Asymptotiquement amoureux des maths

Asymptotiquement amoureux des maths

De Fribourg à l’exposition universelle d’Osaka, en passant par Dubaï et la Haute-Garonne, le professeur Hugo Parlier proclame sa bonne nouvelle: «Non, les mathématiques ne sont pas nécessairement inaccessibles. Mieux, elles peuvent même être belles et ludiques!» Le chantre de cette discipline – qui en a traumatisé tant parmi nous – viendra vous en convaincre à Explora, le 20 septembre prochain.

Il paraît que les mathématiques ne mentent pas. Dans le cursus scolaire, leur verdict est péremptoire: soit on a la bosse des maths et, sans le moindre effort ni mérite, on excelle dans cette discipline, soit on a un processeur de Commodore 64 en guise de cerveau et la moindre équation amène nos circonvolutions au point d’ébullition. Don ou tare de naissance? Génie ou bonnet d’âne? Difficile d’échapper à sa condition!

Pavillon suisse à l’Exposition universelle d’Osaka

Amour au second regard
Hugo Parlier, professeur de mathématiques à l’Université de Fribourg, en est pourtant convaincu: il y a de la beauté dans les mathématiques et chacun·e d’entre nous a la capacité d’y être sensible. Depuis des années, avec ses collègues, il se creuse les méninges afin de rendre sa discipline accessible, ludique et attrayante. Et aussi vrai que deux et deux font quatre, il semble y être parvenu. La preuve? Avec son confrère Bruno Teheux, ils ont conçu le projet Traces, récemment présenté dans un espace à l’Exposition universelle d’Osaka. Celui-ci a littéralement été pris d’assaut chaque jour par près de 1000 visiteurs·euses. La recette du succès: «Gamifier» les mathématiques et en révéler la dimension artistique. Après l’avoir rencontré, nous ne doutons pas une seconde qu’il vous fera aimer les maths jusqu’à l’∞!

Hugo Parlier, cela fait des années que vous sillonnez le monde afin de présenter les mathématiques à des profanes. Qu’est-ce qui vous motive?
J’ai envie de raconter en quoi consistent mes journées car, dans le fond, si on gratte un peu, personne ne sait concrètement ce que fait un·e mathématicien·ne. Mon objectif premier consiste donc à montrer la réalité de mon travail, le second de démontrer que ma discipline, les mathématiques, n’est pas si inaccessible.

Allons donc!
Tout le monde connaît les mathématiques car nous avons toutes et tous été jugé·e·s scolairement. De nombreuses personnes en gardent des traces, voire un trauma. Il me semble toutefois que cela ne devrait pas les arrêter. Ce n’est pas parce que nous n’aimons pas un tableau qu’il doive en résulter un blocage sur l’art. De même, ce n’est pas parce qu’une chanson nous déplaît qu’il faille détester la musique.

Oui, mais à la différence de la musique ou du dessin, les mathématiques ont contraint de nombreuses élèves à redoubler.
Je le comprends bien. J’ajouterais même que les mathématiques interdisent souvent l’accès à d’autres disciplines, comme les sciences dures ou les sciences sociales et économiques, mais elles y jouent un rôle indispensable pour la modélisation.

Pavillon suisse à l’Exposition universelle d’Osaka

Et alors, le talent pour les mathématiques est-il inné ou acquis?
Ce qui est très clair, c’est que nous n’avons pas toutes et tous le même rythme d’apprentissage. J’ai plusieurs collègues mathématicien·ne·s qui ont longtemps pensé être nul·le·s en mathématiques. J’ai une anecdote à ce sujet: Maryam Mirzakhani, une de mes idoles absolues, me racontait que son professeur de mathématiques lui avait dit qu’elle n’était tout simplement pas faite pour les mathématiques. Elle n’avait que 12 ans. Pour la petite histoire, elle a décroché la médaille Fields en 2014, l’équivalent du Prix Nobel de la discipline. Elle a su surmonter une critique sévère qui en aurait chamboulé plus d’un·e.

Voilà de quoi guérir de nos «traumathématiques». Revenons-en à vos expéditions de médiation à travers le monde. Quand avez-vous décidé de partager vos recherches en dehors des salles de classe?
Avec mon collègue Paul Turner, alors que j’étais chercheur à l’Université de Fribourg, nous avons ressenti l’envie de faire de la vulgarisation scientifique. Pour notre premier projet, nous avons créé un livre interactif pour découvrir les mathématiques. Cet effort pour rendre intelligibles et intéressants nos travaux a fait jaillir de nouveaux questionnements scientifiques qui ont alimenté de nouvelles recherches. C’était l’arroseur arrosé!

