Dossier

Les représentations bibliques de l’au-delà

Comment faire parler en contexte postmoderne les termes utilisés par la foi chrétienne et la Bible pour désigner l’au-delà de la mort? Il vaut la peine de s’y atteler puisque les mots «paradis», «enfer» et «purgatoire» n’ont – de loin – pas disparu du langage ordinaire.

«Federer privé de paradis par Djokovic à Wimbledon»; «Les coureurs cyclistes dans l’enfer des pavés à Roubaix»; «Le Lausanne Sport encore au purgatoire de la Challenge League»: Il est impressionnant – et étonnant – de constater que les journalistes sportifs, et également les conversations courantes, puisent abondamment aux registres théologique et biblique des fins dernières. S’agirait-il d’un reliquat anachronique dont il conviendrait de se débarrasser définitivement, au nom de l’intelligence rationnelle et de la rigueur scientifique?
Nous nous proposons, au contraire, de revisiter les notions employées par la liturgie et l’Ecriture pour viser l’au-delà de la mort, et d’essayer d’en dégager la pertinence pour les mentalités contemporaines.

Des états

Que nous disions d’entrée de jeu que, d’aucune manière évidemment, la foi biblique ne cherche à saisir les réalités du salut en termes d’espace et de temps. On sait les dégâts qu’ont causés au long de l’histoire ces représentations spatio-temporelles figées, notamment quand il était question de «monnayer le raccourcissement du temps de purgatoire» par des indulgences obtenues à travers des œuvres (pèlerinage, aumône, prière) ou des espèces sonnantes et trébuchantes.

Le mouvement réformateur engagé par Luther s’est indigné de ces fausses conceptions et de ces abus, au point que certains théologiens (comme le jésuite Bernard Sesboüé) ont proposé, à l’occasion des 500 ans de la Réforme en 2017, que le concept d’indulgence (la réparation pour les conséquences concrètes et communautaires d’une faute commise) soit définitivement banni des énoncés théologiques et disciplinaires de l’Eglise catholique.

Lorsqu’à l’un des bandits crucifiés à ses côtés – qui, selon le 3e évangile, exprimait sa conversion: «Jésus, souviens-toi de moi lorsque tu viendras avec ton royaume» –, Jésus promet: «En vérité je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis» (Luc 23,39-43), c’est bien d’un état dont il s’agit. «Etre avec le Christ pour toujours, dans le sein du Père et le souffle de l’Esprit»: voilà ce qui pourrait définir le bonheur du ciel.

Le mot «aujourd’hui», auquel Luc a recours ici et dont il ponctue son récit, exprime la réalité du salut dans son immédiateté, sa plénitude et la surprise qu’il suscite: «Aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur», chantent les anges aux bergers à la nativité (Luc 2,11). «Aujourd’hui le salut est arrivé dans cette maison, car [ce publicain pécheur et païen] est aussi un fils d’Abraham», affirme le Messie à Zachée qui l’accueillait en sa demeure (Luc 19,9).

Le Paradis, c’est le Royaume de paix, de justice, de douceur, d’humilité et de vérité que chantent les béatitudes (Matthieu 5,1-12), déjà commencé ici-bas lorsque la violence fait place au pardon et l’honnêteté triomphe sur la corruption, et qui trouvera son accomplissement lorsque Dieu sera tout en tous (1 Corinthiens 15,28).

 

Des métaphores

A cet égard, les images déployées par le dernier livre récapitulateur des Ecritures, l’Apocalypse, c’est-à-dire «la Révélation», jouent sur cette conception du «déjà» et du «pas encore». Ce que nous pouvons expérimenter sur cette terre comme des instants de félicité paradisiaque se réalisera en plénitude définitivement au ciel: un repas de noces qui ne finit pas, dans la cité parfaite, la ville de la paix Jerusalem en hébreu, où afflueront les peuples, races et nations au cœur des cieux nouveaux et de la nouvelle terre (Apocalypse 21,1-4), soit 144'000, c’est-à-dire 12, chiffre de la totalité (des fils de Jacob) fois 12 (les apôtres) fois 1'000, nombre de l’infinitude. Donc une multitude que nul ne pourra dénombrer (Apocalypse 7,1-10); un chœur aux milliards de voix chantant (enfin) complètement juste (Apocalypse 5,11-12 ; 7,12).

