«Il y a un adage qui dit que les martyrs sont semences de chrétiens!»

«Il y a un adage qui dit que les martyrs sont semences de chrétiens!»

Alors jeune adulte, deux chemins s’offraient à Marie-Dominique Minassian: le sport d’élite ou la vie monastique. Touchée par le massacre de sept moines trappistes dans le monastère de Tibhirine, elle opte finalement pour une troisième voie, celle des études universitaires, afin d’étudier et de rendre hommage à l’œuvre d’hommes qui ont versé leur sang pour rester fidèles à une valeur cardinale: l’amour du prochain.

Monastère de Tibhirine

C’est un drame qui, en 1996, a profondément marqué les esprits. En pleine guerre civile algérienne, sept religieux français du monastère de Tibhirine sont séquestrés puis décapités, dans des circonstances qui restent à éclaircir. Marie-Dominique Minassian s’en souvient comme si c’était hier: «J’avais entendu la nouvelle à la radio chez mes parents. Ça m’avait profondément agacée qu’on en fasse toute une histoire, alors qu’on passait sous silence la mort de dizaines de milliers d’Algériens, dont des femmes et des enfants.» Elle l’ignore encore, mais cette tragédie, qui n’était pour elle qu’un fait divers, allait bientôt percuter sa vie et en dévier profondément la trajectoire.

Cloître de Tibhirine

Quand le destin s’en mêle
Quelques semaines plus tard, Marie-Dominique Minassian fait une expérience spirituelle très forte qui l’amène à se poser de nombreuses questions. «Je sentais une présence au fond de moi.» En décembre 1996, afin de goûter à la vie monastique, elle demande à faire un stage en clôture dans un monastère français qui, par une facétie du destin, appartient au même ordre que celui des moines assassinés. Là-bas, le jour de son arrivée – autre coïncidence ? – l’abbesse lit des extraits du journal intime de Christophe Lebreton (1950-1996), le plus jeune des moines assassinés, des notes sauvées in extremis du désastre. «J’ai découvert des écrits de feu qui m’ont bouleversée, qui correspondaient à ce que je portais au fond de moi», explique-t-elle avec émotion. «J’étais conseillère en communication et en relations publiques. J’ai cessé mon activité professionnelle le 31 décembre de cette année-là. J’ai tout vendu.»

Marie-Dominique Minassian avec le père Jean-Pierre Schumacher, moine ayant échappé à l’enlèvement de 1996

Le goût des études
Son premier élan, confie-t-elle, est d’entrer dans le sillage des martyrs de Tibhirine, de s’engager dans la vie monastique, «à vivre dans cet absolu qui fait que l’on donne tout, y compris sa vie». En 1998, on l’envoie suivre deux années d’études bibliques pour lui donner le temps de choisir sa vocation. Elle prend goût aux études et les poursuit à l’Université de Fribourg. Fidèle aux moines martyrs d’Algérie, elle consacre son mémoire de licence aux écrits de frère Christophe. «J’ai été bouleversée par son journal intime, sa poésie et sa vie. Cette affinité spirituelle s’est transformée ensuite en doctorat.» Rétrospectivement, elle s’amuse de ce glissement existentiel, elle qui était plutôt «intéressée par la pastorale de la santé et les soins palliatifs». A posteriori, elle en prend conscience:
«Il y a un adage qui dit que les martyrs sont semences de chrétiens. Mon propre itinéraire en est la démonstration. C’est stupéfiant!»

De sept martyrs à dix-neuf
Poursuivant ses études jusqu’au doctorat, Marie-Dominique Minassian continue d’étudier et de mettre en valeur la vie de cette communauté trappiste. De 2019 à 2023, elle coordonne un vaste projet subventionné par le FNS visant à publier et analyser les écrits des moines de Tibhirine. Depuis, elle décide également d’élargir son regard au-delà des sept martyrs et d’inclure les douze autres religieux catholiques assassinés en Algérie entre 1994 et 1996 durant la guerre civile. «C’étaient des hommes et des femmes de différentes nationalités. Il y avait des frères et sœurs apostoliques, des contemplatifs, un évêque, toutes et tous partageant un dénominateur commun : l’amour qu’ils portaient au peuple algérien et le fait d’être resté·e·s malgré les menaces.»

Désirant offrir leur message au monde, elle constate l’été dernier qu’elle ne prêche pas dans le désert. Au cours du Meeting pour l’Amitié entre les Peuples, grand festival catholique annuel de Rimini et édition consacrée aux martyrs d’Algérie, le stand de Marie-Dominique Minassian voit défiler plus de 15’000 visiteurs·euses.

Vue sur l’Atlas depuis le monastère

Un modèle pour le monde
Marie-Dominique Minassian considère que la vie et la destinée de ces religieux·euses, «qui se sont préparés ensemble au martyre», constituent un exemple de fraternité et de tolérance, non seulement pour l’Eglise universelle, mais aussi pour l’humanité tout entière.
«Certains moines faisaient même le ramadan, d’autres, quand le muezzin appelait à la prière, marquaient un temps d’arrêt, ce qui permettait de se mettre en synchronicité de cœur.» Elle cite encore un exemple: Ribât es Salâm, un groupe de partage cofondé par le moine Christian de Chergé (1937-1996) et rassemblant des chrétiens et des musulmans pour prier, échanger et construire des liens de fraternité. Les rencontres avaient lieu tous les six mois et, ironie de l’histoire, le dernier thème abordé avant leur enlèvement était l’espérance. «C’est une véritable manière d’incarner la résistance aux polarisations, s’émerveille Marie-Dominique Minassian. C’est petit, mais ça existe et cela fait du bien. On peut se nourrir de la spiritualité de l’autre. Cela nous aide à sortir de notre suffisance intellectuelle, spirituelle et religieuse. C’est cela aussi, Tibhirine: l’ouverture et l’offre de rencontre.»

Une source intarissable
Dans quelques mois, on commémorera les 30 ans du drame de Tibhirine. Le plus étonnant, c’est que le patrimoine spirituel de ces martyrs semble inépuisable. «C’est une histoire incroyable, s’émerveille Marie-Dominique Minassian: nombre d’écrits qu’on leur adressait ont été brûlés, mais les lettres qu’ils ont envoyées ont pu être retrouvées. Il y a des homélies de prêtres, des retraites écrites, des articles, des journaux intimes et plus de 400’000 images à numériser! Figurez-vous qu’on a même retrouvé tout un carton de musique de frère Célestin, un génie musical, semble-t-il. Cette communauté est pleine de surprises!»

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The long and winding road! Après un détour par l'archéologie, l'alpage, l'enseignement du français et le journalisme, Christian travaille depuis l'été 2015 dans notre belle Université. Son plaisir de rédacteur en ligne? Rencontrer, discuter, comprendre, vulgariser et par-ta-ger!

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