Dans l’ère du temps
Frustrated, girl and night in home with phone notification and bored online with social media or chat. Reading, news and woman scroll smartphone with insomnia, stress and late search on internet

Dans l’ère du temps

Dans nos sociétés du «tout numérique», notre rapport au temps évolue au gré des avancées technologiques. Pour échanger sur le rapport entre temps et numérisation et ses impacts sur notre qualité de vie, un symposium interdisciplinaire s’est tenu à l’Université de Fribourg.

«Le temps, c’est de l’argent», écrivait Benjamin Franklin en 1748. Mais le temps est bien plus que cela. S’il a toujours été une valeur limitée car non extensible, aujourd’hui il est devenu une denrée rare. Gagner du temps est une gageure, ne pas en perdre une obligation. De la rationalisation du travail survenue durant la Révolution industrielle à la possibilité d’être connecté·e·s 24h/24, notre rapport au temps a considérablement changé aussi bien dans nos vies professionnelles que privées. Avec pour conséquence un sentiment d’accélération continue, comme si les jours, les mois et les années passaient de plus en plus vite. L’utilisation de technologies numériques a encore accentué le phénomène, car en nous permettant d’être stimulé·e·s facilement, à tout moment et n’importe où, nous sommes constamment sollicité·e·s. Mais quels sont les impacts de ces changements sur notre qualité de vie? Pour y répondre, des expert·e·s de six pays européens, dont la Suisse, analysent en quoi la perception, l’utilisation et l’allocation du temps sont influencées par le niveau de numérisation et les normes culturelles.

Expériences temporelles étudiées
Réuni·e·s au sein d’un vaste projet baptisé TIMED, ces chercheur·euse·s décortiquent le rapport entre temps et numérisation. «Le projet européen consacré à l’expérience du temps à travers l’Europe à l’ère digitale réunit des sociologues, des philosophes, des ingénieurs, des psychologues et des spécialistes des médias. L’intérêt de ce symposium organisé à l’Université de Fribourg est de les réunir, ainsi que des personnes externes avec lesquelles nous pouvons échanger, réfléchir aussi à l’impact de nos résultats de recherches.», explique Chantal Martin Sölch, Vice-rectrice et professeure de psychologie clinique et de la santé à l’Université de Fribourg. Cette journée d’échanges interdisciplinaires favorise aussi le réseautage, le dialogue et les collaborations. De quoi mettre en valeur l’état des recherches sur des thématiques aussi variées que de comprendre comment les jeunes négocient le temps d’accès aux médias sociaux et à la socialisation ou le harcèlement numérique et les activités des jeunes en ligne, sans oublier aussi d’échanger sur les perceptions que nous pouvons avoir du temps qui passe. «Nous avons mené des études qualitatives par le biais d’entretiens avec différentes personnes dans tous les pays d’Europe associés au projet. Il en ressort que l’utilisation des technologies digitales nous vole du temps, les gens ont l’impression de perdre leur temps, de ne plus avoir la mesure du temps lorsqu’ils et elles sont sur les médias sociaux. Mais d’un autre côté, on constate que les personnes plus jeunes ont développé leurs propres stratégies pour diminuer le temps qui leur est volé sur les réseaux sociaux. Il y a donc une sorte d’apprentissage, d’adaptation qui se met en place.», précise Chantal Martin Sölch. La réflexion porte aussi sur la pression du temps qu’opère la digitalisation. «Nous recevons plus de messages, nous sommes constamment sollicité·e·s par tous les canaux et cela crée une plus grande charge mentale. Mais de l’autre côté, il y a le lien à la productivité. Lorsqu’on a le sentiment d’avoir été productif·ve, d’avoir gardé le contrôle, cela engendre un sentiment de satisfaction et de bien-être».

Se réapproprier le temps
L’étude menée par TIMED démontre que les personnes sondées ont le sentiment que les médias sociaux tuent leur temps. Or, Chantal Martin Sölch est convaincue «qu’il faut apprendre ou réapprendre à gérer son temps entre productivité au travail, temps de loisirs et pourquoi pas, perdre son temps. Il ressort aussi de nos recherches qu’il est difficile pour les gens d’avoir l’impression de ne rien faire de son temps. Cela engendre beaucoup de culpabilité. Ce qui est aussi le cas lorsque des personnes ont l’impression de perdre du temps parce qu’elles ont passé un moment plus ou moins long à regarder des vidéos sur les réseaux sociaux.» Se réapproprier son temps est donc nécessaire, quitte à se priver momentanément du numérique.

L’affect positif du Sudoku
Les chercheur·euse·s de TIMED ont analysé l’impact que peut avoir une privation numérique de sept minutes et demie sur l’état psychophysiologique et la perception du temps. Pour ce faire, 90 participant·e·s, réparti·e·s en trois groupes, devaient soit utiliser librement leur smartphone, soit effectuer un sudoku, soit attendre (privation numérique passive). Activité électrodermale, rythme cardiaque, état affectif des sujets ont été recueillis. Il ressort de cette expérience que les participant·e·s n’exerçant aucune activité s’ennuyaient plus que les sujets «actifs» et avaient le sentiment que le temps passait plus lentement. «Le Sudoku a induit plus d’affect positif et était plus engageant sur le plan cognitif que l’utilisation gratuite d’un smartphone en ce qui concerne les mesures de la variabilité de la fréquence cardiaque. Les résultats suggèrent que l’exécution d’une tâche numérique (utilisation gratuite d’un smartphone) est moins exigeante sur le plan cognitif qu’une tâche non numérique (sudoku) et qu’elle modifie la perception du temps de la même manière.», révèle, entre autres, l’étude qui devrait être répliquée sur le terrain avec des périodes de privation numérique plus longues afin de confirmer ces résultats.

__________

 

Letzte Artikel von Pierre Jenny (Alle anzeigen)

Author

Pierre Jenny est journaliste RP depuis une quinzaine d’années. D’abord en presse écrite, il a ensuite travaillé pour la Radio suisse romande et la RTS-TV. Titulaire d’une licence en Lettres obtenue à l’Université de Fribourg, il est aujourd’hui journaliste RP free-lance et communicant indépendant.

Schreibe einen Kommentar

Deine E-Mail-Adresse wird nicht veröffentlicht. Erforderliche Felder sind mit * markiert