Reformuler pour mieux convaincre: dans le discours argumentatif, les orateurs font la part belle à la reformulation. Outre l’efficacité de cet outil en termes de persuasion, des chercheurs de l’Unifr et de la Warsaw University of Technology ont montré qu’il augmente la crédibilité du locuteur.
Demandez au commun des mortels ce qu’est la reformulation et vous obtiendrez probablement la réponse suivante: «Une manière différente de dire exactement la même chose, que ce soit de façon plus courte ou de façon plus longue.» Ou alors: «Une technique utilisée par les orateurs pour s’écouter parler.» Voire: «Du blabla.» Pas si vite! Loin d’être toujours neutre, la reformulation peut être diablement efficace pour soutenir un point de vue. Dans le discours argumentatif, elle constitue d’ailleurs le deuxième type d’élément le plus utilisé – et le plus persuasif.
Ces constatations ressortent d’études préliminaires menées conjointement à l’Université de Fribourg et à la Warsaw University of Technology. L’équipe suisse a opté pour une approche expérimentale. «Elle consistait à soumettre les participants à des paires de phrases contenant ou non des reformulations et à analyser leurs réactions», souligne Steve Oswald, qui a piloté le pan helvétique de la recherche. Quant aux chercheurs polonais, réunis sous la houlette de Marcin Koszowy, «ils se sont penchés sur d’importants ensembles de données, par exemple les débats de l’élection présidentielle américaine de 2016», précise le maître d’enseignement et de recherche au Département d’anglais de l’Unifr.
Atouts marketing
Dans un contexte argumentatif, la relation d’inférence, qui consiste à utiliser un argument – donc à passer de prémisse à conclusion – demeure certes l’outil auquel les orateurs ont le plus souvent recours afin de convaincre leur auditoire. «C’est le cas dans cet exemple: il faut voter pour cette candidate car elle est la plus compétente», note Steve Oswald. Reste que la reformulation peut elle aussi jouer le rôle d’argument. Le chercheur cite l’exemple d’une paire d’orateurs (A et B) soutenant un même propos. Orateur A: «On peut concevoir qu’un ministre fasse preuve d’optimisme et de volontarisme…» Orateur B: «D’inexpérience!»
Dans un contexte marketing aussi, la reformulation peut s’avérer très utile. «Pour les besoins de notre étude, nous avons créé des paires de phrases constituant des dilemmes de consommation et les avons soumises aux participant·e·s afin de mesurer l’effet sur leurs choix», poursuit le collaborateur de l’Unifr. Il prend pour illustration une barre de céréales. Dans le premier cas, il est conseillé de l’acheter «car elle est riche en vitamines». Dans l’autre cas, on recommande sa consommation «car elle est riche en vitamines, elle contient cinq vitamines essentielles». L’équipe de Steve Oswald a constaté que la phrase impliquant une reformulation était perçue par les sondés comme davantage persuasive. «L’effet n’est pas dramatique mais il est bien là.»
Mieux comprendre pour mieux utiliser
Baptisé AMoRe («Argumentative Model of Rephrase: A Pragmatic and Rhetorical Approach»), le projet de recherche a obtenu un financement FNS portant sur 4 ans. Des études préliminaires, il est ressorti qu’en plus de sa qualité argumentative, la reformulation comporte d’autres atouts. «Il semblerait qu’en recourant à cet outil, le locuteur dope sa crédibilité auprès de son auditoire, comme s’il lui conférait une sorte d’expertise», constate Steve Oswald. Une des prochaines étapes de l’étude consistera justement à approfondir cet aspect. Les scientifiques souhaitent par ailleurs pousser plus loin les connaissances en matière de reformulation. En cartographiant ses types ainsi que ses fonctions dans le langage naturel, et en testant ses effets rhétoriques et persuasifs, il sera à terme possible de créer un modèle complet de ses aspects pragmatiques et argumentatifs.
Mais au fond, quel serait l’apport d’un tel modèle, hormis le fait qu’il démontrerait la pertinence de la collaboration – inédite – entre deux méthodologies complémentaires? «Au-delà de la reformulation, ce modèle pourrait potentiellement être transposé à d’autres phénomènes langagiers, tels que la métaphore», explique Steve Oswald. Mais ce n’est pas tout. «Bien comprendre comment fonctionne un outil permet d’en améliorer l’utilisation, que ce soit au niveau de la recherche fondamentale ou sur le terrain.» Et de citer les domaines de la politique ou de la publicité. «Même si cette dernière n’est pas trop mon truc», ajoute-t-il en riant. Il ne faut pas oublier non plus qu’«un énorme domaine de recherches s’est ouvert à l’interface entre l’intelligence artificielle et la linguistique, dont ChatGPT est l’exemple le plus connu.» Autant de recherches qui passent, elles aussi, «par une meilleure compréhension du fonctionnement du langage».
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