Une nouvelle technologie pour capturer le CO2

Une nouvelle technologie pour capturer le CO2

Alors que les efforts pour contrer le réchauffement climatique se concentrent sur les émissions de CO2 dites négatives, les solutions demeurent coûteuses et peu efficientes. Incubée à l’Unifr, la start-up SEPARATIC a développé une technologie novatrice qui contourne ces écueils.

Timur Ashirov, Ali Çoskun et Olivier Graber

Timur Ashirov a passé son enfance au Tadjikistan, dans la cité industrielle de Tursunzoda, qui héberge la gigantesque aluminerie Talco. «J’ai grandi dans un décor de fumée s’échappant des hautes cheminées de la fabrique», rapporte-t-il. Très tôt, il s’interroge sur l’impact environnemental de cette usine, qui constitue l’une des principales sources de revenus du pays d’Asie centrale. Quinze ans plus tard, à près de 6000 kilomètres de sa ville natale, le voilà à la tête d’une start-up incubée à l’Université de Fribourg et active dans une technologie novatrice de capture directe du CO2 dans les sources d’émissions et dans l’air. «Actuellement, la grande majorité des discours vont dans le sens d’une réduction de l’empreinte carbone à l’échelle mondiale», se réjouit le docteur en chimie. Le problème? «Produire du CO2 demeure extrêmement bon marché.» Par ailleurs, alors que la plupart des gouvernements – Conseil fédéral y compris – sont d’accord pour affirmer que l’objectif «zéro net» (c’est-à-dire la neutralité carbone d’ici 2050) ne pourra pas être atteint uniquement en limitant les émissions de CO2, il est devenu impératif de passer à la vitesse supérieure en matière d’émissions négatives. C’est-à-dire l’ensemble des actions et technologies (appelées NET) visant à éliminer de l’atmosphère une partie du CO2 lié à des activités humaines. «Mais pour cela, il faut faire drastiquement baisser le coût des NET», souligne Timur Ashirov. «La plupart des technologies existantes ont des frais d’installation très importants et/ou requièrent une énorme quantité d’énergie pour être fonctionnelles, ce qui ne les rend pas facilement utilisables.» Dans ce contexte, «il y a un besoin criant de solutions permettant de retirer le CO2 de l’air de façon simple, efficace et bon marché». C’est justement ce que propose SEPARATIC, la société dirigée par le chercheur postdoc tadjik. «Lorsque j’ai décroché mon master en sciences des matériaux à l’Université Bilkent d’Ankara, le professeur de chimie Ali Coskun m’a proposé de venir rejoindre son laboratoire à l’Unifr.» Fort de ses recherches préliminaires en Turquie, Timur Ashirov a consacré sa thèse de doctorat au développement de polymères fonctionnels à structure poreuse et de membranes pour des applications de séparation et de capture gazeuse.

Modulaire et efficiente
Epaulé par le professeur Coskun ainsi que par Vincent Racciatti et Olivier Graber, le jeune scientifique a développé une membrane dans laquelle est incorporé un adsorbant. C’est cette combinaison novatrice entre membrane et adsorbant qui fait la particularité du projet. «Il s’agit d’une technologie relativement sophistiquée, qui pose pas mal de défis.» A l’heure actuelle, l’Université d’Aarhus, au Danemark, est le seul endroit où nous pouvons procéder au dépôt de l’adsorbant», précise l’entrepreneur. Concrètement, l’idée est de fixer ces membranes dans un module en séries et d’y faire passer de l’air. «Alors que le CO2 est capturé par le matériau adsorbant, le N2 et le O2 peuvent circuler librement.» Lorsque l’adsorbant arrive à saturation, on le fait chauffer sous vide; le CO2 est ainsi relâché. Les membranes peuvent alors être réutilisées. Contrairement à d’autres solutions de capture de CO2 dans l’air, dont l’une des plus connues est celle de la société suisse Climeworks, le système qu’est en train de mettre au point SEPARATIC est mobile. Grâce à son design modulaire, il peut être intégré à une usine existante, quelle que soit sa taille. Par ailleurs, son montage et son entretien ne nécessitent pas de connaissances pointues. «Notre processus de séparation ne requiert pas de pressurisation et s’est révélé 200 fois plus rapide que celui de nos concurrents directs», rapporte Timur Ashirov. Autre argument de vente majeur de la start-up: l’énergie dépensée durant l’opération est dix fois inférieure grâce à une température de régénération plus basse.

De la Suisse à Mars
Convaincue du potentiel de SEPARATIC, la structure Venture Kick lui a successivement accordé un soutien de 10’000 francs en janvier 2023, puis de 40’000 francs en mai 2023. La jeune pousse a également décroché un encouragement BRIDGE (FNS et Innosuisse) à hauteur de 183’000 francs. Des coups de pouce bienvenus alors que la start-up, aussi prometteuse soit-elle, a encore du pain sur la planche. «Il y a notamment des enjeux technologiques: éviter qu’il y ait des fuites de gaz, faire en sorte que le système soit réparable et bien évidemment vérifier que les essais effectués en labo s’avèrent aussi concluants sur le terrain, une fois que nous aurons développé un prototype.» Le test de ce module-pilote permettra de déterminer la stabilité, la durée de vie opérationnelle, les coûts et la capacité de capture du système. Timur Ashirov estime que d’ici un à trois ans, la petite entreprise devrait être en mesure d’honorer ses premières commandes. Ces commandes, d’où émaneront-elles? «Dans un premier temps, nous visons le marché suisse, principalement les acteurs de l’énergie – tels que Groupe E ou Alpiq – et les importants émetteurs de CO2 tels qu’Holcim», précise le postdoctorant de l’Unifr. Dans un second temps, la start-up ira faire de l’œil à des groupes européens actifs dans l’acier et l’énergie. Puis viendra l’ouverture au reste de la planète. Voire au-delà: en mai 2023, SEPARATIC a participé au troisième Mars Habitat Challenge. Organisé par Venturelab, cet évènement met à l’honneur de jeunes pousses qui ont le potentiel de contribuer à créer un habitat autonome sur la planète rouge.

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  • Timur Ashirov présentera son prototype à Explora le 23.09.2023
  • Timur Ashirov
  • Photos: Christian Doninelli

Author

Journaliste indépendante basée à Berne, elle est née au Danemark, a grandi dans le Canton de Fribourg, puis a étudié les Lettres à l’Université de Neuchâtel. Après avoir exercé des fonctions de journaliste politique et économique, elle a décidé d’élargir son terrain de jeu professionnel aux sciences, à la nature et à la société.

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