Chassés en mars des prisons de Bulle où ils avaient trouvé un havre temporaire, les 2000 objets ethnographiques glanés par les premiers anthropologues de l’Université de Fribourg ont finalement pu trouver un nouveau foyer. Après une angoissante période d’incertitude, les membres de l’Association Pro Ethnographica ont déniché des locaux adaptés au Marly Innovation Center. Alors que l’emménagement est en cours, Milène C. Rossi, présidente de l’association, et Hans Werhonig, membre du comité, ne cachent pas leur soulagement.
En décembre, nous vous avions rencontrés presque désespérés car les 2000 objets de votre précieuse collection risquaient de se trouver à la rue.
Nous ne dirions pas désespérés mais plutôt «embêtés». Au sein de Pro Ethnographica, nous travaillons toutes et tous bénévolement et nos disponibilités sont donc limitées. Devoir gérer cette situation en marge de nos emplois respectifs n’était évidemment pas très confortable. Cela dit, nous n’avons même pas eu le temps de nous faire du souci. Peut-être que nous étions même dans le déni!
Comment avez-vous réussi à débloquer la situation?
Nous avons frappé à de nombreuses portes, principalement à Fribourg, d’où viennent les membres du comité, ce qui a permis d’établir des contacts et de visiter des locaux sur place. Nous avons eu de multiples échanges très intéressants avec beaucoup de personnes qui se sont montrées très solidaires et nous ont donné de nombreuses pistes. Qu’elles en soient chaleureusement remerciées!
Et j’imagine que, pour corser le tout, stocker cette précieuse collection requiert des conditions particulières?
Il est vrai que nous avons des exigences bien spécifiques: il nous faut de l’espace, une certaine sécurité afin d’éviter les vols, des pièces dont la température et le taux d’humidité soient sous contrôle et facilement accessibles de surcroît. Tout cela à un prix abordable, bien sûr.
C’est donc ainsi que vous avez jeté votre dévolu sur le Marly Innovation Center (MIC)?
C’est David Da Cruz, l’un de nos collègues fribourgeois, qui nous en a suggéré l’idée. Il s’est avéré qu’Anne Lachat, l’une des membres de notre comité, connaissait très bien Jean-Marc Métrailler, le directeur du MIC. Hans Werhonig, Thomas Merz, Anne Lachat et Ming Liu Baier ont visité les lieux et le contact humain a fait le reste.
Ces locaux qu’occupait auparavant l’entreprise Ilford conviennent-ils au stockage des objets de votre collection?
Nous avons évalué les risques potentiels avec Valentin Boissonnas de la Haute-Ecole ARC de Neuchâtel. Grâce à son expertise, nous avons pu neutraliser les possibles dangers, tels que l’excès de lumière et la présence d’insectes indésirables.
L’argent étant le nerf de la guerre, le loyer est-il abordable?
Il est tout à fait abordable pour le nombre de mètres carrés à disposition. Rien n’est gratuit cependant et il est clair que la responsabilité d’une telle collection ne saurait reposer éternellement sur les frêles épaules de bénévoles. Nous avons notamment pu bénéficier de l’aide financière de l’Office fédéral de la culture et de la Loterie Romande pour un projet, mais nous explorons plusieurs pistes, dont celle de l’Université de Fribourg, où ont été stockés ces objets durant des décennies. Nous verrions d’un bon œil un coup de pouce de la part de cette dernière en échange d’un accès total à notre collection. Quant à l’argent des contribuables, nous préférons ne pas y avoir recours ou ne l’utiliser qu’avec une extrême parcimonie.
Et y a-t-il une nouvelle date butoir à partir de laquelle vous devrez à repartir?
Nous avons signé un bail pour une durée de 10 ans, ce qui est long et nous permettra d’éviter de retraverser une phase d’incertitude comme celle que nous venons de connaître.
L’histoire coloniale a le vent en poupe, avez-vous pu créer des synergies avec des chercheuses et chercheurs, notamment de l’Université de Fribourg?
Nous avons eu la chance d’avoir été invités à l’après-midi de présentations qui précédait le Café Scientifique de l’Université de Fribourg intitulé «Décoloniser les musées. L’heure et l’art de se réorienter». Des étudiant·e·s y ont exposé leurs recherches menées sur les collections de Pro Ethnographica. Il nous semble que l’intérêt est là. C’est un bon signe. Nous encourageons vivement le corps enseignant et les étudiant·e·s à prendre contact avec nous car la collection doit vivre et ne pas rester dans ses boîtes, même si elles sont très jolies.
Certains objets sont très beaux et ont une grande valeur ethnographique. Le public non initié pourra-t-il également en profiter?
Tout le monde est le bienvenu. Il suffit de faire une demande à Pro Ethnographica. Nous organisons des visites pour des groupes jusqu’à douze personnes. Cela dit, il faudrait que nous puissions mettre des objets en valeur, mais installer des vitrines prendrait de la place et s’avérerait dispendieux. En dehors de nos locaux, nous avons établi des contacts avec de potentiels lieux d’exposition grâce aux recherches de Sylvia Hobbs, qui a travaillé pour nous. Nous souhaiterions également beaucoup que des étudiant·e·s mettent sur pied une exposition. Cela constituerait une excellente préparation à la vie professionnelle, par exemple dans le cadre d’un module d’histoire de l’art, d’anthropologie, de science des religions, de muséologie ou autre.
Pour finir, ces écueils ne vous font-ils pas regretter de vous être embarqués dans la galère Pro Ethnographica?
Sur le plan humain, nous sommes une très bonne équipe, ce qui permet des échanges ouverts et, surtout, d’affronter sereinement les difficultés. Les quelques désagréments passagers ne rendent que plus belle l’aventure Pro Ethnographica!
- Pro Ethnographica
- Photo: © Stéphane Schmutz / STEMUTZ.COM
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