«Il faut de tout pour faire la science»

«Il faut de tout pour faire la science»

Il a choisi l’humour pour faire passer la pilule scientifique. Le 5 novembre prochain, le mathématicien et physicien Fabrizio Bucella interviendra à l’Université de Fribourg dans la pure tradition des conférences de Noël. Lever de rideau.

Pourquoi la vulgarisation scientifique est-elle importante?
Cette question touche au cœur même de la science. Cette dernière ne doit pas rester confinée à une élite car elle appartient à la société, qui la finance. Par ailleurs, la science pure – la physique notamment – pose des questions existentielles. Comment l’Univers a-t-il été créé ? Sommes-nous seuls dans l’Univers ? Que sont la lumière et la matière? Ces questions n’appartiennent pas aux scientifiques mais à tout le monde. Corollaire: tout le monde doit bénéficier des réponses, des non-réponses, des tentatives de réponses.

La vulgarisation est donc un devoir?
A mon sens, la vulgarisation est en tout cas un devoir des universités, qui ont trois missions historiques: enseignement, recherche et service à la collectivité. La vulgarisation est au cœur de cette mission de service envers la société. En tant que physicien, je vulgarise la physique, les mathématiques et la logique, car ce sont les trois grands cours que je donne à l’université. Ces domaines sont certes plaisants à vulgariser, mais cela représente beaucoup de travail en amont. La vulgarisation, ce n’est pas simplement raconter une histoire. Il faut se frotter aux équations, les résoudre et puis seulement les expliquer, les habiller. Sinon, on tombe vite dans la vulgarisation de la vulgarisation. C’est l’histoire de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours et c’était une chèvre.

La démocratie semi-directe, telle que pratiquée en Suisse, prévoit que le peuple est régulièrement consulté sur des objets «techniques». La vulgarisation y joue-t-elle un rôle particulièrement important?
Absolument, car la science éclaire le fonctionnement du monde. Historiquement, la physique était appelée «philosophie naturelle». Ce terme, encore utilisé dans certaines universités anglo-saxonnes, est fabuleux: la philosophie de la nature. Autant la science aide aux décisions collectives, autant elle s’arrête aux portes des décisions citoyennes. Elle peut éclairer les enjeux mais elle ne doit jamais décider à la place des gens. Elle ne remplace pas le politique. C’est là que les décisions doivent être prises, en intégrant les connaissances scientifiques, mais aussi les valeurs, les priorités collectives.

Vous avez choisi d’utiliser l’humour, la culture populaire et les réseaux sociaux pour véhiculer votre message vulgarisateur. Quels en sont les avantages et les inconvénients?
L’humour est une pente naturelle. Je pense qu’il faut suivre sa pente; et si c’est en descente, c’est plus facile! Ce n’est que dans un deuxième temps que je me suis rendu compte qu’on réveille l’attention de l’auditoire si on casse une démonstration par une sortie de route, un terme hors contexte. L’inconvénient de l’humour est qu’il fait moins sérieux que le non-humour.

Etes-vous un clown né ou avez-vous dû vous entraîner?
Même si l’humour est ma pente naturelle, il a fallu calculer la dérivée (pour les physiciens, la dérivée est la pente de la courbe). Or, calculer une dérivée prend parfois un certain temps. Comme je le dis à mes étudiantes et étudiants au début de chaque cours: «Aujourd’hui je voudrais vous apprendre deux ou trois choses et surtout que vous passiez un agréable moment.» Si on voit des sourires à la fin du cours, je suis le plus heureux des hommes. Subsidiairement, si on apprend une belle chose par jour, cela fait 365 bonnes idées par an. Il y en a plus qu’assez.

