Pour prendre soin d’eux, les humains doivent prendre soin de la Terre. Et retrouver la connexion originelle avec la nature, mise à mal par le dualisme prévalant dans les sociétés occidentales. Devant l’intérêt grandissant pour l’écopsychologie, l’Unifr a lancé une formation continue pionnière.
Imaginons deux amis assis côte à côte dans un café. L’un est plongé dans un manuel de psychologie, l’autre dans une revue écologiste. Lorsque leurs consommations arrivent, ils marquent une pause et échangent brièvement sur leurs lectures respectives. Ils se chamaillent alors gentiment, chacun estimant que son sujet de prédilection a davantage de sens – et d’importance – que celui de l’autre.
C’est justement en prenant conscience de la profondeur du gouffre existant entre les sciences de l’écologie et les sciences humaines que l’écrivain, sociologue et historien américain Theodore Roszak a élaboré le concept d’écopsychologie, un terme mentionné pour la première fois en 1992 dans son ouvrage «The voice of the earth: an exploration of ecopsychology». Son constat: tandis que la pensée écologique œuvre à la recherche de solutions techniques au réchauffement climatique – sans se demander pourquoi les humains détruisent leur planète –, les sciences humaines se focalisent pour leur part sur les rapports de soi à soi ou de soi aux autres. D’où l’idée d’un nouveau terrain de recherche visant à comprendre les liens entre la psyché et la nature.
Selon la perspective de Theodore Roszak, l’écopsychologie se détourne de l’attitude anthropocentrée qui figure au cœur de la psychologie occidentale contemporaine, pour introduire le concept d’«inconscient écologique». Toujours d’après cette approche, il n’est pas possible de soigner la psyché sans prendre soin de la Planète, et vice-versa. «Concrètement, l’écopsychologie étudie les effets qu’un environnement pollué a sur la santé mentale et comment les nuisances de notre monde moderne peuvent ajouter à l’anxiété, au stress et à l’aliénation dont nous semblons souffrir de plus en plus. Elle explore également les effets que notre relation psychologique avec la nature a sur l’environnement. Elle pose enfin des questions du genre: de quelle manière la dévastation de nos écosystèmes est-elle liée aux différentes formes de détresses psychologiques?», observe Francis Mazure dans une citation rapportée sur le site www.eco-psychologie.com.
Transdisciplinarité
«L’écopsychologie montre aussi comment la déconnexion avec la nature contribue au développement de troubles psychologiques ou à la fragilisation de la santé mentale», souligne Chantal Martin Sölch. La professeure de psychologie de l’Unifr renvoie notamment à des recherches épidémiologiques qui ont mis en lien les problèmes de santé mentale avec l’urbanisation. D’autres études récentes indiquent que «l’accès à des espaces verts augmente le bien-être et peut servir de facteur de résilience en lien avec les problèmes de santé mentale observés dans les régions urbaines». De façon plus large, il existe une littérature scientifique abondante sur les «liens évidents entre la santé et l’exposition à la nature».
Afin de restaurer en profondeur la connexion entre les êtres humains et la nature, garante de la santé des deux, il est possible de s’appuyer sur différentes approches et méthodes, dans un esprit fondamentalement interdisciplinaire, voire transdisciplinaire. Autant d’approches qu’il ne faut pas confondre avec l’écopsychologie, puisqu’elles ne constituent que des outils. On peut par exemple avoir recours à l’écothérapie – qui utilise le contact avec la nature pour aider les gens à se sentir mieux -, à l’éducation à l’environnement, à la psychologie de l’environnement – qui implique notamment la prise en compte de la dimension humaine dans l’aménagement du territoire – ou encore au chamanisme.
Outil contre l’éco-anxiété
Dans un contexte sociétal de crise climatique, de nouvelles approches se développent en psychologie – et notamment en psychologie clinique – dont l’écopsychologie. Cette dernière séduit de plus en plus de personnes, que ce soient les thérapeutes ou les particuliers. Les recherches consacrées à ce sujet sont également en forte hausse, constate Chantal Martin Sölch. «En France et en Belgique, des formations et des manuels spécifiques se mettent en place.»
Convaincu de l’intérêt de cette discipline, son département a lancé cette année une formation pionnière en écopsychologie. Prenant la forme d’un atelier pratique d’une journée, elle est destinée d’une part aux personnes souhaitant découvrir comment le lien à la nature permet de se reconnecter à soi. D’autre part, elle cible les personnes travaillant dans la relation d’aide et souhaitant explorer de nouveaux outils concrets à intégrer dans leur pratique, qu’il s’agisse de psychologues, d’infirmiers ou encore de travailleurs sociaux. Le premier atelier, qui s’est déroulé au printemps dernier, a fait carton plein.
«L’idée de mettre sur pied cette formation a émergé entre autres suite aux résultats d’une étude menée par l’une de nos étudiantes en bachelor sur le thème de l’éco-anxiété, qui a fait l’objet d’une publication dans la revue ‘Cortica’», explique Chantal Martin Sölch. Une autre impulsion est venue d’une collaboration pour le développement d’un manuel d’écopsychologie. «Nous avons réalisé à quel point cette thématique était importante actuellement.» Or, l’écopsychologie offre «de nouveaux outils de lutte contre ce problème, tout comme elle propose, de façon plus large, de nouvelles pistes d’interventions aux psychologues».
Première suisse
Ancienne doctorante à l’Unifr et intervenante lors de l’atelier, la psychologue Dahlila Spagnuolo estime que l’écopsychologie offre de précieux instruments pour comprendre le «divorce» entre les hommes et la Terre qui s’est opéré au fil du temps. Un dualisme influencé par Descartes – voire, bien avant, par Aristote – et son postulat de la causalité, selon lequel les phénomènes du monde peuvent être décomposés en plusieurs enchaînements de causalités. Mais aussi «par la religion, les sciences et la vision des hommes héroïques». Elle rappelle qu’à l’inverse, de nombreuses sociétés et communautés à travers le monde – notamment celles pratiquant le chamanisme – «estiment que tout est connecté, sans domination humaine».
Selon Dahlila Spagnuolo, le simple fait d’emmener les gens dehors, de les inciter à être attentifs et à utiliser leurs cinq sens, ouvre la porte au changement et au mieux-être. «Les thérapeutes peuvent servir de médiateurs, proposer des exercices pour faciliter la connexion avec les arbres et la terre, mais aussi aider les gens à poser des questions à la nature et à obtenir des réponses, bref, à faire émerger du contenu.» Autre avantage: «La nature étant fondamentalement organique, on ne peut pas la contrôler.» A son contact, «on apprend à s’adapter, à se montrer flexible.»
Les thérapeutes s’intéressant à l’écopsychologie doivent eux aussi faire preuve de flexibilité. L’atelier organisé par l’Unifr a ainsi lieu par tous les temps, qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il fasse froid. Agendée au 13 septembre 2024, la deuxième édition de la formation affichait complet. Un succès qui entrouvre la porte à la mise sur pied d’un CAS en écopsychologie, se réjouit Chantal Martin Sölch. «Ce serait une première en Suisse.»
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- Chantal Martin Sölch
- Image: Generated with AI ∙ September 20, 2024 at 9:30 AM
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