Le langage symbolique est évidemment requis, puisqu’il convient de dire avec des mots ce qui est au-delà des mots. Mais il s’enracine dans des expériences concrètes de plénitude, dont nous aimerions qu’elles se poursuivent et ne s’évanouissent pas, tant elles nous comblent le cœur et touchent l’essentiel de l’être. «Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux; ils seront son peuple et lui, Dieu-avec-eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux, de pleurs, de cris et de peines, il n’y en aura plus, car l’ancien monde s’en est allé» (Apocalypse 21,3-4).

C’est tellement vrai que nous y aspirons de toutes nos forces, en espérant revoir celles et ceux que nous avons aimés, que nous avons perdus et dont nous pressentons qu’ils ne sont pas réduits au néant, qu’ils sont auprès de Dieu, puisqu’ils ne cessent de nous épauler ici-bas.

Enfer et purgatoire

Quant à l’enfer, dont nous continuons d’espérer qu’il sera vide et où le Magistère de l’Eglise n’a jamais affirmé que quelqu’un se trouverait, il consiste(rait) dans une séparation d’avec la présence de Dieu, comme une blessure brûlante jamais cicatrisée – d’où les images de la géhenne, des pleurs et des grincements de dents –, une privation d’amour jamais dépassée.

Le purgatoire, du latin purgare, purifier, nous permet d’être libérés de l’angoisse des «cycles jamais achevés des réincarnations» – puisque telle est la conception des religions orientales. Avec la notion de purgatoire, ressemblant au feu du creuset qui rend l’or pur (cf. 1 Pierre 1,7; 1 Corinthiens 3,13), nous n’avons pas besoin de recommencer sans cesse de nouvelles vies jusqu’à ce que nous ayons acquis par nos forces et nos mérites le droit d’être admis «au nirvana». Il suffit de faire tout ce que nous pouvons durant cette vie unique («Car les hommes ne meurent qu’une fois, après quoi il y a le jugement», Hébreux 9,27a), et de nous abandonner, quand vient l’heure de notre mort, à la miséricorde du Seigneur, qui nous délivre de ce qui nous empêche d’être pleinement en accord avec nous-mêmes et avec les autres, et nous prend ainsi auprès de lui. «Viens, fidèle serviteur, entre dans la joie de ton maître» (Matthieu 25,21b-23b), dit le Seigneur dans la parabole des talents.

C’est sur l’amour prodigué aux démunis et aux laissés pour compte que nous serons «jugés», sur nos actes concrets et pas sur nos grandes théories et déclarations:  «Il ne suffit pas de me dire ‹Seigneur, Seigneur› pour entrer dans le Royaume, mais il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux» (Matthieu 7,21). Le Fils de l’homme nous dira à la fin de l’histoire:  «Amen je vous le dis, ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait» (Matthieu 25,40).

Dans le noir

A la question: «Croyez-vous qu’il y a quelque chose après la mort?», les participant·e·s à l’émission estivale radiophonique sur RTS 1 «Dans le noir» ont répondu pour une bonne partie d’entre eux: «Non, il n’y a rien». S’il en était ainsi, l’impression vécue par ces personnalités de demeurer une heure entière «dans le noir», sans plus rien voir, se prolongerait définitivement, mais en étant totalement privée des échanges et des expériences (de goût, de toucher, d’olfaction) telles que le journaliste leur donnait à vivre pendant l’émission. Quelle tristesse!

Ne pressentons-nous pas, lors de la perte d’un proche, qu’il n’est pas fait pour disparaître à tout jamais? Les instants d’éternité, comme lorsque la mer de brouillard s’écarte pour faire place quelques secondes au soleil avant que le brouillard se réinstalle, ne disent-ils pas la réalité? Au-delà des nuages, il n’y a pas les nuages, il y a l’Astre de vie.

 

Notre expert l’Abbé François-Xavier Amherdt est professeur ordinaire à la Chaire francophone de théologie pastorale, pédagogie religieuse et homilétique.
francois-xavier.amherdt@unifr.ch