En Suisse, de plus en plus de personnes ont recours à la chirurgie bariatrique pour remédier à leur obésité. Malgré leur incontestable efficacité, ces interventions ne sont pas sans risque pour la santé psychique des patient·e·s, allant jusqu’à provoquer de sévères dépressions. Stéphanie Haymoz, lectrice au Département de psychologie, lance une étude pour mieux comprendre ce phénomène encore trop peu connu.
Stéphanie Haymoz, avant toute chose, 10% de la population en Suisse peut être qualifiée d’obèse. Ce pourcentage a doublé ces 20 dernières années. Comment l’expliquer?
Il y a bien sûr une composante génétique et biologique qui fait que nous ne naissons pas tous égaux face à cette problématique. L’évolution récente de certains facteurs sociaux et environnementaux, tels que l’accessibilité à la malbouffe ou la sédentarité, a récemment renforcé cette vulnérabilité. De manière générale, les gens mangent beaucoup plus qu’autrefois tout en bougeant moins.
Mais en quoi est-ce mal d’être obèse? N’est-ce pas qu’une question d’image?
L’obésité provoque toute une série de problèmes physiques, maladies cardio-vasculaires, diabète, cholestérol, mais aussi psychiques, comme des troubles dépressifs, anxieux ou du comportement alimentaire. Et je ne parle même pas du risque d’exclusion sociale et de discrimination.
En théorie, pour perdre du poids, il suffit de dépenser plus d’énergie qu’on en consomme. Pourquoi n’est-ce pas si simple?
Plus de 90% des personnes qui entament un régime échouent dans les 5 ans. C’est un taux d’échec énorme! Après la phase d’euphorie initiale naissent des frustrations liées aux restrictions, aux privations de certains mets appréciés, qui vont augmenter les risques d’échecs. Une surfocalisation sur l’alimentation, le poids et la silhouette, on le sait, peut provoquer de véritables crises alimentaires. Autrement dit, plus la personne cherche à contrôler son poids, plus il y a un risque de „craquage“.
Les différents traitements de l’obésité, en particulier ceux que recouvre le terme d’opération bariatrique, représentent-ils alors la solution miracle?
Détrompez-vous! Les personnes opérées doivent faire un grand travail d’adaptation pour bien vivre avec l’opération, tel que le fait de manger lentement et de mâcher suffisamment. De plus, elles peuvent rencontrer certains désagréments physiques, comme des ballonnements, un sentiment d’écœurement ou encore des selles odorantes. L’opération ne permet pas de faire l’économie d’une certaine modification des comportements alimentaires, ni d’une activité physique régulière. Ce n’est pas une baguette magique!
Sans compter que ces opérations peuvent avoir un impact psychologique non négligeable.
Certain·e·s patient·e·s imaginent qu’elles ou ils vont retrouver le corps de leurs 20 ans. Leurs attentes s’avèrent souvent excessives, ce qui se traduit par un taux assez élevé de sentiment dépressif, avec un taux de suicide jusqu’à quatre fois plus élevé chez les personnes ayant subi une opération bariatrique que dans la population en général. C’est pourquoi, il est important de bien accompagner les patient·e·s avant et après l’opération.
Ce sont précisément ces problématiques psycho-sociales que vous souhaitez étudier.
On a effectivement beaucoup de données sur la santé physique des personnes opérées, en amont et en aval de l’intervention chirurgicale, le taux de cholestérol, le diabète ou la perte pondérale, mais beaucoup moins sur les aspects psychologiques de la phase postopératoire.
Que souhaitez-vous mesurer exactement?
Nous souhaitons non seulement évaluer la symptomatologie psychique des patients, mais aussi mesurer des paramètres plus larges, comme la qualité de vie, les relations interpersonnelles, l’image corporelle, la gestion des émotions, la relation à la nourriture. Ce sont autant de facteurs qui jouent un rôle dans l’apparition de l’obésité et qu’il convient d’observer en post-opératoire. Les participants à l’étude devront s’acquitter également de certaines tâches expérimentales, ce qui constitue le côté innovant de la recherche.
Un exemple de tâche?
Nous allons soumettre les patients à des tâches de récompenses, souvent utilisées dans les recherches, notamment sur les addictions. Nous nous attendons à ce qu’une diminution des effets des récompenses sur le comportement puisse expliquer le besoin de manger excessivement. Une seconde tâche consiste à estimer la taille des portions alimentaires. Cette expérience a été menée auprès de personnes souffrant de trouble du comportement alimentaire, mais jamais encore auprès de personne souffrant d’obésité. Ces résultats vont nous permettre d’améliorer la prise en charge en proposant de nouvelles pistes d’intervention.
Vous souhaitez suivre les patient·e·s jusqu’à 60 mois après l’opération, un vrai défi logistique!
C’est une étude de longue haleine, mais qui est indispensable. Tous les cliniciens vous le diront: ils manquent de données en dépit du nombre croissant d’opérations.
Au final, déconseilleriez-vous de recourir à une intervention bariatrique?
Pas du tout! La grande majorité des patient·e·s sont ravis de s’être fait opérer, mais il est indispensable de mieux connaître les effets induits par l’intervention si l’on souhaite améliorer la prise en charge.
- Cette étude est menée au sein de l’Unité de psychologie clinique et de la santé et du Centre médico-chirurgical de la Clinique de La Source, dans le cadre d’une collaboration entre la Professeure Chantal Martin-Sölch et le Docteur Vittorio Giusti.
- Page de Stéphanie Haymoz
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