A l’instar d’une randonnée à vélo, plus un parcours de vie est sinueux, plus il est intéressant. C’est peu dire que, de sa Bavière natale à la ville de Fribourg, Harald Kust a su emprunter les chemins de traverse, lui qui est docteur en sciences de la communication de l’Université de Fribourg et… mécanicien sur vélo.
Tout passe, tout lasse, tout casse! Les vélos, les amours, mais certainement pas les vraies passions. Celle d’Harald Kust pour la petite reine remonte à au moins quatre décennies et elle semble inoxydable, garantie à vie. Dans les années quatre-vingt, alors qu’il était plutôt orienté moto et grosse cylindrée, il rencontre par hasard une personne qui l’initie à la mécanique sur cycles. Il découvre alors une certaine idée de l’indépendance: «Tu n’as besoin que de ce truc pour faire 200 kilomètres, pas de moteur, pas d’essence. C’est incroyable!», s’exclame-t-il en pointant du doigt un vélo de course qu’il est en train de réparer. Dans sa Bavière natale, il commence ainsi à apprendre les ficelles du métier.
Un passé de mitron
Jusque-là, Harald Kust avait les mains plus souillées par la farine que par le cambouis. En effet, au sortir de l’école, et pour respecter les souhaits de sa mère, il avait embrassé la carrière de boulanger-pâtissier. «Avec ce métier, elle m’avait dit que je n’aurais jamais faim. Elle appartenait à cette génération qui a connu la Seconde Guerre Mondiale, qui n’avait pas eu assez à manger. C’était une autre époque.» Et quand il lui annonce sa résolution de quitter cet emploi si stratégique, sa mère ne s’en offusque pas. Comme au sortir d’un virage sur un col alpin, un nouvel horizon se dévoile aux yeux du jeune Harald. Il a alors 23 ans.
Une nouvelle trajectoire
Pendant une bonne dizaine d’années, Harald Kunst bichonne des bicyclettes dans des ateliers de réparation. Il le sait, il a trouvé sa profession de rêve. Mais la vie est une vraie excursion à vélo. Pour être heureux, il faut que le paysage évolue de loin en loin. Wolfgang, l’un de ses meilleurs amis, un philosophe, lui ouvre les portes du monde intellectuel et éveille en lui l’envie d’explorer d’autres chemins, en particulier ceux qui mènent à l’université. Il quitte l’univers des pignons, des freins et des pneumatiques pour celui plus éthéré des concepts et notions. Il suit une formation spéciale en Bavière qui permet aux personnes titulaires d’un diplôme, en l’occurrence de boulanger-pâtissier, de faire un baccalauréat. Débute alors une longue échappée solitaire de trois ans, nez dans le guidon, avec un bac à la clé. «Je travaillais comme chauffeur de taxi le weekend pour payer mes études. C’était dur!», reconnaît Harald Kust, bachelier de 35 ans.
Arrivée à Fribourg et retour aux premières amours
Ni épuisé ni repu, il enchaîne avec des études à l’Université Ludwig-Maximilian de Munich en littérature, domaine qui l’intéressait depuis toujours, en philosophie et littérature du Moyen Age ainsi qu’en sciences de la communication. Arrivé au terme de son parcours académique, il met sa roue dans celle de son amie de l’époque qui le mène par-delà la frontière suisse, sur les bords de la Sarine. «Elle avait trouvé un travail à Fribourg et, par la suite, j’ai été engagé comme doctorant chez un professeur de sciences de la communication de l’Université de Fribourg». Profil atypique, Harald Kust, qui frise la cinquantaine et continue de travailler en parallèle comme mécanicien sur vélo à Schwarzenburg, y détonne. Le Bavarois doit cependant se l’avouer: à cet âge, il était plus difficile de se couler dans le moule académique. Doctorat en poche, il saisit la première occasion pour retourner à ses amours de jeunesse. «Un jour, Werner, le frère de mon ami philosophe, me demande si je suis d’accord de devenir chef d’atelier dans son magasin de Tübingen. Ni une ni deux, j’ai dit oui et j’ai quitté la vie scientifique pour la vie mécanique!»
Le vélo, une question d’équilibre
Ce qu’Harald Kust ignorait encore, c’est que son destin était désormais arrimé à la cité des Zaehringen. Il y revient en 2019 où il devient son propre chef dans son propre «service de vélos» comme il l’appelle. A plus de 60 ans, Harald Kust pédale dans le bonheur, bien conscient d’être retourné sur la voie qui est la sienne. De son passage à l’Université de Fribourg, il retire une certaine flexibilité d’esprit. «Si tu es scientifique, tu dois toujours rester ouvert aux nouvelles idées». C’est d’ailleurs avec cette attitude en tête qu’Harald Kust entrevoit la ligne d’arrivée de sa course professionnelle. Né en 1962, la retraite est en ligne de mire. «Mais boulanger, chauffeur de taxi et mécanicien ne sont pas des métiers qui m’ont permis de mettre de l’argent de côté», explique-t-il sereinement. Il n’exclut ainsi pas de travailler jusqu’à 68 ans. «Ça me plaît! J’ai des client·e·s sympas. Pour moi, c’est le paradis. Et j’adore Fribourg!», conclut-il sans se faire de mouron.
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