Intéressé·e·s par les thèmes de la dépression et du burn-out, un trio de danseurs·euse·s a décidé d’explorer ce que leur art peut apporter à ces problématiques. Grâce à une résidence artistique de la Ville de Fribourg, Jeanne Gumy, Virginie Alessandroni et Tristan Richon ont trouvé le temps et la manière d’explorer des voies originales pour qui souhaite recalibrer sa boussole intérieure.
Entre deux plates-bandes de fleurs, trois danseur·euse·s improvisent lentement, tout en fluidité. Seul le souffle du vent dans les frondaisons et le babil d’une fauvette à tête noire accompagnent leurs mouvements. S’ils y prêtaient attention, les rares badauds du jardin botanique de Fribourg se rendraient compte d’un détail qui a son importance: les trois danseurs·euses restent constamment en connexion: ici, c’est le creux de la main de Jeanne qui guide le bras de Virginie; là, c’est celle de Tristan qui lui effleure la nuque.
Un métier qui peut essorer
Virginie, Jeanne et Tristan se sont rencontrés à la Manufacture, la Haute école des arts de la scène à Lausanne. Diplôme en poche, ils·elles ont dansé, chacun·e de leur côté, sur des scènes de «Suisse et de Navarre». La danse est un métier passionnant, mais qui peut également s’avérer prenant et éreintant. Le trio observe que le burn-out devient commun, non seulement dans les milieux des arts et de la scène, mais aussi partout ailleurs, même chez les jeunes. Après s’être penché·e·s sur la question, les trois danseur·euse·s émettent l’hypothèse suivante: passer constamment de périodes très intenses et stressantes à des périodes de calmes plats et d’incertitudes artistiques et financières rend les métiers des arts de la scène sensibles à cette forme d’épuisement professionnel. Sans oublier qu’entrer sur scène peut engager corps et âme à chaque représentation.
En 2023, Tristan Richon, lauréat d’une bourse de recherche du domaine Musique et Arts de la HES-SO, décide de chercher des réponses à cette problématique par la danse. Il propose à Virginie et Jeanne de se joindre à lui pour cette recherche. «J’ai eu le sentiment que ce serait super de travailler ensemble». Il baptise ce projet Inner Symphony du nom d’un album d’Hania Rani.
Apaiser l’âme par le mouvement
La danse, si stressante dans le monde professionnel, pourrait-elle avoir des vertus émollientes lorsqu’on l’utilise à bon escient? «Nous avons cherché à créer des exercices pour revenir à soi et ses limites, mais aussi pour se mettre en relation avec l’espace et avec nos partenaires», explique Virginie Alessandroni.
Dans un premier temps, le trio s’est plongé dans de nombreuses lectures, en particulier celles du philosophe allemand Hartmut Rosa, dont les concepts d’accélération et de résonance les ont profondément marqués.
Dans un second temps, ils ont profité de la résidence artistique de la Ville de Fribourg afin d’expérimenter, de passer de la théorie à la pratique ainsi que, selon leurs termes, «d’entrer en résonance avec le monde et de s’entraîner à ajuster sa boussole intérieure.»
Au pied de mon arbre
Pour ce faire, Jeanne, Virginie et Tristan ont jeté leur dévolu sur le jardin botanique de l’Université de Fribourg. Là, à l’ombre des grands arbres, ils ont mis au point des exercices passant beaucoup par le toucher. La lenteur et la maîtrise de leurs mouvements évoquent le taï-chi-chuan, la gestuelle, elle, fait penser à de la danse contemporaine. Le trio a baptisé l’un des exercices le «miroir ancré». «Deux partenaires se tiennent l’un en face de l’autre, explique Tristan Richon, le premier copie les mouvements du second. Puis, on place une main sur le sacrum de la personne copiant, ce qui lui permet d’être là, ancrée avec soi-même, et d’être réceptive.» Pour les trois camarades, c’est un outil de la danse pour être présent au monde, mais sans s’oublier.
Importance de la transmission
Au cours de leurs discussions, le trio réalise que les notions développées, claires pour des danseurs·euse·s, restent opaques pour les personnes non initiées. Tristan, Jeanne et Virginie décident alors de proposer des ateliers pour des proches. «Les commentaires des participant·e·s ont été très enrichissants, se réjouit Jeanne, ils ont relevé des choses que nous n’avions pas remarqué.» Impossible toutefois pour le trio de dire à quoi toutes ces expérimentations pourront bien servir. «Cela reste assez nébuleux, admet Jeanne, mais c’est très riche. Nous ne sommes pas parti·e·s dans tous les sens mais dans plusieurs sens. Il faut maintenant laisser décanter.»
Potentiel préventif
Les trois ont encore partagé le fruit de leur travail à Isabelle Auray, spécialiste du burn out au Département de psychologie de l’Université de Fribourg: «Nous souhaitons savoir si cela peut compléter l’approche thérapeutique traditionnelle», confie Jeanne Gumy. «Le simple fait d’apprendre aux participant·e·s à poser leurs limites pourrait déjà être une piste intéressante.»
Modeste, Jeanne, Virginie et Tristan savent également qu’ils·elles ne sont ni des thérapeutes, ni des guides spirituels. «Ce qui compte, c’est de toucher un maximum de personnes, mais pas nécessairement dans un contexte de soin ou de psychothérapie, précise Virginie, nous envisageons plutôt des partages de mouvements ou une performance participative, peut-être dans des écoles.» Rien de précis encore, rien de définitif.
Les graines de sérénité ont été semées, elles lèveront peut-être. Il ne reste plus qu’à laisser du temps au temps.
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