La médecine intégrative, trait d’union entre deux mondes de la santé trop longtemps dissociés, a une place privilégiée dans le cursus médical de l’Université de Fribourg. Le premier article de cette mini-série met en lumière les avantages d’une consultation intégrative, aussi bien pour les patient∙e∙s que pour les soignant∙e∙s.
Le système de santé occidental est depuis longtemps clivé en deux camps qui ne communiquent guère, sinon pour se dévaloriser mutuellement. D’un côté, la médecine classique, fondée sur des faits mesurables et reproductibles, dont les méthodes d’intervention sont usuellement focalisées sur l’impact biochimique des médicaments ou le raccommodage chirurgical. De l’autre côté, les thérapies complémentaires, aux fondements empiriques et visant à rééquilibrer les processus vitaux en agissant non-seulement sur la physiologie, mais également sur les sphères psychique, énergétique ou même spirituelle de l’être humain.
Prendre le meilleur des deux mondes
Depuis peu, le dialogue commence à s’établir entre ces deux mondes qui semblaient jusqu’ici opposés, et cela grâce à un concept développé aux Etats-Unis dans les années 1990: la médecine intégrative. «L’idée, c’est de prendre le meilleur de la médecine pour les patient∙e∙s, sans a priori», indique Pierre-Yves Rodondi, directeur de l’Institut de médecine de famille (IMF) de l’Université de Fribourg. Ce médecin généraliste, lui-même formé en homéopathie, considère que, tant qu’il est utile et ne présente pas de risque, tout traitement vaut la peine d’être envisagé. «Il s’agit de prendre le patient ou la patiente dans sa globalité, en tenant compte de ses propres valeurs, ce qui est un élément très important dans les choix thérapeutiques», ajoute-t-il.
Cette notion est particulièrement importante aux yeux d’Olivier Pasche, vice-directeur de l’IMF et également médecin de famille. Selon lui, il manque parfois aux praticien∙ne∙s en médecine classique la «perspective de l’anthropologue, c’est-à-dire un intérêt au référentiel de l’autre au travers d’un regard qui cherche à s’affranchir de ses propres conditionnements ». En plus d’amener à une meilleure compréhension de l’univers de ses patient∙e∙s, cette ouverture d’esprit permet de se rendre compte du champ des pratiques thérapeutiques existantes, qui dépasse largement celui de la médecine conventionnelle. Car la réalité, c’est qu’une majorité de la population a recours, de temps à autre, à un remède non-conventionnel, qu’il s’agisse d’une infusion de camomille ou d’une séance d’acupuncture. «Le corps médical a beaucoup plus séparé les médecines que la patientèle», souligne le Professeur Rodondi. Par conséquent, un médecin ayant une certaine connaissance des thérapies complémentaires est plus à même d’établir une relation de partage avec ses patient∙e∙s et ainsi de les aider à naviguer de manière optimale dans leur parcours de soins.
Agrandir sa boîte à outils
En cultivant cet état d’esprit dans son activité clinique, le Docteur Pasche a lui-même, petit à petit, développé un attrait pour certaines disciplines complémentaires telles que la médecine psychosomatique et la phytothérapie. Ainsi, une approche intégrative représente un réel atout non seulement pour la patientèle, mais également pour le ou la médecin qui enrichit sa pratique en ajoutant des cordes à son arc. «Dans certaines situations, la médecine conventionnelle n’a pas beaucoup de réponses», explique le Professeur Rodondi, il s’agit d’utiliser le bon outil au bon moment, dans les bonnes conditions et avec les bons thérapeutes.»
Quand la médecine classique donne sa langue au chat
Parmi les problématiques de santé auxquelles la médecine conventionnelle peine à faire face, on peut citer la vaste catégorie des troubles fonctionnels, qui comprend, par exemple, les maux de ventre, les maux de tête, les insomnies ou encore les douleurs musculosquelettiques. «On a très peu de connaissances dans ces domaines-là et, pourtant, c’est une énorme part de notre pratique», reconnaît le docteur Pasche. «On est souvent désemparés, poursuit-il. La tendance est de prescrire des médicaments par analogie avec d’autres pathologies, sans vraiment avoir une approche taillée sur mesure.»
Pour les douleurs de type fonctionnel, il existe pourtant une spécialité bien adaptée et reconnue par la FMH (Foederatio Medicorum Helveticorum, ou Fédération des médecins suisses): la médecine manuelle. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une thérapie complémentaire en tant que telle, son apprentissage nécessite une formation additionnelle, état de fait que Vincent Amstutz, spécialiste de cette discipline, regrette: «Je me bats plutôt pour que cela fasse partie de la formation des généralistes, car les problématiques fonctionnelles douloureuses sont si fréquentes que, selon moi, cela devrait relever d’une logique de médecine classique.»
Des autosoins qui soutiennent la guérison
Une autre force de la médecine intégrative, c’est qu’elle permet souvent «de redonner au ou à la patient∙e sa capacité à faire des choses pour sa santé par lui-même ou elle-même», comme l’explique le Professeur Rodondi. En effet, il est assez courant, notamment en médecine manuelle, de conseiller des mouvements spécifiques à faire chez soi pour améliorer la mobilité ou soulager la douleur. Dans la même idée, la prescription de certaines plantes s’est bien démocratisée depuis que leurs mécanismes d’action sont connus. Tout en rendant les patient∙e∙s plus autonomes, les autosoins de ce type permettent de diminuer la prise de médicaments, ce qui, au passage, réduit l’impact environnemental de la prise en charge. Si de telles mesures ne suffisent pas toujours à soigner une affection, elles peuvent se combiner avec un traitement classique afin d’en augmenter l’efficacité ou d’en réduire la durée.
- Institut de médecine de famille
- Photo de bannière par Samuel Jaton
- Portrait de Pierre-Yves Rodondi et Olivier Pasche par Léa Chabaud
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