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Un cap à nos ambitions

Quand on planifie un voyage au long cours, il faut connaître le port d’attache et celui d’arrivée avant de fixer les étapes, prévoir le matériel et remplir son sac à dos. L’image est de Fabian Amschwand, secrétaire général de l’Unifr, avant de nous décrire l’ampleur du travail effectué autour de la Stratégie 2020–2030 de l’Université de Fribourg.

Fabian Amschwand, en lisant le premier jet de la stratégie, j’ai senti un désir très pragmatique de développer une université ancrée à la fois dans le paysage académique international et national, mais aussi dans sa région…

II est important de discuter de nos ambitions! Bien sûr, toutes les universités se veulent internationales. C’est une question de qualité. Mais il est également impératif de développer la position de notre Université sur le plan national. Il y a, aujourd’hui, de vrais risques que le paysage académique suisse se scinde entre des institutions d’envergure nationale et d’autres plus régionales. Je suis persuadé que notre Université à son rôle à jouer dans ce contexte, par exemple en tant que pont à la frontière des langues. Enfin, nous voulons apporter une vraie plus-value au niveau régional. Les discussions autour de la Stratégie 2030 permettent de trouver la bonne balance entre ces trois niveaux et le pragmatisme est un atout fribourgeois qui a l’avantage d’être rassembleur.

La phase de dialogue préparatoire a thématisé des sujets tels que la transition digitale, la durabilité, l’égalité ou le renforcement de la concurrence qui touchent la société dans son ensemble.

Notre Université peut réellement contribuer à répondre à ces défis sociétaux qui nous préoccupent beaucoup. Dans ce sens, ils représentent des chances pour notre développement scientifique et fonctionnel. Formulé ainsi, personne ne me contredira. Mais il s’agit d’identifier les opportunités de profilage et c’est justement ce à quoi une stratégie doit répondre. Nous le faisons, par exemple, actuellement au niveau scientifique avec les Environmental Humanities.

L’Unifr cherche à travailler sur la qualité plutôt que sur la quantité. Comment alors rester compétitive?

C’est justement une chance pour l’Unifr qui met l’accent sur son caractère d’«université personnelle». Face à un développement quantitatif trop rapide, nous atteindrions par ailleurs vite les limites du réalisme en termes d’infrastructures et de personnel. Il y a cependant une taille critique au-dessous de laquelle il ne faudrait pas passer, si nous voulons rester dans la cour des grands.

Il existe – par rapport à la relation entre facultés et Rectorat – un potentiel de tension au niveau de la gouvernance. Comment le résoudre?

Je ne parlerais pas de tension… Les réalités académiques et managériales présentent différents besoins et différentes rationalités, tout en formant une symbiose. Cette dualité a des implications sur l’organisation et le fonctionnement interne. L’aspect de concurrence – promu fortement par la politique – exige un profilage accentué, une efficacité accrue et, à long terme, un retour sur investissement. Nous devons donc rendre des comptes, tout en évitant de tomber dans un utilitarisme à court terme. La liberté académique est un élément clé pour garantir la qualité scientifique. Mais il faut prendre garde à tout ce qu’on place sous ce label, sous peine d’aboutir à une auto-organisation complète. Il ne faut pas oublier qu’une institution forte, de bonne réputation et avec un profil clair est également dans l’intérêt des chercheuses et chercheurs, ainsi que des facultés.

Dans ce contexte, que dire de l’épineuse question des ressources financières?

Tant qu’on reste au niveau conceptuel, ce n’est pas très épineux. C’est la mise en œuvre qui l’est. Nous devons définir où nous voulons mettre nos points forts. En théorie, tout le monde est d’accord. Mais, dans la pratique, procéder à une réallocation exige d’abord de prendre quelque part. Et même si nous travaillons sur le long terme, ce sont des étapes douloureuses. Il est alors important d’avoir un certain consensus sur la direction dans laquelle nous voulons nous développer – d’avoir une stratégie claire.

L’insuffisance des fonds est largement reconnue. Quelles sont les solutions?

Vu la taille du Canton, l’Etat investit déjà beaucoup. Tendre la main n’est pas suffisant, même si nous avons de bonnes idées. Nous devons aussi accomplir certains devoirs à l’interne, par un profilage, l’acquisition de moyens tiers et des restructurations. En même temps, nous devons démontrer aux autorités que l’investissement en vaut la peine. Ce que nous avons fait, par exemple, avec une étude sur les retombées financières régionales de l’Université.

Inter- et transdisciplinarité deviennent les maîtres-mots de la recherche et de l’enseignement…

Les grands défis de notre société ne peuvent être résolus que dans un cadre interdisciplinaire. Cependant, une bonne interdisciplinarité exige une université complète dont les disciplines présentent une base solide. Fribourg a l’avantage de sa taille: suffisamment petite pour faciliter le contact aux niveaux géographique et humain, mais assez grande pour proposer de nombreuses branches. Comme ces approches naissent le plus souvent bottom up, l’Unifr offre de nombreux événements propices aux rencontres informelles.

