Une recherche haute en couleurs

Une recherche haute en couleurs

Fascinée depuis l’enfance par les teintes éclatantes des ailes des papillons, Viola Vogler-Neuling souhaite s’en inspirer pour révolutionner l’industrie de la couleur. Les recherches de la physicienne de l’AMI sont soutenues par un subside Ambizione.
 

Féru de papillons, le grand-père de Viola Vogler-Neuling leur avait consacré une pièce entière dans sa maison. Durant son enfance berlinoise, la chercheuse a passé de nombreuses vacances chez ses grands-parents, qui vivaient en Autriche. «Toute petite déjà, j’étais fascinée par les couleurs de ces insectes», se souvient la collaboratrice de l’Institut Adolphe Merkle (AMI) de l’Université de Fribourg. «Dès l’âge de 7 ans, j’ai eu le droit de m’occuper des chenilles de mon grand-père lorsqu’il était absent».

Ces quatre prochaines années, la membre du Soft Matter Physics Group de l’AMI pourra se consacrer pleinement à sa fascination pour les papillons. La docteure en physique a décroché l’un des convoités subsides Ambizione du Fonds national suisse (FNS). Grâce à ce soutien, elle mènera à bien un projet de recherche visant à créer des cristaux photoniques reproduisant les intenses couleurs des ailes des lépidoptères (voir encadré).

La meilleure éducation et les montagnes
Si l’intérêt précoce de Viola Vogler-Neuling pour les papillons lui vient de son grand-père. Mais il a fallu attendre le gymnase, et la participation à des camps scientifiques, pour que l’adolescente commence à envisager sérieusement de faire une carrière de chercheuse.

Deux participations à la finale nationale du «Siemens Schüler Wettbewerb» plus tard, la jeune femme obtient une bourse – également financée par le conglomérat allemand –  lui permettant d’entamer des études universitaires à l’étranger. «Je voulais la meilleure éducation… et les montagnes», se souvient-elle. Viola Vogler-Neuling opte alors pour la Suisse et l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), où elle boucle quelques années plus tard son master en physique.

Interrogée sur l’origine de son amour pour la montagne, alors qu’elle a grandi en ville, la physicienne explique: «Lorsque je me rendais chez mes grands-parents en Autriche, nous passions beaucoup de temps dans la nature et en montagne.» Elle ajoute avec un clin d’œil: «Mon film préféré était ‘Heidi’!» Aujourd’hui encore, elle se plaît à écumer les Préalpes et les Alpes en compagnie de son époux et de leurs enfants de 5 ans et 7 ans, que ce soit en marchant ou en grimpant.

L’industrie comme boussole
Une fois son master en poche, la jeune diplômée enchaîne sur un doctorat. Elle rejoint pour cela l’Optical Nanomaterials Group de l’EPFZ. Son travail de thèse porte sur les cristaux photoniques non linéaires en 3D. «Durant cette recherche, j’ai beaucoup souffert lorsqu’il a fallu tenter de reconstituer ces structures. Je me suis demandé comment la nature s’y prenait pour créer de telles couleurs.»

La doctorante le pressent déjà: craquer ce code biologique ouvrirait la voie à des solutions novatrices pour diverses branches, notamment textile ou alimentaire. «Je me suis dit que ce serait un défi scientifique parfait pour moi!» On le devine à ses propos, Viola Vogler-Neuling ne perd jamais de vue le côté appliqué de la recherche, ni l’industrie. Après tout, c’est cette dernière qui l’a soutenue à ses débuts.

En 2022, la scientifique élit domicile professionnel à l’AMI en tant que post-doctorante. Quelque deux ans plus tard, elle décroche un emploi au sein de l’Institut, en tant que responsable du sous-groupe Bioinspired Photonics. «Tout en faisant de la recherche, j’ai donc la même stabilité que si je travaillais dans l’industrie, un avantage non-négligeable lorsqu’on est maman.»

Les choses bougent!
La maternité, justement. Pas facile à concilier avec la recherche, qui plus est dans une discipline dominée par les hommes. «Mener de front une carrière académique et une vie de famille est un challenge, même si on a la chance comme moi d’avoir un poste stable.» Elle poursuit: «On a intérêt à avoir un partenaire qui ‘fait sa part’, ce qui est heureusement mon cas.»

