De mieux en mieux connue et combattue, l’antibiorésistance continue néanmoins à faire des ravages à travers la planète. Le point sur les nouvelles approches avec Laurent Poirel, le directeur du NARA.
Les années se suivent et se ressemblent. Du 18 au 24 novembre 2025, la Semaine mondiale pour un bon usage des antibiotiques encourage une fois de plus les professionnel·le·s de la santé – mais aussi les décideurs·euses et le grand public – à adopter de bonnes pratiques en la matière. Cet appel a-t-il encore du sens? Malheureusement oui, estiment les spécialistes.
Certes, le phénomène de la résistance aux antibiotiques est plus largement connu et médiatisé qu’il y a 10 ans, observe Laurent Poirel. De même, la progression galopante de l’antibiorésistance «s’est un peu calmée», admet le directeur du NARA, le Centre national de référence pour la détection précoce et la surveillance de nouvelles résistances aux antibiotiques. Une structure qui, pour mémoire, est affiliée à la Section de médecine de l’Université de Fribourg. Mais ce fléau, que l’on surnomme parfois «menace fantôme» ou «pandémie silencieuse», est toujours en augmentation.
Un cercle vicieux
Petit rappel contextuel pour commencer. «Les bactéries résistantes aux antibiotiques sont un phénomène naturel, qui n’est pas problématique en soi car dans des conditions normales, elles restent minoritaires.» Le hic? Lorsque les antibiotiques sont trop ou mal utilisés, et que les conditions d’hygiènes ne sont pas optimales, ces bactéries résistantes prolifèrent. Le chercheur cite l’exemple de pays dans lesquels les antibiotiques sont disponibles sans ordonnance en pharmacie, voire dans le commerce de détail, et parfois ingérés pour traiter un simple refroidissement.
«Tant que les gens ne bougaient pas trop, l’antibiorésistance était canalisée à une échelle locale. Il y a une vingtaine d’années, les migrations, mais aussi les voyages, se sont intensifiés.» Les bactéries résistantes ont ainsi commencé à être disséminées aux quatre coins de la Planète, y compris dans des pays beaucoup plus restrictifs en matière de prescriptions d’antibiotiques – et plus stricts en matière d’hygiène – tels que la Suisse. D’isolée, la problématique est devenue globale.
«Il existe un réservoir de pays et régions bien identifiés, dont l’Inde, le Pakistan, l’Afrique du Nord, l’Asie du Sud-Est ou encore les Balkans, où l’antibiorésistance est particulièrement forte», poursuit le spécialiste. Or, les personnes qui migrent le plus sont souvent issues de ces mêmes pays et régions, «dans lesquels les conditions sanitaires sont par ailleurs souvent insuffisantes». On fait donc face à un cercle vicieux.
Laurent Poirel tient à préciser qu’il n’est pas question de jeter la pierre aux mauvais élèves. «On peut comprendre que dans des pays en guerre, qui font face à des catastrophes naturelles à répétition ou dont le niveau socio-économique est bas, le ‘bon usage’ des antibiotiques ne soit pas considéré comme une priorité.» Reste qu’une fois que les bactéries résistantes deviennent prédominantes, «il est très difficile d’empêcher leur dissémination, notamment dans les hôpitaux».
Nouvelles molécules, nouvelles approches
Par sa mission de vigilance, le NARA contribue justement à éviter que de telles bactéries ne se propagent en Suisse, surtout lorsqu’il s’agit de souches multirésistantes (BMR), qui sont considérées comme des menaces majeures en terre helvétique. Le centre créé en 2017 à Fribourg fait figure d’expert centralisé, c’est-à-dire que «les laboratoires du pays ont l’obligation de nous envoyer à des fins d’analyse et de surveillance les BMR qu’ils identifient».
La structure, qui dispose d’un deuxième site au CHUV et collabore avec l’Hôpital universitaire de Zurich, est également en mesure de proposer des tests de sensibilité pour les nouveaux antibiotiques. Ce en particulier lorsque les méthodes correspondantes ne sont pas encore disponibles dans les laboratoires de référence. «Il y a une dizaine d’années, la situation était un peu cauchemardesque puisque le développement de nouvelles molécules ne suivait pas la cadence par rapport à la hausse de la résistance des bactéries.» Heureusement, «les choses sont en train de changer et des antibiotiques prometteurs arrivent sur le marché».
Tous les espoirs ne reposent néanmoins pas sur la découverte de nouvelles molécules antibiotiques échappant aux mécanismes de résistance existants, qui sont difficiles à mettre au point, souligne Laurent Poirel. D’autres approches de plus en plus poussées sont évaluées en parallèle à l’échelle internationale, par exemple le recours à des inhibiteurs d’enzymes afin de pallier le problème de la dégradation des antibiotiques par ces enzymes. «Ce procédé pourrait permettre de donner une nouvelle vie à certains antibiotiques devenus obsolètes.»
Des vaccins (permettant de prévenir les infections causées par les bactéries résistantes) sont également à l’étude. «La recherche à ce sujet, qui est très compliquée en raison de la vitesse des mutations, prendra encore beaucoup de temps», prédit cependant l’observateur.
Des virus exterminateurs de bactéries
Un autre outil thérapeutique – connu depuis longtemps mais laissé de côté durant des décennies en raison notamment de la popularité des antibiotiques – refait parler de lui: la phagothérapie. Son principe? Utiliser des phages, à savoir des virus qui ciblent spécifiquement les bactéries sans attaquer les cellules humaines. Concrètement, les phages se fixent à la surface des bactéries, dans lesquelles ils injectent leur patrimoine génétique, leur permettant de se multiplier. Les jeunes phages ainsi créés détruisent alors les bactéries de l’intérieur.
Dans notre pays, la thérapie par les phages n’est pas autorisée, sauf en cas d’urgence à titre de dernier recours, c’est-à-dire en cas d’échec des traitements traditionnels. Le cas échéant, des règles très strictes encadrent son utilisation. Le Forum Phagothérapie, qui a démarré ses activités en 2025 grâce à un soutien Agora du Fonds national suisse, vise justement à débattre d’un éventuel assouplissement de la législation à ce sujet.
«La phagothérapie est complexe car la majorité des phages sont spécifiques, donc ne combattent qu’un type de bactéries au sein d’une même espèce», commente Laurent Poirel. Pour traiter un·e patient·e, il faut donc isoler la bactérie responsable de l’infection et trouver un phage capable d’en venir à bout, grâce à une évaluation au laboratoire. Autre problème: comme pour les antibiotiques, les bactéries peuvent assez facilement développer une résistance aux phages. «Sous oublier les aspects éthiques: les phages sont des organismes vivants, que l’on injecte à des humains.»
Selon le directeur du NARA, cette thérapie est très intéressante à titre compassionnel, lorsque plus aucun antibiotique ne fait de l’effet. «A plus large échelle, elle pourrait également s’avérer utile pour le traitement de certaines infections spécifiques, en particulier cutanées ou ostéo-articulaires, mais également pulmonaires.»
Mais pour ce faire, «il faudrait que de grandes études cliniques soient réalisées, donc que l’industrie s’intéresse davantage à la phagothérapie». A moins, bien sûr, que l’on ne parvienne à développer des «superphages» capables de combattre différents types de bactéries. «Qui sait, peut-être l’intelligence artificielle facilitera-t-elle les avancées dans ce domaine d’ici quelques années?»
_________- Centre national de référence pour la détection précoce et la surveillance de nouvelles résistances aux antibiotiques (NARA)
- Laurent Poirel , directeur du NARA . Cette structure est affiliée à la Section de médecine de l’Unifr.
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