Un Registre national en ligne, le Brain Health Registry (BHR), a été créé par les Centres de la mémoire de plusieurs hôpitaux suisses dans le but de faire progresser la recherche sur les maladies neurodégénératives, en particulier la maladie d’Alzheimer. Neurologue spécialisé en troubles du langage et en maladies dégénératives à l’hôpital fribourgeois, ainsi que professeur en neurologie à la Faculté des sciences et de médecine de l’Unifr, Jean-Marie Annoni a participé à sa mise en œuvre.
Fermez les yeux. Comptez jusqu’à 3. Un personne dans le monde vient de basculer dans la démence. Celle qui fait le plus de ravages et qui touche plus de 50 millions de personnes dans le monde et 90’000 Helvètes par an, c’est la maladie d’Alzheimer. 120 ans après sa découverte, ce mal reste incurable. Loin d’être alarmiste, le Docteur Jean-Marie Annoni préfère tempérer: «Deux mille ans plus tard, la citation ‹Un esprit sain dans un corps sain› est toujours vraie, c’est-à-dire que si l’on fait attention à son corps, on protège aussi son cerveau. L’exercice physique, le contact social, l’intérêt pour la vie en général; toutes ces petites choses du quotidien permettent de retarder l’atteinte. La maladie peut être là au niveau génétique, mais le cerveau se défend mieux s’il est soutenu par notre manière d’être et notre environnement.»Le Docteur Annoni a choisi progressivement de se spécialiser en troubles du langage et en maladies dégénératives, car il considérait que la recherche dans les dysfonctionnements de la mémoire, bien qu’en pleine ébullition dans les années 1980, était relativement minimisée. Après un stage de recherche en neurosciences à Zürich, il se rapproche de cette branche en s’intéressant au système vestibulaire, puis à la neurologie en clinique. Un autre stage postdoctoral en réhabilitation et en troubles de la mémoire au Canada le spécialisera en maladies neurodégénératives. Au sein de ses nombreuses recherches, il s’intéresse particulièrement aux troubles du langage. Etant lui-même bilingue, il se dit fasciné par la proximité des langues. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle il s’installe à Fribourg.
L’âge, ce principal facteur de risque
Jean-Marie Annoni n’aime pas le terme de démence, à forte consonance sociale. Il lui préfère l’énoncé de trouble cognitif et assure que la maladie peut être retardée dans 40% des cas grâce à des exercices relativement simples et généraux, même si elle ne peut être évitée.
Que répond-il aux chiffres qui annoncent que le nombre de cas d’Alzheimer pourrait doubler, voire tripler d’ici 2050? «Une étude très intéressante a été faite il y a dizaine d’années. On s’est aperçu qu’à un certain âge précis, la prévalence de ces maladies neurodégénératives a légèrement diminué entre 1990 et 2010, alors que le nombre de cas de personnes atteintes augmentait. C’est bien la preuve que la maladie ne s’installe pas plus rapidement, mais que le nombre de cas s’intensifie parce que les gens deviennent plus vieux.»
Et qu’en est-il des femmes? Seraient-elles effectivement plus touchées que les hommes? «Oui, nous répond-il. Mais probablement parce que les hommes meurent avant. Actuellement, on a pas l’impression que le fait d’être une femme est un facteur de risque. Il y a effectivement des influences génétiques, mais la cause principale de cette maladie, c’est l’âge, et comme les femmes vieillissent plus, elles sont logiquement davantage à être malades.»
Les chiffres le confirme: A 60 ans, 1% de la population est touché par une forme de démence, 25% à 85 ans. Et l’âge moyen du développement de la maladie alors? «Après 70 ans. Il y a des formes plus précoces qui arrivent vers 50 ans. C’est dramatique, mais la maladie est, dans ces cas-ci, un peu particulière. Il y a toujours une composante génétique et une composante environnementale. Probablement que, dans une forme très précoce de la maladie, la composante de l’environnement est moins présente. On parlera donc de facteurs génétiques.»
La recherche vers de potentiels traitements
Des progrès dans la compréhension du mécanisme de la perte de la mémoire, il y en a eu, et beaucoup depuis les années 1980. Des traitements ont été développés et depuis peu, l’Aducanumab, ce médicament novateur qui suscite la controverse montre une efficacité «à la limite du suffisant, nous dit le Docteur Annoni. C’est un médicament qui fait beaucoup parler de lui, car il ralentit la perte de mémoire. On ne guérit pas, mais on s’approche de la possibilité de traitement. Un autre progrès désormais pris en considération, ajoute le neurologue, c’est la recherche non pharmacologique; c’est-à-dire, l’intérêt du mode de vie et de l’environnement de la patiente ou du patient pour avoir un cerveau qui résiste mieux aux maladies. Au niveau biomédical, les études se concentrent actuellement sur 2 mécanismes qui jouent un rôle important dans la maladie d’Alzheimer: l’accumulation de la protéine bêta-amyloïde et celle de la protéine Tau. En quelque sorte, la première asphyxie les informations internes, tandis que la deuxième va détériorer les cellules. Ces recherches convergent sur certains procédés possibles, tels que la création de vaccins et des traitements pour renforcer les cellules.»