Les mauvaises langues pourraient dire que transformer la science en show est une manière de rendre la physique et les maths plus «sexy». Qu’en pensez-vous?
C’est un débat qui existe même dans les milieux scientifiques. Le physicien Richard Feynman était un pur showman, ses cours étaient enregistrés, ses tableaux photographiés et on en faisait des bouquins, qui sont encore de nos jours les meilleurs cours de physique que vous pouvez trouver. Cent ans auparavant, Michael Faraday avait réalisé dix-neuf «Christmas Lectures» pour la Royal Institution. La dernière, en 1860, avait pour titre The Chemical History of a Candle. Au travers d’une simple bougie, il a passé en revue toute la chimie de son époque. Il faut de tout pour faire la science: des Feynman, des Faraday et aussi des (Paul) Dirac. Ce dernier ne parlait que sous la contrainte et quand vous lui demandiez «Pouvez-vous reprendre la démonstration parce que je n’ai pas bien compris ?», il vous répondait seulement «Oui».

Le 5 novembre prochain, vous intervenez justement lors d’une conférence dite «de Noël». Quésaco?
Les «Christmas Lectures» sont issues de la tradition posée par la Royal Institution britannique. Elles ont démarré en 1825 et ont donc deux cents ans. L’objectif de ces événements était de présenter des sujets scientifiques – au départ essentiellement en lien avec la physique et la chimie – à un public non-spécialiste, familial, plus jeune. Les conférences de Noël avaient souvent un aspect démonstratif, on y faisait de vraies expériences. Les amphithéâtres étaient pleins à craquer. Je trouve admirable que l’Université de Fribourg ait repris le flambeau avec ses «De Diesbach Lectures».

Votre intervention fribourgeoise s’intitule «Sept choses à savoir avant de mourir». Pourquoi avoir choisi ce fil rouge?
En toute sincérité, quand on m’a demandé le titre, je n’avais pas encore la conférence en tête, car je me prélassais sur le Mont-Blanc. Certes un peu bateau, cet énoncé permet de faire rentrer ce que l’on veut pour autant qu’on sache compter jusqu’à sept… Je vous donne quand même un scoop: la conférence démarre sur «Faut-il avoir peur des géants?». En voilà une chose intéressante à savoir avant de mourir! Surtout lorsqu’enfant, on regardait sous le lit pour vérifier si rien d’étrange ne s’y trouvait. On verra aussi que les plus forts ne gagnent pas toujours contre les plus faibles, que les vaches ne sont pas sphériques et qu’il vaut parfois mieux une belle histoire fausse qu’une vraie histoire moche.

Dans un post LinkedIn annonçant l’événement, vous écrivez «La science peut tout». Vraiment!?
Ça, c’est mon gimmick, qui est venu de mes étudiant·e·s. Je ne sais plus quel défi ils m’avaient lancé mais je leur avais dit «La science peut tout». Alors, au pied de la lettre, la science peut-elle vraiment tout? Bien sûr que c’est faux, mais c’est vrai que c’est faux. Donc c’est vrai.

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Fabrizio Bucella est professeur ordinaire de physique et de mathématiques à l’Université libre de Bruxelles. Ce docteur en physique mène aussi une intense activité de vulgarisation scientifique sur les réseaux sociaux, où ses comptes totalisent un million d’abonné·e·s. Il tient par ailleurs des chroniques à la radio et à la télévision publiques belges (RTBF) et participe à l’émission «Les Grosses Têtes» avec Laurent Ruquier. Son dernier livre s’intitule «Comment gagner à pile ou face? Et autres énigmes scientifiques ébouriffantes» (Allary Éditions, Paris, 2025).

Un conférencier, deux événements
Lors de son passage à Fribourg début novembre, Fabrizio Bucella s’exprimera lors de deux événements distincts. Le mercredi 5, il donnera une conférence à l’Unifr dans le cadre des «De Diesbach Lectures». Derrière le titre «Sept choses à savoir avant de mourir» se cache une intervention scientifique, démonstrative et grand public, dans le plus pur style des «Christmas Lectures» du 19e siècle. Le jeudi 6, le professeur de physique et de mathématiques participera par ailleurs à la 10e édition de l’événement TEDx Fribourg, qui se tiendra à Fri-Son.

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Author

Journaliste indépendante basée à Berne, elle est née au Danemark, a grandi dans le Canton de Fribourg, puis a étudié les Lettres à l’Université de Neuchâtel. Après avoir exercé des fonctions de journaliste politique et économique, elle a décidé d’élargir son terrain de jeu professionnel aux sciences, à la nature et à la société.

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