Il y a un an, Yurii Pashkevich quittait son village ukrainien avec, pour seul viatique, deux valises dans le coffre de sa voiture. Grâce à l’aide du FNS, le chercheur ukrainien a pu fuir la guerre et trouver refuge à l’Université de Fribourg
Combien de courage faut-il pour supporter le bruit des bombes? Et combien de courage, ou de résignation, faut-il pour abandonner le projet d’une vie, une maison à la campagne, et tout recommencer à presque 3000 kilomètres de chez soi? Dans ses pires cauchemars, il ne l’aurait sans doute jamais imaginé: Yurii Pashkevich va fêter ses 73 ans en Suisse, non pas comme un chercheur en visite, encore moins comme un touriste, mais comme un réfugié. Le physicien ukrainien considère toutefois qu’il a eu de la chance dans son malheur, lui qui a pu bénéficier du programme «Scholars at risk» du Fonds national suisse (FNS) dont le but est de protéger les scientifiques menacés. Aujourd’hui, il poursuit ses travaux dans un bureau improvisé du Département de physique, avec reconnaissance mais non sans amertume: «Ce n’est pas le début d’une nouvelle vie, c’est juste la possibilité de survivre».
Le bruit de bottes se rapproche
En 2014, tandis que débute la guerre du Donbass, prélude à l’invasion russe, Yurii G. Pashkevich dirige le Département des propriétés dynamiques des systèmes complexes à l’Institut de physique et d’ingénierie de l’Académie nationale des sciences d’Ukraine à Donetsk. Professeur de physique des solides, il a une longue carrière derrière lui et une situation bien établie. Toutefois, le conflit s’intensifiant, il se voit contraint de déménager une première fois dans la Ville de Kharkiv, à plus de 300 kilomètres. «Avec une dizaine de collègues, nous avons dû nous reloger. Trouver des appartements n’a pas été une mince affaire, explique-t-il, les loyers sont chers et peuvent représenter plus de la moitié d’un salaire. C’était une situation très compliquée.» En 2019, quand la pandémie de covid-19 éclate, il décide de s’établir dans son village de Bohordychne, là où, durant dix ans, il a fait construire une maison. Comme son travail est avant tout théorique, un ordinateur portable et une bonne connexion internet lui suffisent. C’était sans compter sur l’invasion militaire russe, le 24 février 2022. «Nous n’avions plus d’électricité, donc plus d’Internet, nous ne pouvions plus cuisiner et surtout plus nous chauffer, raconte Yurii Pashkevich. Il faisait moins -12 degrés à l’extérieur, le mercure ne dépassait pas les 0 degrés dans notre maison.»
Une seule solution: partir
Situé à moins de 70 kilomètres de la tristement célèbre Ville de Bakhmout, épicentre des combats, le village n’est plus le havre de paix espéré. Le front se rapproche à moins de 10 km, tous les ponts sont détruits, le monastère endommagé; assourdissants, les tirs de la défense anti-aérienne disposée dans les alentours empêchent Yurii et sa femme de trouver le sommeil. Le 19 mars 2022, le couple finit pas se l’avouer: mieux vaut tout abandonner plutôt que d’y laisser la vie. Il soupire: «Dans ces circonstances, tu comprends juste que tu as besoin de satisfaire tes besoins fondamentaux: un toit, de la nourriture. Avec ma femme, nous avons décidé de ne pas penser à notre maison, au risque sinon de rester traumatisés.»
Sur les routes de l’exil
Aujourd’hui, le Village de Bohordychne est dévasté, déserté. Son millier d’habitant·e·s a fui aux quatre coins de l’Ukraine et de l’Europe. Yurii Pashkevich et son épouse font partie des 75’000 réfugié·e·s ukrainien·ne·s accueilli·e·s par la Suisse. Le physicien a saisi la perche tendue par son collègue Christian Bernhard, professeur à l’Université de Fribourg, avec qui il collabore depuis 2010. Ensemble, ils ont soumis une demande de financement au Fonds National Suisse dans le cadre du projet «Scholars at Risk» qui a été acceptée. Le Département de physique lui a mis à disposition un bureau, tandis que le FNS lui verse un salaire. Son âge cependant pose problème et son contrat risque de ne pas être renouvelé . «De toute manière, je ne souhaite pas rester en Suisse en tant que réfugié, confie-t-il, je retournerai en Ukraine, qui n’impose pas de limite d’âge de travail dans les sciences, une fois que mon présent contrat prendra fin.» Se pose alors à nouveau la question du déménagement: où s’établir? A Bohordychne? Impossible ! Un véhicule blindé a explosé non loin de sa maison, la rendant inhabitable. Mais à chaque jour suffit sa peine. «Ça va être un problème, mais on ne peut rien y faire», s’exclame-t-il, fataliste. Quant à la retraite, Yurii Pashkevich n’y songe même pas: «Mon cerveau travaille en continu, que je jardine ou que je me promène, je suis toujours en train de résoudre des problèmes».
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