Le mot de la RectricePublié le 01.12.2021

Science et politique: des responsabilités partagées


Depuis maintenant presque deux ans, la vie quotidienne et la vie professionnelle en Suisse et ailleurs sont façonnées par la pandémie. Cette situation implique beaucoup de défis à tous les niveaux; mais elle a aussi le mérite de mettre en lumière une thématique d’intérêt général, à savoir les rôles respectifs de la science et de la politique. Des scientifiques – notamment dans les domaines de la virologie et de l’épidémiologie – sont omniprésents et leur avis est très sollicité.

Si cette présence de la science est réjouissante dans le sens qu’il vaut mieux baser les décisions tant individuelles que politiques sur une analyse aussi objective que possible et, partant, sur des connaissances scientifiques, il n’en demeure pas moins que le rôle des scientifiques et des responsables politiques est très différent: la science est appelée à fournir les bases scientifiques pour que les décisions politiques (et individuelles) puissent être prises en connaissance de cause. Toutefois, elle ne saurait fournir des réponses toutes faites à la question de savoir comment il convient de réagir face à tel ou tel problème ou telle ou telle situation. Une telle attente méconnaîtrait non seulement les caractéristiques de la science (qui est en constante évolution) mais ne tiendrait pas compte non plus de la responsabilité des organes politiques qui sont appelés à procéder à des pesées d’intérêts et à des évaluations des chances et des risques des décisions à prendre. En ce sens, même s’il y a des évidences scientifiques, les conclusions quant aux mesures exactes à prendre sont beaucoup moins évidentes.

C’est pourquoi, le dialogue entre la science et la cité, tout comme les débats académiques et scientifiques sont nécessaires et constituent un élément essentiel en vue des décisions politiques, souvent d’une grande complexité. Le débat se basant sur les connaissances de la science et de faits concrets, tout en respectant les appréciations différentes des nôtres et les opinions d’autres personnes fait partie d’un Etat de droit et d’une démocratie, et c’est la responsabilité des organes politiques de prendre les décisions nécessaires selon les procédures prévues dans notre Constitution et notre législation.

Une prochaine échéance dans ce contexte est l’initiative pour l’interdiction de l’expérimentation animale et humaine sui sera soumise au peuple et aux cantons le 13 février 2022. D’après l’appréciation de swissuniversities, l'acceptation de cette initiative empêcherait notamment la recherche biomédicale et de nouveaux traitements médicaux. La qualité des soins médicaux et la recherche responsable menée en Suisse au service de la population et de l'environnement seraient ainsi mises en péril. En effet, l’initiative entend interdire toute forme d'expérimentation sur des animaux et des êtres humains, ainsi que l'exportation et l'importation de produits pour lesquels des essais ont été effectués sur des animaux et/ou des êtres humains. Sa mise en œuvre aurait dès lors des conséquences extrêmes et préjudiciables pour la santé humaine et animale, la recherche, le savoir et l'innovation.

Il incombera toutefois au peuple et aux cantons de décider sur cette initiative, et aux responsables politiques de prendre position en amont, sur la base de faits et en considérant la législation en vigueur dans les domaines de l’expérimentation animale et de la recherche médicale sur l'être humain, législation qui garantit le respect de standards éthiques. Toutefois, in fine, il s’agit aussi d’une pesée des intérêts en jeu, et bien entendu, les appréciations, conclusions et décisions politiques qui découlent de cette analyse peuvent différer.

Ce qui importe dans ce contexte, c’est que la discussion ne se limite pas à une discussion émotionnelle, au détriment d’une discussion rationnelle, mais soit basée sur des faits et respectueuse des avis divergents. L’Université a ainsi un rôle important à jouer en tant que lieu d’échange, d’épanouissement personnel, de formation et de recherche de haute qualité et de débats: engageons-nous pour qu’une atmosphère propice à cette vision soit garantie et que les défis actuels soient abordés non par des propos «moralisateurs», mais sur la base d’évidences scientifiques et de débats d’idées.

En ce sens, je vous souhaite une bonne fin de semestre sur notre campus ce qui permet des échanges directs et des rencontres fructueuses.

Astrid Epiney, rectrice

Photo: Pierre-Yves Massot