Le Brain Health Registry: l’espoir d’un diagnostic précoce
Il a été récemment découvert que la pathologie d’Alzheimer débuterait environ 15 ans avant l’apparition de premiers symptômes cliniques, comme la perte de mémoire. Les interventions sur les personnes symptomatiques ayant échoué, les études actuelles se concentrent ainsi sur la phase présymptomatique, dans une démarche préventive.
La phase de recrutement de participant·e·s est l’un des obstacles majeurs dans le processus de recherche, tant sur le temps consacré que sur les coûts générés. C’est dans l’optique de faciliter l’accès aux essais cliniques et aux études que le Brain Health Registry a été créé.
Le Centre de la mémoire des HUG, en partenariat avec les Centres de la mémoire de Bâle, Berne, Fribourg, Lausanne, Lugano, Saint-Gall et Zurich, a participé à la création du registre, une plateforme en ligne dans laquelle les volontaires qui s’y inscrivent – avec ou sans problèmes de mémoire – deviennent de potentiel·le·s partenaires de recherche. Inspiré de registre du même type existant déjà aux Etats-Unis ou aux Pays-Bas, le Docteur Annoni est convaincu que d’autres hôpitaux suisses s’y joindront progressivement et que son développement continuera de s’accroître. «C’est essentiel pour un petit pays comme la Suisse de s’intégrer aux liaisons plus grandes, de créer une synergie avec les réseaux européens et mondiaux. Ce registre permet aussi d’informer les gens sur nos recherches et sur les avancées dans le domaine.» Le neurologue y a contribué en tant que médecin répondant dans la consultation de mémoire dans le Canton de Fribourg, qui implique les Hôpitaux fribourgeois et le Réseau fribourgeois de santé mentale (RFSM). Très engagé à la fois comme médecin et comme chercheur, il est le porte-parole de plusieurs personnes concernées aux études en cours au sein de l’Unifr.
Sur les questions de la divulgation des données personnelles, Jean-marie Annoni tient fortement à apaiser les craintes des volontaires. «Elles sont non seulement extrêmement protégées, mais aussi peu personnelles. Chacun·e est libre d’émettre ce qu’elle ou il veut à son propre sujet.»
Un défi à relever
La prévention de certains facteurs de risques (cardiovasculaires, sédentarité, manque de stimulation) et les recherches actuelles dans le but de trouver un traitement curatif sont de grandes avancées dans la maladie d’Alzheimer.
Par la collaboration entre les partenaires de recherche et les scientifiques, le Brain Health Registry permettra sans nul doute une meilleure compréhension de la maladie, avec la perspective de voir émerger un traitement capable de guérir la maladie d’Alzheimer.
Si, comme il est prévu, la population âgée de 65 ans ou plus dénombrera 2,7 millions de personnes en Suisse en 2050, soit un accroissement d’environ 70%, les possibilités de traitements de la maladie constituent un défi majeur et impératif.
En énonçant ce futur incertain, Le Professeur Annoni évoque l’illustre citation de Jean d’Ormesson: «Vieillir, c’est la seule façon de ne pas mourir.» Mais, ajoutait lucidement l’écrivain et philosophe français: «Ce qu’il y aurait de pire, ce serait de ne pas mourir.»
Le Brain Health Registry Swiss est un registre national qui regroupe des personnes volontaires pour participer aux études liée à la recherche sur les maladies neurodégénératives, en particulier la maladie d’Alzheimer. Son objectif est de faciliter l’accès des chercheuses et chercheurs à une base de données de volontaires en fonction des critères de l’étude. Toutes personnes majeures peuvent s’y inscrire, mais les personnes de plus de 50 ans et qui ont eu dans leur famille des cas de la maladie d’Alzheimer sont particulièrement sollicitées. En s’inscrivant, les personnes volontaires deviennent de potentiel·le·s partenaires de recherche et peuvent accéder à des technologies de pointe, notamment par des approches thérapeutiques préventives et des techniques de diagnostics précoces.
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- Page du Brain Health Registry
- Page du Prof. Jean-Marie Annoni
- Découvrez aussi l’article qu‘universitas, notre magazine scientifique, a consacré à la Consultation Mémoire du hfr ou à l‘influence du bilinguisme sur la maladie d’Alzheimer. En septembre 2020, c’est Alma&Georges qui faisait un état de lieux de la maladie en Suisse.
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