En passant vos vacances d’été en Suisse, vous pensiez éviter de nager au milieu des microplastiques? Vous aviez tort! Dans notre pays aussi, la pollution plastique sévit. De jeunes chercheuses et chercheurs quantifient le problème en Haute-Engadine.
En 2019, plus de 380 millions de tonnes de plastique ont été produites à l’échelle mondiale, dont plus de 10 millions ont fini dans les océans. Au fil du temps, notamment sous l’influence du rayonnement UV, les bouteilles en PET, tasses à café en polystyrène et autres sachets en polyéthylène se segmentent en morceaux de plus en plus petits. Lorsque leur taille passe sous la barre des 5mm, on parle de microplastiques. Selon une étude publiée en 2018 par le WWF, près de 1,25 million de fragments de microplastiques par km2 flotteraient dans la Méditerranée. Autant dire que les vacances balnéaires en Italie, en Grèce ou en Espagne peuvent avoir un arrière-goût désagréable de plastique.
Cet été, crise pandémique oblige, de nombreux Suisses se rabattront – comme en 2020 – sur les destinations touristiques locales. Et remplaceront la baignade en mer par celle dans les lacs, rivières et torrents de notre pays. Mais échapperont-ils ainsi à la pollution plastique? Malheureusement pas. Alors que notre pays véhicule une image de paradis naturel aux eaux aussi limpides que pures, les – rares – études conduites en terre helvétique montrent qu’ici aussi, les microplastiques sont partout. On en trouve aussi bien dans les rivières et les lacs que dans la neige et les sols alluviaux. En 2020, l’Office fédéral de l’environnement a publié les résultats d’une recherche estimant à 14’000 tonnes la quantité annuelle de plastique atterrissant chaque année dans nos sols et nos eaux.
«La pollution liée aux microplastiques n’est donc pas uniquement un problème maritime, mais aussi terrestre, qui peut avoir des conséquences importantes sur l’agriculture, la nature et les cours d’eau, ainsi que sur la santé des hommes et des animaux», relève Roman Lehner, co-fondateur de l’organisation Sail & Explore, spécialisée dans les projets de sciences citoyennes en mer. Or, «les connaissances sur l’occurrence, la quantité et la nature des microplastiques dans l’espace subalpin et alpin helvétique, ainsi que sur leurs effets potentiels, sont actuellement très lacunaires», précise le docteur en biologie moléculaire. Ce dernier s’est justement intéressé, dans le cadre de ses recherches postdoctorales à l’Institut Adolphe Merkle (AMI) de l’Unifr, aux conséquences des micro- et nanoplastiques (à savoir les morceaux dont la taille est inférieure à 1 micromètre) sur la santé des êtres humains.
Méthodologie inédite
C’est après avoir visionné un reportage sur la pollution plastique dans le lac Majeur que la jeune Grisonne Anna Sidonia Marugg a voulu savoir ce qu’il en était exactement chez elle, en Haute-Engadine. En 2019, dans le cadre de son travail de maturité gymnasiale, elle a développé son propre chalut LADI (un filet à mailles serrées soutenu par une structure en bois et métal) et a effectué des mesures à huit endroits différents de la région. Sa conclusion? Du plastique partout, de 22 sortes différentes. Séduit par l’enthousiasme et la ténacité de la scientifique amateure, Roman Lehner a décidé de l’aider à poursuivre ses recherches de façon plus large et systématique. «En partenariat avec les Ecoles polytechniques fédérales de Lausanne et de Zurich, nous avons lancé en mai 2021 une étude à la fois qualitative et quantitative sur la présence de microplastiques dans les eaux de la Haute-Engadine.»
Concrètement, trois équipes de jeunes chercheuses et chercheurs – dont Anna Sidonia Marugg – font chaque semaine des prélèvements à onze endroits différents durant huit semaines. Pour ce faire, ils utilisent un chalut du type Manta. Les onze lieux ont été soigneusement sélectionnés, afin de garantir le maximum de diversité: source, proximité avec une route, lac ou encore passage d’un pont. Les fragments ainsi pêchés sont envoyés dans un laboratoire, où ils sont triés et analysés. «Nous cherchons à avoir le plus d’informations possibles sur ces microplastiques: leur quantité, bien sûr, mais aussi leur taille et leur type, selon l’endroit où ils ont été trouvés, précise Roman Lehner. Jusqu’à présent, les recherches conduites sur les microplastiques prenaient la forme de prélèvements uniques, à un moment donné», poursuit le chercheur. Ce qui fait la particularité et la nouveauté de cette étude, c’est justement «la répétition de l’opération aux mêmes endroits, sur une période plus longue».
Former la relève
Au-delà des résultats chiffrés, le projet chapeauté par Sail & Explore a aussi des visées pédagogiques. «Nous souhaitons faire profiter une jeune génération de chercheuses et de chercheurs de l’expérience engrangée lors de nos expéditions en mer, notamment dans le maniement du chalut et les processus d’analyse», souligne Roman Lehner. Il s’agit aussi de contribuer à l’effort de prévention de la pollution plastique. Car «même si les microplastiques sont très médiatisés depuis quelques années, peu de gens font le lien entre ce problème – environnemental et sanitaire – et la Suisse».
Le scientifique pense que ce désintérêt est dû au fait que les quantités mesurées dans notre pays ne sont pas considérées comme alarmantes. Gageons néanmoins que les informations récoltées en Haute-Engadine, qui seront relayées sur Instagram, ne passeront pas inaperçues: aucun Suisse ne saurait rester de marbre en apprenant que l’idyllique lac de montagne dans lequel il s’est baigné durant les vacances d’été contenait des fragments de bouteilles en plastique et d’emballages de fast food.
__________Roman Lehner est le co-fondateur et directeur scientifique de l’organisation Sail & Explore, qui met sur pied des expéditions de sciences citoyennes en mer. Dans le cadre de ses recherches postdoctorales à l’Institut Adolphe Merkle (AMI) de l’Unifr, ce titulaire d’un master en biologie moléculaire et d’un doctorat en ingénierie biomédicale s’est consacré aux conséquences des micro- et nanoplastiques sur la santé des êtres humains.
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