«Le fédéralisme est le f word»

«Le fédéralisme est le f word»

Des Nord-coréens qui étudient en catimini les vertus du fédéralisme. Un Serbe qui pousse la chansonnette avec une Albanaise. Depuis qu’elle codirige l’Institut du fédéralisme de Fribourg, Eva Maria Belser a été à maintes reprises le témoin de scènes plutôt cocasses. Chaque mois, des délégations y affluent du monde entier pour y puiser les secrets de la bonne gouvernance. Des visites auxquelles s’associent parfois le Rectorat.

Comment expliquer que de si nombreuses délégations étrangères viennent ici à Fribourg?
Globalement, le fédéralisme et la décentralisation sont à la mode. En Suisse, on a tendance à penser que c’est un système un peu suranné, mais le reste du monde essaie de s’en inspirer. Les délégations, qui proviennent en général de pays en conflits, s’intéressent au cas suisse car, chez nous, cohabitent plusieurs communautés linguistiques et plusieurs religions.

Le fédéralisme est-il considéré comme la panacée universelle?
Tous les pays ont une hétérogénéité interne. Soit on la supprime, soit on l’accepte. Le cas échéant, le fédéralisme en découle tout naturellement, sous une forme ou sous une autre. Est-ce que l’Espagne va résoudre les tensions avec la Catalogne en clamant que le pays est de nature unitaire? Non, bien évidemment. Cela dit, nous ne nous limitons pas au fédéralisme, loin s’en faut! Nous abordons tout ce qui a trait à l’organisation de l’Etat, à la démocratie et aux droits humains.

La Suisse n’est pas le seul pays fédéraliste. Pourquoi venir chez nous?
C’est vrai. Les Etats-Unis, par exemple, sont un Etat de type fédéral, mais ce n’est pas un fédéralisme pluraliste. On y rencontre plusieurs langues mais une seule est reconnue. Sans compter que de nombreux pays se méfient des Etats-Unis, un pays grand et puissant. Idem pour l’Allemagne, grande puissance économique, de surcroît membre de l’Union européenne. La Suisse, elle, ne constitue pas une menace. Elle n’a pas d’«agenda caché». C’est pour cette raison que les Chinois aiment bien venir chez nous. Ils peuvent sans crainte nous poser des questions, même sur les droits humains!

D’où viennent les délégations étrangères?
Nous avons déjà accueilli des représentants de l’Afrique du Sud, de la Mongolie, des Philippines, de la Chine, du Nigéria, de l’Ethiopie, de la Somalie, du Maroc. En fait, tous les pays en conflits ou confrontés à la diversité nous sollicitent. Bien que cela soit, je le suppose, un pays homogène du point de vue culturel, des officiels de la Corée du Nord sont déjà passés entre nos murs. Les organisateurs nous avaient donné une longue liste des questions à éviter, sur le nucléaire, sur la santé de leur leader. Nous ne devions pas non plus leur demander la raison de leur visite. En fait, ils s’intéressaient au fédéralisme dans l’éventualité d’une réunion des deux Corées. Cela devait rester secret, mais la délégation l’avait ébruité, ce qui n’avait pas manqué d’effrayer la Corée du Sud.

Est-ce que vous accueillez aussi des délégations de pays européens?
Bien sûr! En 2014, peu avant le référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, nous avions reçu la visite de membres du Parlement du Royaume-Uni. Ils souhaitaient savoir comment accompagner le processus. Nous avons aussi des contacts suivis avec l’Espagne, la Catalogne, la Wallonie, le Val d’Aoste, le Sud Tyrol et même la France!

Et que proposez-vous? Un programme standard pour tout le monde ou un menu à la carte?
Les deux! Dans certains cas, nous tentons de cerner les besoins spécifiques de chaque délégation. Cela requiert beaucoup de travail, mais c’est passionnant. Nous avons le sentiment de faire quelque chose qui va être utile pour leur pays. Lorsque les visites sont organisées par la Confédération, nous proposons un programme plus standard où nous traitons des grands principes du fédéralisme, de la démocratie et des droits humains. Nous expliquons également le fonctionnement de notre système politique et institutionnel.

Prescrivez-vous des solutions pratiques?
Surtout pas! Nous refusons toujours de donner des réponses clé en main. Nous faisons du droit constitutionnel comparé. Nous présentons différents modèles de fédéralisme. Nous expliquons ce qui a fonctionné ou pas dans différents pays. Souvent les délégations souhaitent retourner dans leur pays en disant: «Les Suisses recommandent ceci ou cela», mais je refuse! Cela va à l’encontre de mes convictions personnelles et scientifiques.

Est-ce que vos cours ont déjà eu un impact concret?
Difficile de répondre de manière catégorique. Cela dit, ce qui m’étonne le plus, c’est que parmi les personnes qui sont passées chez nous, un nombre assez impressionnant est devenu membre d’un ministère ou d’un parlement. Pour ne citer qu’un exemple, en janvier dernier, lors d’une visite au Sri Lanka, on s’est rendu compte que cinq des ministres étaient des alumni de l’Institut du fédéralisme! Impressionné, l’ambassadeur de Suisse au Sri Lanka les a invités à l’ambassade. C’était presque une séance de cabinet!

