L’école à la maison: pour certain·e·s une punition, pour d’autres presqu’une récré. Comme souvent en cette période de confinement, tout et son contraire a été dit sur cette situation forcée. Une étude tente de démêler les ressentis des parents du primaire, non pour distribuer des bons ou des mauvais points, mais pour en tirer des perspectives. Xavier Conus, chercheur en Sciences de l’éducation, répond à nos questions.
Xavier Conus, la période de confinement s’achève et, avec elle, un sacré défi pour les familles: le travail scolaire à la maison. A votre avis, pourquoi cet aspect en particulier a-t-il représenté un tel challenge?
D’abord, il convient de dire que ce challenge ne s’est pas présenté de la même manière pour toutes les familles. Beaucoup de parents ont, par exemple, dû concilier l’organisation du travail scolaire des enfants avec leur propre activité de télétravail. Certaines familles se sont trouvées face à des difficultés logistiques, par exemple lorsque les supports de travail nécessitaient que l’enfant accède à un ordinateur ou que le matériel soit imprimé. Mais, surtout, la situation a mis une forte pression sur les parents. L’école s’est imposée subitement à la maison, et la plupart des parents ont ressenti un devoir de prendre le relais de l’enseignant, quand bien même ce dernier restait présent à distance. Toutefois, on ne s’improvise pas enseignant. La situation a engendré beaucoup de tensions et exacerbé les inégalités selon les contextes familiaux.
L’enquête «DISPAR: L’enseignement à distance mis en place lors de l’épidémie du coronavirus : vécu de parents d’élèves du primaire» est menée par deux chercheurs de l’Université de Fribourg et de la Haute école pédagogique du canton de Vaud. Elle a pour but d’interroger le vécu de parents d’élèves fribourgeois et vaudois scolarisés à l’école primaire (1H-8H) autour de l’enseignement à distance de leurs enfants. Comment ont-ils organisé le travail scolaire de leur(s) enfant(s)? Comment s’y sont-ils pris concrètement? Quelles difficultés ont-ils rencontrées?… La collecte des données est en cours. Elle se fait par l’intermédiaire d’un questionnaire en ligne. Vous êtes parent d’un enfant scolarisé au primaire et vous êtes retrouvé face au défi de l’enseignement à distance? Partagez vos impressions et contribuez à affiner l’étude en répondant au questionnaire en ligne.
Pour les enseignant·e·s aussi, la transition a été rude. Est-ce à dire que nous n’étions pas prêts?
Je crois que la situation actuelle a montré que personne n’était vraiment préparé. Cela dépasse largement le seul contexte de l’école. Celle-ci n’avait, en effet, pas envisagé de devoir mettre en place en quelques jours à peine un système d’enseignement à distance pour l’ensemble de ses élèves. Dans ce sens, il faut relever le travail réalisé par les enseignant·e·s pour permettre une poursuite de l’enseignement à distance durant le confinement. Néanmoins, il en a résulté une grande diversité dans les supports d’enseignement à distance et dans les pratiques de contact avec élèves et familles mises en œuvre par les enseignant·e·s. Cette situation s’est révélée relativement perturbante pour les familles.
Vous avez lancé une enquête afin de sonder le vécu des parents d’élèves scolarisés en primaire. Quel en est le but?
Notre enquête a pour but d’interroger le vécu de parents d’élèves scolarisés à l’école primaire (1-8P HarmoS) autour de l’enseignement à distance de leurs enfants. Nous souhaitions comprendre comment les parents s’y prenaient concrètement face à l’irruption du travail scolaire de l’enfant dans le contexte familial, de quelle manière ils l’organisaient et l’accompagnaient. Le travail scolaire s’invitait, certes, déjà auparavant dans la famille sous la forme des devoirs à domicile. Néanmoins, le fait que soudainement l’entier de l’activité scolaire de l’enfant passe dans le contexte familial a rendu certains enjeux plus saillants. Cette période de fermeture des écoles nous est ainsi apparue comme une opportunité créant un effet loupe sur une situation difficile à évaluer en temps normal.
Quels en sont les premiers constats?
Au moment charnière où l’enseignement dans les écoles vient de reprendre, nos premiers résultats soulèvent deux constats. D’abord, la plupart des parents estiment que le travail scolaire demandé à leurs enfants a régulièrement nécessité leur aide. Sur ce point, on constate un certain décalage entre le vécu des parents et les discours des autorités scolaires qui insistaient sur le fait que le travail scolaire demandé visait avant tout le maintien des acquis. Or, qui dit besoin d’aide parentale, dit forcément inégalités selon les contextes familiaux. Ensuite, d’importantes différences de pratiques ont émergé selon les familles. Pour un même degré scolaire, les heures consacrées au travail scolaire des enfants varient du simple au triple selon les familles. D’importantes différences concernent également la manière d’accompagner les enfants dans leurs travail scolaire, entre un encadrement plutôt «strict» et un encadrement plutôt «lâche», laissant davantage de place à l’autonomie. Par ces différences, cette période d’enseignement à distance risque d’avoir creusé les inégalités entre élèves. Pour l’école, le retour à l’enseignement en présentiel va s’accompagner d’un défi important d’égalisation des acquis et de remise à niveau d’une partie des élèves.
Quelles réflexions peut-on tirer sur le partenariat parents-enseignants?
C’est encore un peu tôt pour répondre précisément à cela. Les analyses approfondies restent à mener. La situation actuelle a toutefois le mérite de faire émerger des points aveugles du travail scolaire à la maison. Elle révèle les contraintes et tensions qui existent, soit dans la relation entre les parents et l’école, soit au sein même de la famille, en éclairant des zones grises habituellement difficiles à déceler. Nous sommes convaincus que des pistes d’action pourront en être tirées, par exemple sur la question des devoirs à domicile, mais aussi plus largement sur la manière de favoriser le partenariat école-familles.
Au moment du déconfinement, beaucoup craignent déjà l’arrivée d’une deuxième vague. Si cela devait arriver, quels seraient vos conseils?
Comme tout le monde, j’espère que les mesures sanitaires mises en place vont permettre d’éviter une deuxième vague et une nouvelle phase de confinement. Si l’enseignement à distance devait néanmoins être reconduit, une piste qui me paraîtrait pertinente au regard de l’enquête est de davantage accompagner les parents quant à la manière de soutenir leurs enfants et créer des conditions propices à l’apprentissage. Si les parents sont globalement reconnaissants du travail de l’école et des enseignant·e·s dans la mise en œuvre du dispositif d’enseignement à distance, ils se sont en effet sentis peu guidés sur ce point. Ce souci de soutenir les parents sur le plan pédagogique doit toutefois s’accompagner d’une attention encore accrue au maintien du lien entre enseignants, parents et élèves, de manière à diminuer la pression relativement forte ressentie par les parents durant cette phase d’enseignement à distance.
- Xavier Conus est maître d’enseignement et de recherche au Département des sciences de l’éducation et de la formation de l’Université de Fribourg.
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