Pour son mémoire de Master, Paola Garcia Lopes pouvait difficilement voyager plus loin. L’étudiante en histoire contemporaine de l’Université de Fribourg s’est rendue en juillet dernier à l’extrême sud du Chili et au Brésil, sur les traces des émigrants fribourgeois du XIXe siècle.
Quand d’aucuns choisissent un sujet de mémoire en fonction de sa commodité – vite fait, bien fait, histoire de parachever rapidement leurs études – il en est d’autres qui préfèrent sauter à pieds joints dans la difficulté. Paola Garcia Lopes est de ceux-là, elle qui revient tout juste d’un périple à plus de 13’000 kilomètres de notre Université. Son double terrain de recherche: Nova Friburgo, ville brésilienne fondée par des colons fribourgeois en 1819 et Punta Arenas, bourgade chilienne où débarquèrent une poignée de Fribourgeois dans le dernier quart du XIXe siècle. Son mémoire a pour ambition de découvrir ce que la Suisse a laissé comme empreintes matérielles (noms de rue, monuments commémoratifs) et immatériels (chants populaires, recettes, souvenirs personnels, etc.).
Revenue de son aventure, Paola pourrait se donner des airs de baroudeuse et, pourtant, à nul moment on ne l’entendra se gargariser de son voyage. Elle concède d’ailleurs, presque fataliste, qu’il lui aurait été difficile d’aller contre sa propre nature: «J’aurais, bien sûr, pu me lancer dans un mémoire sur une thématique locale, mais j’ai besoin de motivation pour produire un travail de qualité.»
Dis-moi ce que tu étudies, je te dirai qui tu es
La motivation constitue un moteur, bien sûr, mais le déclencheur de ce voyage a des causes bien plus profondes, psychologiques même: Paola est le fruit d’une émigration, mais en sens inverse, puisque son père, brésilien, a posé ses bagages en Suisse. «Il faudra clairement que j’évoque cela dans mon travail, reconnaît-elle, car il y a toute la problématique de l’objectivité du chercheur. Je suis d’origine brésilienne, je suis retournée au Brésil pour recréer un lien avec mes racines et, sur quoi est-ce que je travaille, sur les retrouvailles et les questions identitaires!»
Un mémoire sur… la mémoire des descendants des Suisses
Juillet 2017, Paola débarque à Punta Arenas, près de 140 ans après les émigrants fribourgeois, en plein hiver austral: «Tout au long de mon séjour, je me suis demandé comment ils ont survécu là-bas. Moi, avec mes habits et ma voiture, je mourrais de froid!»
Là-bas, elle rencontre des Pittet et des Baeriswyl qui, à en juger par la physionomie, n’ont rien de fribourgeois. Toutefois, à y regarder de plus près, le temps n’a pas complètement érodé le substrat helvétique. Paola en veut pour preuve une spécialité locale, la tarte à la rhubarbe, un dessert qui appartient à notre patrimoine culinaire. Un certain souvenir des origines semble également s’être transmis de génération en génération, dans quelques familles du moins.
A Nova Friburgo, en revanche, il faudrait être aveugle pour ignorer l’empreinte helvétique. De nombreuses rues portent des noms suisses, on y rencontre des Kolly, des Ouverney (déformation du patronyme Overney) et des Murith. Le blason de la ville, lui aussi, trahit les origines fribourgeoises. «J’y ai même entendu un orchestre jouer Le vieux chalet», s’exclame Paola. Mais là aussi, hormis les patronymes, les gênes et quelques vestiges matériels, il ne subsiste rien de la Suisse, ni dans le langage, ni dans la culture. Le temps a fait son œuvre.
L’heure de se retrousser les manches est venue
Sur place, Paola a passé auxcrible les archives locales, épluché les journaux, et mené une série d’entretiens. L’étudiante a compilé une quantité impressionnante de documents, dont il faut maintenant extraire la substantifique moelle. «Comme je traite d’un sujet un peu flou, celui de l’identité et du souvenir, au final, je ne pourrai pas tirer beaucoup d’informations de toutes ces archives.»
De peur de se retrouver démunie, Paola va encore envoyer des questionnaires à six familles dans chacun des pays. «Je ne vais pas leur demander tout de go s’ils se sentent suisses. Je vais voir s’ils célèbrent le 1er août, s’ils ont mené des recherches généalogiques ou si leurs parents leur racontaient des histoires sur cette émigration.» Et de soupirer en songeant à la masse de travail qui l’attend.
Fribourgeoise d’origine brésilienne partie étudier les Brésiliens d’ascendance suisse, Paola ne savait pas dans quelle «galère» elle s’embarquait au moment de se lancer dans ce mémoire. Un voyage au bout d’elle-même, aux confins de l’histoire, de son histoire, là où tout a commencé.
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