec sa collègue Camille Piller, il a concocté un nouvel art divinatoire: la gastromancie. «C’est une mise en scène qui nous permet de cuisiner à feu doux les participant·e·s afin de découvrir leurs habitudes alimentaires», explique avec malice Daniel Jeanloz.

Slow soul food
L’entretien débute à l’extérieur de la carriole par une conversation conviviale arrosée de sirop. Les participant·e·s sont ensuite convié·e·s à remplir un «gastrogramme» où figurent plusieurs questions, dont «quel plat vous met en joie? quel met vous révolte?». Les réponses servent de base à la séance de gastromancie qui, elle, se déroule à l’intérieur de la carriole. Daniel Jeanloz, qui incarne un voyant, révèle à la personne qui le consulte ce que son destin lui mijote. Ce protocole particulier permet de facilement faire ressortir des histoires, des anecdotes autour de l’alimentation. Les deux comédiens, véritables maïeuticiens de l’âme, comptent en extraire la substantifique moëlle qui servira de base à leur prochain spectacle.

Théâtre et sociologie
Au bénéfice d’une bourse du Service de la Culture de Fribourg, Camille Piller et Daniel Jeanloz ne se trouvent pas à Pérolles par hasard. Ils ont choisi l’Université de Fribourg comme lieu de résidence artistique. Souhaitant explorer la problématique de l’alimentation, ils ont contacté Murielle Surdez et Lucien Delley du Département de sociologie. «C’est allé au-delà de nos espérances, rigole Camille Piller, nous avons été littéralement submergés d’informations. Tout le monde doit s’alimenter, c’est donc un sujet tentaculaire, économique, ethnologique, etc. Il existe même des «food studies»!

Cette rencontre entre théâtre et sociologie avait aussi pour but de mettre au point des méthodes d’entretien novatrices, d’affiner leur « extralucidité », en somme. Et c’est ainsi qu’ils ont eu l’idée de mettre sur pied des séances de gastromancie, durant lesquelles ils apprêtent les participant·e·s avec mille précautions, la cuisson lente étant  la signature culinaire de la Compagnie Cécile D. «Un questionnaire à la mode des sociologues manque de convivialité et une interview d’humanité, relève Camille Piller, notre protocole, grâce à sa théâtralité, permet de se mettre à table en douceur.» Cette approche originale a particulièrement séduit Lucien Delley, sociologue à l’Université de Fribourg. Loin de trouver incongrue la rencontre entre son monde et celui du théâtre, il y voit la possibilité de «reconfigurer les modalités d’enquête ethnographique et considère le théâtre comme une médiation entre la science et les publics qu’elles cherchent à interroger.»

Plus méticuleux qu’un chef étoilé, les deux comédiens ont encore fait appel aux conseils de Charlotte Curchod, recueilleuse de récits de vie. «Je leur ai expliqué comment faire pour que la rencontre se passe au mieux, mais je dois dire que l’espace d’accueil qu’ils ont créé, la carriole en particulier, créer une intimité et permet, très vite, à la parole de se développer.»

On ne joue pas avec la nourriture
Derrière l’aspect théâtral et comique de la mise en scène, les deux comédiens ont très vite remarqué que la nourriture, et plus particulièrement notre rapport à la nourriture, provoque des émotions qui sont loin d’être anodines. «Lors de mon premier entretien, une personne s’est confiée sur ses problèmes d’anorexie, se remémore Daniel Jeanloz. J’ai tout de suite pris conscience de ma responsabilité et décidé qu’il ne fallait pas pousser le jeu trop loin.»

Mais le contexte s’est véritablement avéré propice à la confidence. Testé sur une trentaine de personnes, les séances de gastromancie se sont avérées extrêmement prolifiques! «Souvent, on nous raconte des histoires autour d’un plat ou un repas de famille qui évoque avec nostalgie le passé, le temps où tout le monde était réuni, raconte Daniel Jeanloz, mais on aborde aussi très vite des thématiques touchantes, sans rapport direct avec la nourriture.» Le comédien se souvient de cet étudiant qui se demandait quand enfin il serait heureux, de cette autre étudiante qui lui demandait, à lui le mage, comment elle doit se comporter avec une personne qui ne l’aime pas. «Les gens se mettent très vite à table, constate Daniel Jeanloz, ce qui me rappelle d’ailleurs que je dois vraiment mettre au point un costume pour rappeler aux participant·e·s que ce n’est que du théâtre!»

De la nourriture pour un prochain spectacle
La Compagnie Cécile D compte bien utiliser tout le matériel récolté au cours de cette résidence artistique à l’Université de Fribourg pour créer un spectacle itinérant, sa spécialité. «Cela pourrait prendre la forme d’un spectacle de rue agrémenté d’un repas canadien, imagine Camille Piller, et, grâce aux anecdotes glanées durant cette phase préliminaire, les spectateurs et spectatrices pourront s’y reconnaître. La succession des services n’est pas encore connue, mais une chose semble certaine: cela sera de la cuisine concoctée avec amour par deux toques du cru avec des anecdotes savoureuses issues du terroir fribourgeois.

_________

Author

The long and winding road! Après un détour par l'archéologie, l'alpage, l'enseignement du français et le journalisme, Christian travaille depuis l'été 2015 dans notre belle Université. Son plaisir de rédacteur en ligne? Rencontrer, discuter, comprendre, vulgariser et par-ta-ger!

Schreibe einen Kommentar

Deine E-Mail-Adresse wird nicht veröffentlicht. Erforderliche Felder sind mit * markiert