Le laboratoire, voilà l’endroit où Timur Ashirov, post-doctorant au Département de chimie, se sent le plus dans son élément. Mais pour chercher des financements, le chercheur de l’Université de Fribourg a bien dû troquer sa blouse blanche contre un costard-cravate. Avec un succès certain, puisqu’il vient de décrocher un soutien de 150’000 francs de la Fondation Gebert Rüf.
Dans le monde passionnant et ultra-concurrentiel de la recherche, il ne suffit pas d’avoir une bonne idée pour voir affluer l’argent des bailleurs publics ou des investisseurs privés, encore faut-il savoir la vendre! Durant son doctorat, Timur Ashirov a mis au point une membrane innovante qui permet d’améliorer l’efficience des piles à hydrogène. Mais entre le jaillissement de l’idée et sa commercialisation, il y a ce que l’on nomme la «vallée de la mort», cette phase si critique où l’innovation, faute de financements et de soutien, périclite si souvent.
Une technologie prometteuse mais…
Pour réduire les émissions de dioxyde de carbone des véhicules traditionnels, beaucoup ne jurent plus que par l’hydrogène. Cette technologie a certes beaucoup de vertus, mais elle se voit encore plombée par plusieurs défauts majeurs: produire de l’hydrogène coûte cher et son stockage nécessite des infrastructures complexes et donc coûteuses. Sans compter que, dans le moteur des véhicules, les piles à combustible utilisent l’air ambiant, constitué à 78 % d’azote, pour la réaction électrochimique. Or, l’azote est un gaz inerte qui s’accumule au niveau de l’anode et réduit l’efficacité des piles. «Il faut alors les purger, ce qui provoque non seulement des pertes d’hydrogène, mais également une pollution, puisque la purge libère des gaz à effet de serre, explique Timur Ashirov. Ce à quoi il faut ajouter les pertes financières qui s’élèvent à près de 15’000 francs durant la dizaine d’années que dure chaque pile à combustible.»
Rencontre fortuite
Carburant à l’optimisme, le chimiste de l’Université de Fribourg en est pourtant convaincu: l’hydrogène reste une énergie d’avenir et connaîtra la même trajectoire que celle des véhicules électriques: «Avec les économies d’échelles, les coûts de production et de stockage vont baisser, c’est certain.» Quant à ce problème intrinsèque des piles à combustible, le chimiste l’a découvert par le plus grand des hasards: «Au cours de mon doctorat, j’ai mis au point une membrane qui permet de séparer les gaz. En présentant cette invention dans un salon, une personne travaillant pour Plastic Omnium, une entreprise spécialisée dans la mobilité durable, m’a fait part des limitations techniques des piles à combustible. Il m’a alors demandé si mon dispositif pouvait résoudre le problème. Nous avons décidé de faire des tests pour voir si ma solution avait du potentiel ou pas.» Et Timur Ashirov insiste sur le «nous», ses travaux étant un vrai travail d’équipe: «Sans le Professeur Ali Coskun, conseiller scientifique, Vincent Racciatti, directeur financier, et Olivier Graber, responsable du développement technique, rien de tout cela n’aurait été possible!»
Un viatique pour traverser le désert
Ces premiers tests, bien que concluants, prennent du temps et le temps c’est de l’argent. Timur Ashirov doit trouver les financements nécessaires. Pour parvenir à séduire les bailleurs de fonds et les investisseurs, il faut du bagout, de l’assurance et une apparence. «J’ai dû prendre des cours pour mieux communiquer, ralentir mon débit, trouver les mots pour parler aux investisseurs qui, venant de la finance, n’ont souvent aucune idée de nos problématiques scientifiques.» Un costume de démarcheur que Timur Ashirov a su endosser avec un succès certain: Separatic, sa start-up a déjà obtenu 50’000 francs de Venture Kick, 183’000 francs du Fonds national de la recherche scientifique et Innosuisse (BRIDGE Proof of Concept grant) et, dernièrement, un montant de150’000.- de la Fondation Gebert Rüf pour laquelle le chercheur a même dû passer devant la caméra. «Les bailleurs veulent s’assurer que nous puissions communiquer avec les médias et avec le grand public. Il faut donc se plier à certaines exigences auxquelles nous ne sommes a priori pas préparés». Son film de trois minutes et son dossier d’une cinquantaine de pages ont su convaincre le jury de la Fondation. «C’est un signal fort pour les investisseurs! Gebert Rüf place la barre si haut que seules quelques entreprises peuvent y prétendre.» Cette somme permettra de couvrir le salaire du chercheur tadjik, d’acquérir du matériel, et surtout, de passer du prototype de laboratoire aux tests auprès des partenaires industriels.
Sortie du désert et entrée sur le marché
En laboratoire, dans des conditions simulant le fonctionnement réel des piles à combustible, le prototype a livré des résultats convaincants. «Nous devons maintenant être certains que notre produit soit assez durable pour supporter 10’000 cycles, puisque les piles à combustible sont prévues pour durer 10 ans.» Timur Ashirov, qui bénéficie du soutien de la Haute Ecole l’ingénierie et d’architecture de Fribourg (HEIA) pour relever ce défi, a bon espoir d’y parvenir à l’automne 2025. Ce sera l’occasion de tester son prototype en conditions réelles. En cas de succès, ce serait la fin de la traversée du désert et l’arrivée dans un environnement florissant où pleuvent les billets verts: les expert·e·s estiment que le marché européen des piles à combustible devrait atteindre 10 milliards de dollars et le marché mondial 40 milliards de dollars d’ici 2030.
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