Le Centre national de référence pour la détection précoce et la surveillance de nouvelles résistances aux antibiotiques (NARA), créé en 2017 par le Professeur Patrice Nordmann, a élu domicile à la Section de médecine de l’Université de Fribourg. Il est chargé d’identifier et de surveiller l’émergence de nouvelles souches de bactéries résistantes aux antibiotiques au niveau suisse.
Les activités du NARA sont réparties entre l’Université de Fribourg et le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne. A Fribourg, le nouveau pavillon de médecine du campus de Pérolles abrite un spacieux laboratoire de niveau biosécurité 2, avec une extension de biosécurité 3, le seul laboratoire de ce type dans le Canton de Fribourg. C’est là que l’équipe du Professeur Patrice Nordmann analyse les échantillons de bactéries résistantes aux antibiotiques que leur envoient les laboratoires médicaux (hôpitaux publics et privés, cliniques, laboratoires indépendants) de tout le pays, afin de déterminer s’il s’agit de résistances connues ou de nouvelles souches émergentes. Le NARA cherche aussi à comprendre les mécanismes moléculaires des nouvelles résistances, à développer de nouveaux outils de diagnostic pour les hôpitaux et à mesurer l’efficacité des nouveaux antibiotiques.
La prochaine catastrophe sanitaire?
Les bactéries résistantes aux antibiotiques présentent, à terme, une grave menace de santé publique. Depuis la découverte de la pénicilline, les bactéries se sont engagées dans une véritable course à l’armement: au fur et à mesure que les scientifiques et l’industrie pharmaceutique mettent au point de nouveaux antibiotiques, elles opposent de nouvelles résistances. Comme les bactéries sont capables d’échanger des gènes même entre différentes espèces, les nouvelles résistances aux antibiotiques peuvent se répandre rapidement, compliquant le traitement de nombreuses infections dans le monde entier. Avec le temps, les bactéries résistantes se font de plus en plus communes et l’humanité risque de se retrouver désarmée face aux infections bactériennes, comme avant la découverte de la pénicilline.
«La situation était dramatique il y a une dizaine d’années», explique le Docteur Laurent Poirel, collaborateur du NARA. «Le développement de nouveaux antibiotiques s’avérait trop lent pour suivre les nouvelles résistances chez les bactéries. Les grandes industries pharmaceutiques avaient levé le pied, car la recherche de nouveaux antibiotiques coûte très cher et ne rapporte pas autant que d’autres médicaments. Mais, ces dernières années, des start-ups ont pris le relais. Celles qui réussissent sont ensuite rachetées par de grandes compagnies, qui disposent de capacités de production et de distribution à large échelle. La situation me paraît ainsi beaucoup plus saine aujourd’hui.»
Des bactéries à «désamorcer»
Développer de nouveaux antibiotiques constitue l’un des volets de cette course aux armements, l’autre consistant à ralentir le développement des bactéries résistantes. C’est dans ce contexte que s’inscrit le travail du NARA. Quand un échantillon de bactérie arrive au laboratoire de l’Université de Fribourg, c’est qu’il s’est déjà montré résistant à certains antibiotiques dans un laboratoire médical de Suisse moins équipé. Le groupe se lance alors dans l’enquête: à quoi la bactérie résiste-t-elle, quels mécanismes moléculaires utilise-t-elle, et l’a-t-on déjà vue quelque part dans le monde? Le groupe a, par exemple, identifié récemment une variante résistante de bactéries intestinales, détectée aussi en Allemagne [voir encadré].
Un cadre d’études et de recherche stimulant
L’équipe dirigée par le Professeur Patrice Nordmann offre des conditions de recherche idéales pour les étudiant·e·s en thèse et les jeunes chercheuses et chercheurs: la combinaison d’un sujet très utile à la société, scientifiquement passionnantet prolifique au niveau des résultats. Les deux membres seniors du groupe appartiennent depuis plusieurs années à la «liste des chercheurs les plus cités dans le monde», démontrant l’impact de leur recherche. L’Unifr contribue, à travers eux, à un effort de santé publique important pour l’après-covid, afin de garder un coup d’avance dans la lutte contre les bactéries résistantes.
Une malade se retrouve à l’Hôpital cantonal du Valais à Sion pour traiter une infection particulièrement tenace. Le laboratoire local constate que la bactérie responsable de l’infection, une variante de la bactérie intestinale E. coli, résiste aux antibiotiques classiques et même aux antibiotiques de la classe des carbapenèmes, que l’on utilise en général en dernier recours.Un échantillon de la bactérie responsable est transmis au NARA à Fribourg, qui se penche sur le cas et découvre la similitude de la bactérie avec des spécimens de E. coli retrouvés ailleurs en Suisse. Les chercheurs identifient l’enzyme produite par la bactérie qui lui permet de résister aux antibiotiques de dernier recours: une enzyme capable de briser la molécule active des carbapenèmes. Ils localisent même le gène qui produit cette enzyme dans l’ADN de la bactérie, une séquence d’environ 1000 paires de bases, les «lettres» génétiques. Ces gènes se situent sur un plasmide, ces petits anneaux d’ADN très mobiles qui permettent aux bactéries d’échanger les mécanismes de résistance aux antibiotiques entre différentes espèces.Enfin, les spécialistes du NARA constatent, en contactant leurs collègues allemands, que cette même variante de E. coli a été détectée à plusieurs endroit dans l’Etat de Hesse. On est donc en présence d’une résistance qui se répand à travers l’Europe et pour laquelle des outils diagnostiques doivent être mis en place.Le groupe peut maintenant envisager la mise au point d’un diagnostic rapide pour cette souche de super-bactéries, qu’elle tentera de rendre le plus simple, bon marché, et rapide possible.
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- Image de une: illustration 3d de bactéries Pseudomonas aeruginosa résistante aux antibiotiques
- Photos: © Daniel Wynistorf (Prof. Nordmann) et Christian Doninelli (Docteur Poirel) – Unicom
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