De fil en aiguille, vous avez décidé de «gamifier» les mathématiques, de les rendre ludiques.
Exactement! Je vous donne un exemple. Nous avons créé le jeu Quadratis. C’est une sorte de Rubik’s cube en deux dimensions. Notre jeu commence de façon sensiblement plus simple et ne requiert pas plus de dix secondes d’explication.

Pavillon suisse à l’Exposition universelle d’Osaka

Mais quel est le rapport avec les mathématiques?
Celles et ceux qui y jouent peuvent y aller crescendo, niveau après niveau. Dans le fond, les joueurs·euses vivent l’expérience d’être chercheurs·euses en mathématiques: au début, vous expérimentez, vous faites un peu n’importe quoi pour chercher à comprendre jusqu’à ce que se produise un déclic et que vous compreniez l’astuce. Vous passez au niveau de jeu suivant, puis une nouvelle difficulté apparaît. C’est métaphoriquement ce que l’on vit en tant que chercheur·euse en mathématiques. Il se trouve également que, derrière ces puzzles, il y a des mathématiques assez sophistiquées relevant de mon domaine. Je vous rassure immédiatement: nos jeux ne requièrent aucune notion préalable! (ce que je confirme, NDLA!)

Est-ce que cela rend les mathématiques plus sympathiques?
Rien que le fait que les gens se prennent au jeu et repartent avec le sourire, alors que l’activité est libellée «mathématiques», c’est déjà une victoire.

Pavillon suisse à l’Exposition universelle d’Osaka

Vous n’avez pas que «gamifié» les mathématiques, vous avez aussi cherché à en faire de l’art.
Mon collègue Bruno Teheux et moi-même avons toujours été très intéressés par l’art, en particulier l’art abstrait. Nous nous sommes demandé s’il était possible d’étudier ce dernier d’un point de vue mathématique. Voyez Kandinski, il prenait des formes géométriques élémentaires et créait une certaine harmonie en les assemblant. Nous avons donc créé une activité plus contemplative, appelée Life Lines. Cette dernière n’a pas un but explicite, bien qu’elle soit sous-tendue par des mathématiques. C’est une sorte de contrepied aux jeux qui deviennent vite compétitifs.

Concrètement comment cela se passe?
Les visiteurs·euses dessinent ce qui leur passe par la tête. Des principes de géométrie colorient ensuite automatiquement les espaces créés, puis l’œuvre est projetée sur un grand écran. Les visiteurs·euses ont aussi l’occasion de réaliser deux dessins différents et nous, grâce à un algorithme, nous montrons quelles étapes le premier dessin doit emprunter pour ressembler au second. Nous leur offrons ensuite une carte postale de leur chef-d’œuvre.

De l’art et des jeux, c’est ce que vous avez proposé dans votre stand de l’Exposition universelle d’Osaka? Est-ce que la recette a aussi bien marché là-bas que chez nous?
C’était assez incroyable! Chaque jour, nous avons accueilli près d’un millier de visiteurs·euses! Je pense qu’il y a, au Japon, un intérêt culturel pour les énigmes mathématiques, les jeux, les puzzles, les activités artistiques. Tout s’est goupillé de manière merveilleuse, en dépit de la barrière linguistique et culturelle. Nos jeux sont si simples qu’ils n’exigent aucune explication! J’ai aussi remarqué que le fait de partager nos activités a créé un lien émotionnel immédiat! Il y a des visiteurs·euses avec qui nous n’avons pas échangé un mot mais qui sont resté·e·s des heures!

Au cours de tes nombreuses tournées, à l’EPFL, à Dubaï et dernièrement à Osaka, savez-vous si vous avez fait naître des vocations?
C’est vraiment difficile à dire, mais certainement. Récemment, le recteur de l’Université du Luxembourg m’a confié que sa fille a pu surmonter sa phobie des mathématiques grâce à un puzzle auquel elle a joué dans l’un de nos stands. Elle fait maintenant de l’ingénierie biotechnologique. J’ai aussi remarqué que les doctorant·e·s s’inspirent de nos activités pour raconter les mathématiques autrement. Au-delà de cela, on voit mille sourires et on peut donc imaginer que notre travail ne reste pas sans effet.

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Author

The long and winding road! Après un détour par l'archéologie, l'alpage, l'enseignement du français et le journalisme, Christian travaille depuis l'été 2015 dans notre belle Université. Son plaisir de rédacteur en ligne? Rencontrer, discuter, comprendre, vulgariser et par-ta-ger!

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