«La loi suisse protège davantage que celle de nombreux autres pays»

«La loi suisse protège davantage que celle de nombreux autres pays»

Biologiste en post-doc à l’Université de Fribourg, Noémie Frezel s’active au sein du réseau de réflexion scientifique Reatch pour un débat informé, transparent et apaisé sur la question de l’expérimentation animale, enjeu de l’initiative populaire du 13 février prochain. Elle nous décrit le sens de son engagement.

Noémie Frezel, comment est né votre intérêt pour cette question de l’expérimentation animale?
Ma motivation trouve sa source avant tout dans les discussions menées au sein de Reatch, même si j’étais déjà bien consciente de l’importance du sujet auparavant. En Suisse, la possibilité de s’exprimer directement sur des questions de société grâce aux votations est une chance pour la démocratie. Néanmoins, cela implique une grande responsabilité de la part des actrices et acteurs du monde scientifique pour communiquer clairement et ouvertement avec le grand public. C’est vrai en général, mais cela devient particulièrement évident lorsqu’il s’agit d’une question comme celle de l’expérimentation animale, qui pourrait affecter l’ensemble de la communauté scientifique suisse. Elle aurait des conséquences sur de très nombreux domaines, parmi lesquels la qualité de la recherche dans le pays, la compétitivité des universités, mais aussi la recherche médicale et la capacité de la Suisse à trouver/utiliser des traitements pour de nombreuses maladies.

Il est important que les gens aient accès à des informations fiables et transparentes pour alimenter un débat constructif, plutôt qu’à des disputes idéologiques, souvent alimentées d’informations détournées ou fallacieuses circulant sur Internet.

La Suisse possède l’une des lois sur la protection des humains et des animaux les plus sévères au monde. L’initiative serait-elle superflue? Cette protection existe-t-elle pour ainsi dire déjà?
La loi suisse protège davantage que celle de nombreux autres pays, en Europe et ailleurs. Une conséquence, peut-être négligée par les opposants à l’expérimentation animale en Suisse, est que celle-ci risquerait d’être «exportée», réduisant ainsi le rayonnement et la qualité de la recherche helvétique, mais malheureusement pas les souffrances animales. En effet, les expériences risquent d’être réalisées dans de moins bonnes conditions, dans des pays où la règlementation est moins stricte.

Si l’on refuse également d’importer des traitements issus de ces recherches, le système médical et la qualité des soins seront grandement affectés et les gens qui en ont les moyens iront se faire soigner à l’étranger. Cela représenterait un grand frein à l’égalité d’accès aux soins et affecterait de nombreuses personnes en situation difficile.

Que signifierait l’acceptation de l’initiative pour la recherche en général? Pourquoi nuirait-elle à la recherche médicale en particulier, et qu’en est-il des répercussions sur l’économie?
Une telle interdiction mettrait fin à une grande partie de la recherche préclinique, biomédicale et clinique, mais aussi à la recherche fondamentale. Elle pourrait conduire à un départ de Suisse de chercheuses et chercheurs de renommée mondiale pratiquant dans ce domaine et à une baisse de la qualité de l’enseignement, notamment en sciences de la vie. Bref, à une diminution de l’attractivité générale de la Suisse pour les scientifiques. L’industrie pharmaceutique serait aussi fortement affectée, de même que toutes sortes d’investissements liés à la recherche médicale. La recherche vétérinaire, autrement dit le savoir-faire et les traitements nécessaires pour soigner les animaux d’élevage, serait aussi compromise.

Supprimer purement et simplement l’expérimentation animale, serait-ce la fin de la recherche médicale?
Je me permets, à ce sujet, de citer le Fonds National Suisse et les Hautes Ecoles Suisses, pour qui une telle interdiction «restreindrait drastiquement la recherche sur les animaux et les êtres humains, et notamment les essais cliniques et psychologiques, ainsi que les études en sciences du sport réalisées avec des êtres humains. La recherche relative à la détention des animaux d’élevage et de compagnie, et aux soins médicaux qui leur sont apportés, ne serait également plus autorisée». L’Académie des sciences naturelles déclare pour sa part que l’on ne peut pas se passer de l’expérimentation animale, car «la recherche biomédicale reste tributaire d’animaux de laboratoire, d’une part pour la recherche fondamentale et, d’autre part, pour le développement de médicaments, vaccins et autres traitements efficaces et sûrs. La recherche clinique se fonde sur les connaissances acquises grâce à la recherche fondamentale. Il existe, en outre, des questions scientifiques qui ne peuvent pas, actuellement, être étudiées à l’aide de méthodes de substitution».

De nombreux scientifiques témoignent aussi de l’impossibilité au quotidien de continuer à travailler sur un grand nombre de maladies et de traitements. C’est justement pour entendre la voix de ces chercheuses et chercheurs que Reatch propose une semaine d’information sur les réseaux sociaux du 23 au 30 janvier. Parallèlement, d’autres événements et débats sont organisés. J’invite toutes les personnes intéressées à regarder le site et à suivre le fil twitter de Reatch pour en être informées.

Quelles sont les différentes formes d’expérimentation animale? Y en a-t-il de plus invasives que d’autres?
On parle de degré de sévérité pour classifier la «gravité» du stress subi par les animaux. Ce degré doit être anticipé dans la demande d’autorisation et monitoré tout au long d’une expérience. Par ailleurs, toutes les mesures visant à réduire le stress et la douleur doivent être mises en œuvre et détaillées dans une demande d’approbation. Selon l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires, en 2019, 39% de tous les animaux de laboratoire en Suisse entraient dans la catégorie du niveau de gravité 0; 30% ont été exposés à un niveau de gravité 1 (stress léger), un peu moins de 28% ont été exposés à des tests de niveau de gravité 2 (stress moyen) et 3% à un niveau de gravité 3 (stress important -– ce niveau est fortement découragé lors des demandes d’autorisation et doit être justifié par un gain important pour l’humain). Dans mon expérience portant sur les souris, les procédures «invasives» comportant une chirurgie ou une anesthésie – même peu importantes – sont au minimum classées de sévérité 2.