 

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Une bonne université se construit aussi sur l’excellence de ses scientifiques. Comment les attirer à Fribourg?

Il faut se montrer attractif et, même si c’est un élément important, cela ne se limite pas au salaire. Les scientifiques présentent souvent une très forte motivation intrinsèque. Ils sont à la recherche de conditions-cadres attractives pour mener leurs projets. L’aspect matériel entre alors, bien sûr, en ligne de compte. Mais, l’Unifr présente de nombreux atouts complémentaires, tels que sa proximité, sa communication ou sa nature collégiale. Notre système de gouvernance offre un grand espace de liberté et notre culture ne s’oriente pas sur des performances ou de la concurrence interne à court terme.

Au vu des conditions de travail exigeantes, de l’environnement bi-, voire trilingue, ainsi que des incertitudes liées à la Caisse de pension, comment attirer et garder un personnel administratif et technique de haut niveau?

Cette question nous préoccupe beaucoup. L’Etat, dont nous dépendons, a identifiéce défi et lancé plusieurs projets pour serendre plus attractif en tant qu’employeur. Il y a cependant des tendances critiques au niveau de la politique salariale ou de la réforme de la Caisse de pension (malgré sa nécessité) qui affaiblissent sa position concurrentielle. Malgré cela, nos postes sont intéressants et nous développons une culture de confiance. Quant au bilinguisme, il exige, bien sûr, des compétences qui devraient être mieux rémunérées, mais il représente aussi une plus-value incontestable du cadre de travail. Enfin, je vois un très grand potentiel dans la promotion de la diversité au sein de notre administration. Ce serait un énorme atout.

La Covid-19 a-t-elle mis un frein aux projets concernant l’internationalisation?

La question est plutôt: voulons-nous continuer à promouvoir l’international? Et la réponse est clairement oui. Nous avons perdu un peu de terrain ces dernières années. Nous devons donc nous engager davantage en travaillant notre réputation et notre visibilité. Bien sûr, la Covid-19 a bloqué la situation, mais c’est le cas pour tout le monde. Je suis confiant: d’ici une année cela va se débloquer.

Comment la stratégie développe-t-elle le dialogue avec la société et le monde économique?

Ce dialogue est important pour l’ancrage et l’acceptation. Mais, surtout, nous avons un devoir au niveau du transfert du savoir. Cela fait partie du retour sur investissement que nous évoquions. Nous ne voulons pas être une tour d’ivoire. Les universités ont un profil spécifique, moins orienté vers la pratique que les hautes écoles spécialisées. Mais, c’est justement parce que l’utilité de notre travail ne se manifeste souvent qu’à moyen ou long terme, qu’il est d’autant plus important d’expliquer ce que nous faisons.

Vous quittez l’Unifr à la fin août 2020. Etait-ce important de mettre un point final à cette stratégie avant?

Le processus n’est pas encore fini. La ratification finale par le Sénat est annoncée le 2 novembre 2020. Ce sera ensuite au Conseil d’Etat d’en prendre connaissance… Vu les premières réactions au projet mis en consultation, je pars avec un excellent sentiment.

Que souhaitez-vous à l’Unifr pour ces 10 prochaines années?

Je souhaite à l’Unifr de se profiler davantage au niveau national et international, de se montrer ambitieuse et de mieux prendre conscience de ses forces et de ses potentiels. Nous avons de bonnes raisons d’être fiers, mais nous devons montrer plus le travail extraordinaire qui est accompli chaque jour. En allemand nous disons: Tue Gutes und sprich darüber. Nos collaboratrices et collaborateurs le méritent!

 

Garder un cap concerté

La planification stratégique, c’est l’axe de développement de l’institution à long terme (10 ans). Voulue par la Loi sur l’Université, elle sert à garder le cap en termes de qualité et de succès et elle représente le socle d’instruments à plus court terme. «De façon un peu provocante, on peut dire que c’est un instrument du change management», sourit Fabian Amschwand.

Boîte à outils

Selon lui, il faut deux blocs d’outils pour établir une stratégie. Le premier consiste en un bilan du positionnement actuel de l’institution. Sur cette base, il faut mener des analyses sur ses forces et ses faiblesses, puis évaluer les chances et les risques à venir – les quatre points cardinaux d’une analyse SWOT, pour les connaisseurs. Intervient alors le deuxième outil: le dialogue mené selon diverses modalités, des plus formelles aux plus informelles, durant ces derniers mois à l’interne et à l’externe. Bien plus que le papier final d’une quinzaine de pages, c’est justement cette phase qui compte aux yeux du secrétaire général: «Ce processus a permis de proposer un vrai échange au sein d’une communauté intrinsèquement très hétérogène et d’établir un point de départ commun.»

Fabian Amschwand est le secrétaire général de l’Université de Fribourg depuis 2014, poste qu’il quittera à la fin août 2020, après avoir mis un point (presque) final à la Stratégie 2020–2030.

fabian.amschwand@unifr.ch