Votre formation offre-t-elle d’autres «débouchés»?
Beaucoup sont devenus professeurs. D’autres, une fois rentrés au pays, ont rencontré quelques difficultés, surtout les Chinois, accusés d’avoir été «infectés par le virus du fédéralisme», comme ils disent.

Mais pour quelle raison?
On dit que le fédéralisme est le «f word», le mot qu’on ne peut pas prononcer dans certains pays, car on l’associe à la sécession, au partage du pouvoir et à la déstabilisation de l’Etat.

Voyagez-vous aussi pour le compte de l’Institut du fédéralisme?
A la fin du mois, je me rendrai à Trente, dans le nord de l’Italie, pour aborder la problématique des minorités nationales vivant hors de leur foyer d’origine. Pour faire un parallèle avec la Suisse, c’est comme avec le romanche. Les locuteurs sont plus nombreux à Zurich que dans les Grisons. Afin de protéger  la langue, il faut aussi agir à Zurich, ce qui implique donc de repenser le fédéralisme pour le flexibiliser. La problématique est plus ou moins similaire en Ethiopie.

Quel accueil vous réserve-t-on à l’étranger?
Au Sri Lanka, nous faisions la une des journaux presque tous les jours, pas toujours positivement d’ailleurs: «Maintenant, les Suisses viennent nous dire comment faire!» a-t-on pu lire. D’aucuns ont prétendu que nous allions rédiger leur constitution. Nous avions expliqué que notre rôle se limitait à partager des idées et des expériences.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce travail?
Ce que j’apprécie le plus, c’est l’interaction qui existe entre les ressortissants des différents pays. Peu après la déclaration d’indépendance du Kosovo, un Serbe et une ressortissante du Kosovo ont participé à notre université d’été. Ils ne se parlaient pas et se tenaient aux extrémités opposées de la salle. Un jour, la jeune dame du Kosovo s’est exclamée «I have never been to Serbia!», ce à quoi le ressortissant serbe a répondu «But you live in Serbia! ». Durant les trois semaines qui ont suivi, l’ambiance a été électrique. Pourtant, au traditionnel repas de clôture, ils se sont embrassés, ils ont chanté ensemble, en serbe et en albanais! Un moment magique!

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Mars 2015, L’Université de Fribourg recevait une délégation du Myanmar.


Fabian Amschwand, secrétaire générale de l’Université de Fribourg, donnait, au mois de mars dernier, pour la première fois, un cours à une délégation venue du Myanmar. Il raconte cette expérience.

Votre intervention concernait-elle aussi le fédéralisme?
J’ai présenté le système des hautes écoles suisses, qui est un exemple intéressant de coordination entre cantons et Confédération. Hormis l’EPFL et l’EPFZ, les universités et les hautes écoles ont un ancrage cantonal, mais Berne, au niveau fédéral, a aussi son mot à dire en ce qui concerne la politique de la formation et de la recherche.

Pour quelles raisons le Myanmar s’intéresse-t-il au système éducatif suisse?
Aujourd’hui, développer la formation revêt une grande importance au Myanmar. Ce pays souhaite s’inspirer de notre organisation fédéraliste du domaine des Hautes Ecoles. Je me suis rendu compte que la délégation s’intéressait particulièrement aux aspects d’autonomie, de bilinguisme, de financement, ainsi que de coordination et d’assurance qualité. Il était intéressant pour les participants birmans de comprendre le fonctionnement du système helvétique et, surtout, sa mise en place d’un point de vue historique. Rome ne s’est pas faite en un jour!

Est-ce bien le rôle de l’Université de Fribourg de prendre part aux processus politiques de pays étrangers?
J’ai la conviction profonde que cela montre que nous, les universitaires, ne sommes pas prisonniers dans une tour d’ivoire. Le rôle des universités consiste – entre autres – à apporter, par la science, une contribution en faveur du développement social, économique et politique. Personnellement, j’adore transmettre ce que je sais. D’autant plus que, ces dernières années, j’ai fait beaucoup de recherche sur la gouvernance dans les hautes écoles. L’Institut du fédéralisme est le parfait exemple de l’interface entre la science et la pratique.

Selon vous, le fédéralisme peut-il contribuer au développement politique et culturel d’un pays?
Effectivement car la plupart des pays sont multi-ethniques et multireligieux. Le fédéralisme est l’un des outils principaux pour sauvegarder la paix, mais on ne peut pas se contenter de faire du copié-collé.
Je tiens aussi à rappeler que l’Université de Fribourg est elle-même un pur produit du fédéralisme. Elle a été créée pour donner une université aux catholiques. A l’époque, les universités se trouvaient toutes dans les cantons protestants, chez les gagnants de la guerre du Sonderbund. Sa création visait à former une élite catholique. Aujourd’hui, 125 ans plus tard, l’Université de Fribourg est ouverte sur le monde, bilingue et contribue au rayonnement du Canton.

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Author

Exerce d’abord sa plume sur des pages culturelles et pédagogiques, puis revient à l’Unifr où elle avait déjà obtenu son Master en lettres. Rédactrice en chef d’Alma & Georges, elle profite de ses heures de travail pour pratiquer trois de ses marottes: écrire, rencontrer des passionnés et partager leurs histoires.

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