Les astronautes le savent depuis longtemps: les voyages dans l’espace peuvent avoir des conséquences sérieuses sur leur santé physique et mentale. Bien qu’il ait passé plus de 1000 heures en orbite, Claude Nicollier n’en garde pourtant aucune séquelle. Le 16 mars, à l’occasion de la 5e Journée de recherche en médecine, consacrée au thème «Body and space», le premier astronaute suisse de l’histoire en a administré la preuve éblouissante.
Comment réagit l’organisme à un séjour prolongé en apesanteur? Les rayons cosmiques sont-ils mortels à haute dose? Le stress, l’isolement et le confinement dans une station orbitale nuisent-ils à la santé psychique des astronautes? Voici les questions que se posaient les chercheurs au début de la conquête spatiale. Claude Nicollier, l’homme au quatre missions spatiales à bord des navettes Atlantis, Endeavour, Columbia et Discovery semble tout indiqué pour apporter quelques éléments de réponse. De passage dans notre université, il s’est écarté quelque peu de la trajectoire médicale initialement prévue, mais n’en a pas moins entraîné les étudiants dans le sillage de sa passion.
Des soucis terre à terre
Dans une conférence au ton décontracté, mais plus minutée qu’un décollage à Cap Canaveral, l’astronaute vaudois commence par expliquer qu’avant d’envoyer des êtres humains dans l’espace, les agences spatiales, soviétique d’abord, américaine ensuite, ont eu recours à l’expérimentation animale. En 1957, la chienne Laïka a été le premier être vivant placé en orbite autour de la terre. «C’était un aller simple, souligne Claude Nicollier, mais nous avions désormais la preuve qu’un être vivant pouvait survivre dans l’espace». Engagés dans une course vers la lune, les Américains ne vont pas tarder à envoyer, eux aussi, un animal loin de notre bonne vieille terre: Ce sera Ham le chimpanzé. Plus heureux que Laïka, il reviendra vivant, avant de couler une paisible retraite dans un zoo de Caroline du Nord.
Coup de tonnerre! Quelques mois plus tard, le 12 avril 1961, Youri Gagarine devient le premier homme à effectuer un vol dans l’espace. «Un traumatisme pour les Américains!», s’exclame Claude Nicollier.
L’astrophysicien passe ensuite comme chat sur braises sur les différentes étapes marquantes de la conquête spatiale: il y aura Valentina Tereshkova, la première femme dans l’espace, puis Alexei Leonov, qui réalisera en 1965 la première sortie extravéhiculaire dans l’espace.
Oubliant complètement les considérations médicales, Claude Nicollier projette deux courtes vidéos de l’expédition Apollo 11, la mission qui emmènera Neil Amstrong sur la lune. «C’est le chapitre le plus brillant de l’aventure spatiale et humaine, tout simplement! Je suis très ému chaque fois que je revois ces images.»
Puis, le clou du spectacle: l’astronaute veveysan termine sa digression par une photo de la terre, entourée de ténèbres infinies, telle qu’on la voit depuis l’espace: «On est devenu conscient de notre position isolée dans le cosmos. La terre est magnifique, mais petite et fragile.»
Quel meilleur invité que Claude Nicollier pour s’exprimer sur la thématique «Body and space»? La réponse semblait évidente à Stéphane Cook, professeur de cardiologie à l’Université de Fribourg.
Pas fan du fitness en orbite
La lune conquise, l’exploration spatiale va prendre d’autres formes. Avec l’avènement des stations orbitales, les missions vont se prolonger et soulever de nouvelles questions médicales.
«Pour éviter l’atrophie des muscles, les habitants de la station internationale ISS, en séjour dans l’espace durant six mois, doivent se soumettre à deux heures d’exercice quotidien», explique Claude Nicollier.
L’astronaute suisse a participé, au cours de sa carrière, à quatre missions, mais chacune de moins de deux semaines. «En théorie, j’aurais dû faire 30 minutes d’exercice physique par jour, mais franchement, je préférais contempler la terre par le hublot», confie-t-il en rigolant.
Il finit par concéder, presque à contre-cœur, qu’un séjour prolongé dans l’espace peut affecter la vision. Lui qui a passé plus de huit heures hors de la navette Discovery pour réparer le télescope Hubble en a d’ailleurs personnellement ressenti les effets: «Les rayons cosmiques et l’absence de gravité, induisant une pression oculaire accrue, ont des conséquences irréversibles. Dans l’espace, j’ai parfois eu des flashs dans les yeux. Je sais que des cellules ont été détruites. Ces radiations constituent indéniablement le plus grand danger pour les astronautes.» Toute mission habitée lointaine, comme vers Mars par exemple, devra trouver la parade.
L’enfer, c’est les autres
Moins visible, mais cruciale pour le bon déroulement de toute mission spatiale, la santé psychique de l’équipage n’est pas à négliger.
«Dans une navette, il faut se rendre compte qu’il est impossible de sortir, d’aller où tu veux, de se balader en forêt. J’imagine que cela peut être difficile, lors de missions de plusieurs mois», confie comme à regret Claude Nicollier.
Pour illustrer son propos, il évoque le cas récent de l’Américain Scott Kelly, revenu début mars d’une mission de 340 jours à bord de la station spatiale internationale ISS: «En fait, ce qui lui a le plus manqué, ce sont les amis, une bière, une pizza et une… douche! Imaginez qu’il a passé une année sans se doucher!»
YouTube / NASA Johnson – via Iframely
Reprenant son sérieux en même temps que son exposé, Claude Nicollier affirme que pour affronter de longs séjours dans le silence glacé du cosmos, rien de tel que la méthode Coué: «Ma philosophie est la suivante: Il faut faire son travail sérieusement, mais sans se prendre au sérieux. Tant qu’il y a une grande motivation, je pense qu’une longue mission, même de 8 mois vers la planète Mars, ne pose aucun problème d’ordre psychologique!»
Passez-moi les urgences!
C’est entendu, les voyages dans l’espace peuvent avoir des effets secondaires plus ou moins marqués sur la santé, même si le constat n’est pas de nature à refroidir l’enthousiasme de Claude Nicollier. Mais que se passe-t-il en cas de pépin de santé en cours de mission? A plusieurs centaines de kilomètres du plancher des vaches, il paraît illusoire de compter sur le secours d’une ambulance spatiale. Aussi, avant tout décollage, les astronautes de la NASA apprennent les gestes qui sauvent. «Je suis astrophysicien, pas médecin, explique Claude Nicollier, j’ai donc dû recevoir une petite instruction médicale avant ma mission. On m’a même montré comment réaliser une trachéotomie!» Le Veveysan semble s’en amuser, avant d’avouer que le seul geste médical qu’il n’ait jamais accompli au cours de ses quatre missions dans l’espace s’est résumé… à la prescription de pilules laxatives.
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Les Journées recherche en médecine sont organisées chaque année par le Département de médecine de l’Université de Fribourg et l‘hôpital fribougeois (HFR).