Editorial

«T’es plus ma copine. Ch’te coupe la paix!»: Terrible épée de Damoclès qui menaçait ma tête à bouclettes lorsque j’avais 8 ans. La sentence était irrévocable … du moins jusqu’à la prochaine bisbille, qui avait l’avantage de rebattre les cartes et redistribuer les paires d’ami·es. Mon monde, qui s’arrêtait aux frontières de la cour d’école, se faisait et se défaisait au fil de ces chamailleries.

Vient l’adolescence: les frontières s’écartent, les horizons s’élargissent. C’est l’heure des coups de foudre amicaux, qui devraient durer toujours et se consument au feu de paille d’une passion aussi commune qu’éphémère: une lecture, un chanteur préféré, un sport … Il n’en reste bien souvent que les étincelles d’un merveilleux souvenir, mais parfois aussi une braise constante qui, malgré les vents contraires, vous réchauffe avec bienveillance – même lointaine – toute votre vie.

Le Robert donne deux définitions de l’amitié: 1. Sentiment réciproque d’affection ou de sympathie qui ne se fonde
ni sur la parenté ni sur l’attrait sexuel. 2. Marque d’affection, témoignage de bienveillance. Celles-ci ne cessent de m’interroger. La première implique une réciprocité, dont la mesure, certainement, est à l’origine de nombreuses relations laissées sur le carreau de l’attente et du ressen­timent. Tandis que l’autre repose sur un don sans exigence de retour, mais ponctuel, sans espoir de durée.

Me permettra-t-on, à l’orée de ce numéro, de rêver d’une forme d’amitié qui mélangerait les deux définitions: un sentiment d’affection fondé sur la bienveillance, dans la durée et sans exigence de réciprocité?

… Oui, je sais, mes ami·es aussi me traitent parfois de Bisounours, mais, au fond, c’est pour cela qu’ils m’aiment bien.