Malgré ses directives claires en la matière, l’Université de Fribourg n’échappe pas à la présence de sexisme et de harcèlement sexuel, la filière médicale étant particulièrement touchée. Si des mesures de prévention et d’action sont déjà en place, il est urgent de les renforcer pour mieux protéger la communauté universitaire. Information plus claire, formation pour enseignant∙e∙s ou encore sondage à grande échelle sont autant de pistes d’amélioration en cours de réflexion.
Pour que les directives du Rectorat concernant des mesures contre le harcèlement sexuel à l’Université de Fribourg (Unifr) soient appliquées au mieux dans le contexte des stages en médecine, un groupe de travail dédié a été établi en 2020. Présidé et coordonné par l’Institut de médecine de famille (IMF) de l’Unifr, il réunit des représentant∙e∙s de l’Hôpital fribourgeois (HFR), du Réseau fribourgeois de santé mentale (RFSM) et du Service égalité, diversité et inclusion (EDI) de l’Unifr. Servant de relais entre les étudiant∙e∙s en médecine et les institutions responsables de leur formation, le groupe de travail collabore étroitement avec CLASH-Fribourg (pour Collectif de lutte contre les attitudes sexistes en milieu hospitalier), qui lui présente semestriellement les chiffres issus de son formulaire de témoignage anonyme.
Une charte de prévention et d’action pour la protection de l’intégrité des étudiant∙e∙s de master en médecine a en outre été co-signée par l’HFR, le RFSM et l’Unifr représentée par l’IMF, engageant les trois institutions à prendre les mesures nécessaires pour limiter, déceler et répondre aux situations de harcèlement moral ou sexuel et de discrimination liée au genre ou à l’orientation sexuelle. Parmi les actions déjà entreprises dans ce cadre, on peut citer une campagne de sensibilisation affichée en 2021 dans les trois institutions partenaires ainsi que la création de deux cours de prévention pour les étudiant∙e∙s de bachelor et de master.
En parler pour faire avancer les choses
De son côté, le Service EDI organise régulièrement des campagnes de sensibilisation dans le domaine de l’égalité et de la diversité. Parmi elles, le Sexual Harassment Awareness Day, un projet de coopération interuniversitaire à échelle nationale visant à encourager le dialogue sur le sujet. «Le but est de rappeler que le harcèlement sexuel et le sexisme restent des réalités au sein des hautes écoles et universités, et qu’il faut un effort commun pour mieux les prévenir», éclaire Muriel Besson, responsable du Service EDI. «Ces problèmes existent car ils sont tolérés, rebondit une porte-parole de CLASH. Cela commence par le sexisme ordinaire et va jusqu’au harcèlement physique. Il est important d’en parler pour que les gens en prennent conscience et, pour cela, nous avons besoin de tout le monde.»
Afin d’identifier les meilleures stratégies pour renforcer les mesures de prévention et d’action, le Service EDI travaille aussi en partenariat avec EquOpp (pour Equal Opportunities), une commission de l’Association générale des étudiant∙e∙s de Fribourg (AGEF) ayant pour mission de sensibiliser ses pairs aux questions liées à la justice sociale. Munie d’un outil de report anonyme des discriminations en tous genres, EquOpp permet, comme CLASH, de prendre la température de ce qui se passe dans le corps estudiantin – une information précieuse pour les services institutionnels. «Le Rectorat est toujours très attentif aux questions soulevées par les associations estudiantines», souligne Muriel Besson.
Responsabiliser les personnes en charge
L’un des problèmes identifiés grâce à ce partenariat est que les étudiant∙e∙s ne sont pas toujours suffisamment informé∙e∙s des structures institutionnelles pouvant leur venir en aide en cas de besoin. Pour pallier cela et, plus généralement, pour améliorer la prise en charge des situations de discrimination au sein de l’Unifr, le Service EDI mène actuellement le projet nommé Uni Respect, vers une culture égalitaire et respectueuse. «L’ordonnance et les directives sont là, c’est une très bonne chose, expose Muriel Besson. Maintenant, il s’agit de clarifier la manière dont on les applique concrètement.»
La finalité du projet Uni Respect serait d’aboutir à un schéma publiquement accessible détaillant les procédures pouvant s’appliquer dans chaque type de situation. Un autre aspect serait de développer l’information pour les personnes en charge d’une équipe, notamment les professeur∙e∙s et les responsables de services, pour «leur faire prendre conscience de leur responsabilité à octroyer à leurs employé∙e∙s ou étudiant∙e∙s un lieu de travail respectueux et sans discrimination», selon les propos de Muriel Besson. «Le respect est la valeur centrale, ajoute-t-elle. Il fait partie de chaque personne et doit participer au mieux-vivre ensemble au sein de la communauté universitaire.»
Pour les membres de CLASH, un point de départ aussi important qu’urgent est de créer des formations à l’intention des personnes qui enseignent la médecine. «La vraie prévention doit se faire auprès des acteurs et actrices, pas uniquement auprès des personnes à risque», commente la porte-parole de l’association. Elle met ainsi en garde contre le victim blaming: «C’est très bien de sensibiliser les étudiant∙e∙s et de leur donner des outils pour réagir, mais on ne peut pas attendre de la part des victimes qu’elles réagissent forcément, car cela peut être très difficile. Et c’est aussi ok de ne rien dire; ce n’est pas à elles d’avoir honte, mais aux auteurs ou autrices.» Pour aller dans ce sens, l’IMF élabore actuellement, avec les différentes institutions partenaires, un projet de e-learning, qui devrait aboutir d’ici quelques mois.
Vers un changement de mentalité, lentement, mais sûrement?
Actuellement, les ressources allouées à la prévention du sexisme et du harcèlement sexuel sont encore limitées. «Le mandat du Service EDI s’arrête à proposer des mesures, comme le projet Uni Respect, précise Muriel Besson, mais la décision d’attribuer les moyens nécessaires à une meilleure prise en charge des situations incombe au Rectorat.» Pour aider à cette décision, il serait bénéfique de disposer de statistiques globales spécifiques à ce sujet. Une enquête envoyée régulièrement à l’ensemble de la communauté universitaire permettrait d’obtenir un état des lieux représentatif de la réalité et ainsi de constituer une base solide sur laquelle élaborer un plan d’action efficace pour lutter, notamment, contre le harcèlement sexuel et les discriminations liées au genre.
Il faut tout de même garder en tête qu’il s’agit là d’une problématique systémique, ce qui rend son évolution extrêmement lente. «Nous avons toutes et tous grandi dans une société sexiste et misogyne, déplore la porte-parole de CLASH, ce qui fait que beaucoup de choses sont banalisées. Nous avons besoin de changer cette mentalité.» Muriel Besson ne peut qu’approuver: «Il est important de ne jamais rien lâcher, même si cela prend du temps de réviser les choses au niveau systémique. Il faut continuer à progresser toujours vers l’objectif d’avoir un environnement de travail et d’études respectueux.»