L’initiative exprime une position extrême, car l’expérimentation animale et humaine est déjà, autant que possible, remplacée par des méthodes alternatives en Suisse. Quelles sont-elles?
Le droit suisse exige que l’on renonce aux expériences sur les animaux lorsque cela est possible. Toutes les expérimentations doivent suivre la règle des 3R – réduire, remplacer, raffiner – pour minimiser et améliorer l’utilisation des animaux. Les cultures de cellules et de tissus, les simulations informatiques ou les approches de type «organ chip» (approches non animales qui tentent de simuler des systèmes d’organes entiers), qui sont de plus en plus utilisées, sont des exemples de méthodes non animales dites «alternatives». Il est important de souligner que même le développement de ces méthodes non animales dépend de l’expérimentation animale. Les résultats de cette dernière sont souvent à l’origine de nouvelles méthodes. Les organes miniatures, appelés «organoïdes», en sont un bon exemple. D’autres tests, autrefois réalisés sur des animaux, comme la capacité d’une substance à déclencher de la fièvre, sont aujourd’hui réalisés sur des cultures de cellules humaines.

Peut-on exclure complètement les effets indésirables potentiellement graves d’un médicament après un test animal?
Malheureusement non, en raison, entre autres, du nombre d’animaux testés et du fait que certains effets secondaires n’apparaissent que lorsque le médicament est testé dans des conditions «réelles»: pour détecter des effets secondaires très rares, un plus grand nombre d’animaux et d’humains serait souvent nécessaire dans le cadre d’essais précliniques et cliniques. Cependant, cela ne pourrait pas toujours être justifiable et possible d’un point de vue éthique, économique et logistique. Les tests sur les animaux bien réalisés ont une valeur prédictive importante, notamment pour les effets graves ou fréquents, c’est pourquoi ils sont réalisés avant les essais sur l’homme pour qui certains risques ne seraient pas acceptables.

A l’aune de l’avancée de la recherche génétique à laquelle on assiste actuellement – avec les vaccins à ARN messager notamment – la recherche animale n’est-elle pas amenée à disparaître progressivement dans la mesure où la génétique humaine n’est pas du tout comparable à la génétique animale ?
Je ne pense pas, car c’est souvent un préalable à la recherche clinique. Les expériences sur les animaux ont une grande valeur prédictive et sont souvent nécessaires pour ne pas «tester» des méthodes ou traitements qui présenteraient des risques directement chez les humains. Elles permettent aussi de comprendre et de modéliser des maladies, afin de définir en amont la direction de la recherche de traitement. La possibilité d’utiliser des technologies basées sur l’ARN sont un parfait exemple de l’importance de la recherche fondamentale, avec ou sans animaux. A l’origine, des scientifiques étaient juste curieux de découvrir le fonctionnement d’une molécule présente dans l’ensemble du monde vivant – mais pas du tout dans l’idée de développer des médicaments. Aujourd’hui, 30 à 40 ans plus tard, on se sert de ces connaissances pour développer des outils biotechnologiques servant à produire vaccins et autres médicaments. Et sauver ainsi des millions de vies.

Une semaine d’échanges et de discussions
En vue de l’initiative populaire du 13 février «Oui à l’interdiction de l’expérimentation animale et humaine – Oui aux approches de recherche qui favorisent la sécurité et le progrès», le groupe de réflexion scientifique Reatch organise un événement en ligne du 23 au 30 janvier, dans l’idée d’offrir une meilleure visibilité à des informations factuelles et vérifiées sur l’expérimentation animale et humaine, et de permettre aux chercheuses et chercheurs actifs en Suisse dans ce domaine de s’exprimer. L’idée est de donner l’occasion au plus grand nombre de comprendre vraiment comment ces questions sont réglementées en Suisse. De fait, l’expérimentation animale place devant un dilemme fondamental: d’une part, on ne veut pas infliger de douleur aux animaux; d’autre part, la société veut profiter des connaissances biomédicales et aider les personnes malades. Ce dilemme est réel, complexe, et il le restera encore longtemps. D’où la nécessité d’un débat à la fois ouvert et scientifiquement fondé sur la question.
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  • Noémie Frezel a grandi en région parisienne. Elle a effectué des études de biologie à l’Ecole Normale Supérieure de Cachan, où elle a passé l’agrégation. Après un stage de recherche en neurosciences d’un an à San Francisco, elle est revenue finir son master dans cette discipline à Paris, à l’Université Pierre et Marie Curie. En septembre 2015, elle a choisi Zurich pour faire sa thèse. Elle est actuellement en post-doc à l’Université de Fribourg.
  • Page concernant la protection des animaux à l’Université de Fribourg
  • Plus d’informations sur les procédures d’approbation des études impliquant des animaux sur le site de Reatch
  • De plus amples informations sur les méthodes ne faisant pas appel aux animaux sur Reatch
  • Portail thématique sur «L’expérimentation animale» de l’Académie suisse des sciences naturelles:

Author

Journaliste généraliste formée à l’Unifr et résidant à Berne, elle est née à Madagascar et y a passé son adolescence. Passionnée d’écriture, elle travaille actuellement au Service Communication de l’Académie suisse des sciences naturelles et s’est spécialisée en communication scientifique ces dernières années. Curieuse de tout et grande voyageuse dans l’âme, elle est rédactrice indépendante à ses heures.

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