Viola Vogler-Neuling constate que de plus en plus de services sont à disposition des parents-chercheurs. «Quand on travaille à l’AMI, on bénéficie par exemple de places de crèche assurées pour les enfants, ainsi que de l’accès – subventionné – à l’offre de garde d’urgence Chaperon Rouge.» Reste que «si on n’est pas une as de la planification», il peut être compliqué de faire face aux obligations du métier, telle que la participation à des conférences à l’étranger. En parlant de planification, elle rapporte que certains collègues masculins viennent désormais lui demander des conseils pour gérer famille et boulot. «Les choses bougent, c’est chouette!»

Par paliers
Grâce à l’obtention du subside Ambizione du FNS, une nouvelle étape académique est donc en train de démarrer pour la chercheuse. «Ce qui est vraiment nouveau dans notre démarche, c’est le fait que nous cherchons à imiter la nature.» Or, étant donné que les molécules responsables de la fabrication des cristaux photoniques ne sont pas encore connues, «nous sommes obligés de commencer notre analyse par là avant de pouvoir faire quoi que ce soit d’autre.» L’équipe devra donc s’armer de patience et procéder par paliers, sans vouloir brûler les étapes.

Pour mener à bien le projet, sa responsable peut compter sur le soutien d’une équipe interdisciplinaire, «constituée de talents issus de la physique, de la chimie et de la biologie». Surtout, elle est inlassablement guidée par deux intérêts: celui pour la compréhension des mécanismes de fonctionnement de la nature et celui pour les retombées concrètes de la recherche. «Il s’agit certes de recherche fondamentale. Mais les utilisations potentielles sont extrêmement prometteuses.» Elle poursuit: «Imaginez des pigments stables – fini le t-shirt qui se décolore au soleil! Imaginez des pigments qui ne nuisent ni à la santé, ni à l’environnement.»

Un papillon indigène
Si vous croisez ces prochaines années, au détour d’un sentier pédestre dans les Préalpes fribourgeoises, une jeune femme à l’arrêt en admiration devant un papillon, peut-être s’agira-t-il de Viola Vogler-Neuling. Un des lépidoptères dont les ailes sont dotées des structures en 3D qui intéressent la chercheuse – le seul en Europe présentant cette caractéristique – est en effet observable dans le canton. «Il s’agit du Thècle de la ronce, un magnifique papillon vert.»

Lorsqu’elle évoque la couleur de l’insecte, les yeux de la physicienne brillent. On devine que même si elle se prête volontiers – et avec aisance – à l’exercice de l’interview, elle préférerait être dans la nature, un carnet de notes à la main.

S’inspirer des «usines» naturelles
Le projet pour lequel Viola Vogler-Neuling a reçu un subside Ambizione du FNS vise à créer des cristaux photoniques biomimétiques. Contrairement aux pigments traditionnels qui se décolorent et peuvent être nocifs, les ailes des papillons doivent leurs couleurs éclatantes à des merveilles architecturales microscopiques: des nanostructures tridimensionnelles qui manipulent la lumière. Les recherches de la collaboratrice de l’AMI tenteront de déchiffrer ce code biologique et d’influencer le développement d’une science des matériaux durable.

Les cristaux photoniques sont des nanostructures dont la périodicité crée une couleur structurelle sans aucun pigment. Présentes dans les écailles des ailes des papillons, elles s’assemblent d’elles-mêmes pendant la métamorphose, créant des réseaux tridimensionnels complexes qui surpassent les composants optiques fabriqués par l’humain. Contrairement aux couleurs à base de pigments qui s’estompent avec le temps, la couleur structurelle irisée des ailes des papillons reste stable et est également biodégradable.

L’étude aborde deux questions fondamentales: Comment ces nanostructures photoniques se forment-elles chez les insectes? Comment peut-on les fabriquer de manière biomimétique en utilisant uniquement des composants biologiques présents dans la nature?

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Author

Journaliste indépendante basée à Berne, elle est née au Danemark, a grandi dans le Canton de Fribourg, puis a étudié les Lettres à l’Université de Neuchâtel. Après avoir exercé des fonctions de journaliste politique et économique, elle a décidé d’élargir son terrain de jeu professionnel aux sciences, à la nature et à la société.

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