Un procès fictif pour se frotter à la réalité du droit

Un procès fictif pour se frotter à la réalité du droit

Aussi vrai qu’un bon croquis vaut mieux qu’un long discours, un procès fictif fera sans doute naître plus de carrières juridiques que de longues explications sur papier glacé. Dans le cadre des Infodays, les journées d’informations destinées aux futur·e·s étudiant·e·s, la Faculté de droit a rejoué le procès des afectados, ces paysans équatoriens en litige contre le géant pétrolier Texaco. Pour Pascal Pichonnaz, c’est une  manière de plaider à la fois leur cause et celle de son art de prédilection.


Pascal Pichonnaz, décrivez-nous la cause choisie.
Nous avons décidé, cette fois, de traiter d’une question liée à la protection de l’environnement. En effet, il s’agit d’une affaire qui a défrayé la chronique judiciaire pendant plus de 25 ans, non seulement en Equateur, mais aussi dans de nombreux autres pays. Les paysans équatoriens touchés par la pollution laissée par les forages de pétrole de Chevron/Texaco dans la forêt amazonienne ont réussi à se défendre grâce à l’aide d’un avocat qui a tout fait pour soutenir ces personnes affectées (les afectados)… même un peu trop. D’un côté, les juges suprêmes d’Equateur ont condamné Texaco à payer 9,5 milliards aux afectados, une victoire sans précédent, de l’autre ces derniers ont rencontré une difficulté presque insurmontable pour obtenir l’exécution de la décision aux Etats-Unis, au Canada, en Argentine et ailleurs sur la planète où l’entreprise disposerait de la fortune nécessaire pour payer. L’affaire a même donné lieu en 2009 à un film, The Crude de Joe Berlinger. Une véritable saga.

Comment avez-vous fait votre choix? Faut-il éviter des sujets trop sensibles?
Il faut un thème qui, à la fois, parle aux jeunes, mais permettent un traitement un peu léger. Il faut pouvoir montrer que #ledroitcestcool et que, même si la forme est volontairement légère, le fond est bien là. L’idée est aussi d’éviter de blesser les élèves et de leur faire passer un bon moment tout en réfléchissant. C’est finalement dans la veine de ce que l’on voit de plus en plus sur les réseaux sociaux aussi (@Wieseltom).

Comment se prépare-t-on à un procès fictif? Est-il difficile de plaider… sans cause réelle?
La forme doit être au service du fond, comme dans la réalité. Mais la forme doit être un peu plus drôle, plus décalée peut-être aussi, que ce qui se ferait devant un vrai tribunal. Ne vous y trompez pas toutefois, chacun des plaideurs entend emporter l’adhésion du public par la forme et par le fond. Il y a, somme toute, peu de différences avec une cause réelle, hormis une plus grande légèreté dans le propos.

Quel est le but de l’exercice?
Intéresser et amuser. Le droit est parfois perçu comme une discipline aride pour laquelle il faudrait apprendre des articles, puis se limiter à les «appliquer». Or, c’est plutôt l’art difficile de l’adéquation entre des normes de comportement et des circonstances factuelles, qui ne coïncident jamais totalement avec ce que le législateur avait imaginé. Tout est affaire d’appréciation, de perspective, d’argumentation. D’ailleurs, à la fin, nous invitons l’assistance à voter pour rendre le «jugement». Il n’est pas rare de voir que les élèves sont très partagés sur le résultat final à donner. C’est en général un bon signe: les arguments de part et d’autre étaient bons. Mais, bien entendu, nous cherchons aussi à amuser, à montrer que les professeur·e·s de l’Unifr sont accessibles, qu’ils ou elles ne se prennent pas totalement au sérieux, même si ils ou elles travaillent avec sérieux. Finalement, nous nous faisons aussi plaisir.

Vu l’absence d’enjeux, obtenir gain de cause reste-t-il tout de même une satisfaction ou, au contraire, une défaite laisse-t-elle un goût amer?
La défaite n’est jamais amère, mais une manière de trouver la faille pour l’année suivante. Ce n’est pas le succès qui est une satisfaction, mais bien le fait d’avoir pu développer des arguments qui aient pu faire rire et séduire à la fois. II faut, à chaque fois, adapter le discours aux sensibilités de l’auditoire qui évoluent passablement sur quelques années. L’art du juriste est donc bien un éternel recommencement.

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The long and winding road! Après un détour par l'archéologie, l'alpage, l'enseignement du français et le journalisme, Christian travaille depuis l'été 2015 dans notre belle Université. Son plaisir de rédacteur en ligne? Rencontrer, discuter, comprendre, vulgariser et par-ta-ger!

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