Dossier
Lex Weber: Pour le bien des montagnes?
La Lex Weber est-elle vraiment aussi stricte qu’on l’entend? Si on l’examine de plus près, on constate que de nombreuses possibilités de construction sont encore ouvertes et que ce sont d’autres instruments juridiques qui devraient renforcer la protection du paysage.
Depuis le vote du dimanche 11 mars 2012, l’art. 75b de la Constitution fédérale interdit la construction de résidences secondaires dans 371 communes, qui se trouvent en majorité dans les cantons alpins. L’initiative à l’origine de cette interdiction a été lancée par la Fondation Franz Weber et l’argumentaire rappelle la force de la montagne sur l’imaginaire suisse: personne ne voulait voir le village de Zermatt et le Cervin défigurés par la construction. Dès les débuts de l’ère touristique au XVIIIe siècle, de nombreux auteurs, peintres et scientifiques, comme Jean-Jacques Rousseau ou Ferdinand Hodler, ont contribué à former cet imaginaire romantique en décrivant des villages et des montagnes intacts. Citons les Souvenirs d’un alpiniste d’Emile Javelle, professeur de lettres et alpiniste du XIXe siècle: «Pourquoi faut-il que notre destinée nous entraîne si souvent loin des lieux qui seraient faits pour notre cœur! Vivre dans le secret de cette belle vallée, au pied des glaciers, si fiers et si purs, dans les grandes ombres fraîches et la paix des pâturages déserts, y vivre avec un ou deux êtres aimés… n’est-ce pas, dites-moi, le rêve du bonheur?»
Les montagnes, patrimoine à protéger
Le tourisme a progressivement transformé les régions de montagne et les villages, dotés de nouvelles infrastructures touristiques, se sont agrandis. En particulier, la construction de résidences secondaires dès la deuxième partie du XXe siècle avec un boom de la construction dans les années 2000 a modifié la structure bâtie des villages de montagne. Les premières politiques foncières pour préserver le sol remontent pourtant aux années 1970. L’utilisation des images de Zermatt dans l’argumentaire de la Fondation Franz Weber est en ce sens paradoxale, puisqu’elle est l’une des rares communes valaisannes à avoir limité la construction de résidences secondaires bien avant l’adoption de l’initiative Weber en 2012.
L’initiative Weber a pour objectif de freiner la construction de résidences secondaires pour protéger la nature et le paysage. D’une part, la multiplication des résidences secondaires contribue au mitage du territoire et du paysage: elles occupent du terrain qui n’est pas disponible pour d’autres constructions, comme les résidences principales, les hôtels ou les activités commerciales, ce qui amène les communes à agrandir leurs zones à bâtir. D’autre part, la construction de résidences secondaires favorise le morcellement du paysage, qui est une ressource naturelle indispensable pour le tourisme. L’interdiction de construire des résidences secondaires a donc pour but de protéger le paysage non bâti: les montagnes ont une valeur d’identification en tant que ressource naturelle, et font en ce sens partie du patrimoine suisse. Tous les objectifs précités contribuent aussi à réaliser une occupation plus rationnelle et mesurée du territoire, conformément aux objectifs constitutionnels de l’aménagement du territoire et de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT).
Quelle place pour le paysage?
L’art. 75b Cst. et son objectif de protection de la nature et du paysage ont été mis en œuvre par la Loi fédérale sur les résidences secondaires (LRS) et son ordonnance (ORSec), entrées en vigueur le 1er janvier 2016 suite à un long processus législatif. Cette législation est communément appelée la Lex Weber. De nombreux débats politiques et juridiques ont entouré la mise en œuvre de l’art. 75b Cst. Les milieux économiques soutenaient, par exemple, que l’interdiction de construire des résidences secondaires aurait des effets négatifs sur le secteur de la construction en termes de pertes d’emploi, de recettes et de revenus. L’interdiction de l’art. 75b Cst. met également un terme à l’un des modèles qui a contribué au développement touristique des régions de montagne, à savoir la construction et la vente de résidences secondaires. L’objectif de protection de la nature et du paysage que poursuit l’initiative a ainsi été opposé à des intérêts économiques. Poussé par ce type d’arguments, le Parlement a dû faire des compromis. La Lex Weber contient donc plusieurs dispositions qui font exception à l’interdiction constitutionnelle de construire des résidences secondaires. Les trois cas suivants illustrent les différents objectifs de la loi et montrent que la construction n’est pas complètement arrêtée dans les communes alpines.
Nombreuses exceptions
Premièrement, les logements qui ont été construits ou autorisés avant le 11 mars 2012 peuvent librement changer d’affectation de résidence principale à résidence secondaire, et être transformés et agrandis de 30% (art. 10 et 11 LRS). Deuxièmement, les bâtiments caractéristiques du site, comme les mayens, les rustici ou les granges, peuvent être transformés en résidences secondaires, moyennant le respect de plusieurs conditions qui relèvent de la protection du patrimoine (art. 9 LRS). Ces deux premières exceptions s’appliquent à des bâtiments existants, tandis que la troisième exception permet aux «établissements d’hébergement organisés» de construire sur des terrains jusque-là non bâtis. Les établissements hôteliers, la parahôtellerie, les résidences touristiques ou d’autres modèles d’hébergement innovants correspondent à la définition d’un établissement d’hébergement organisé, pour autant qu’ils comprennent des infrastructures et des prestations hôtelières minimales, et qu’ils soient organisés selon un concept d’exploitation de type hôtelier (art. 4 ORSec). Les établissements d’hébergement qui correspondent à cette définition peuvent ainsi obtenir une autorisation de construire pour ériger un nombre illimité de logements touristiques. Ce type de logement est destiné à accueillir des hôtes pour des séjours de courte durée et peut être vendu à des propriétaires-investisseurs (art. 7 al. 2 let. b LRS). Les établissements d’hébergement peuvent aussi construire un nombre limité de résidences secondaires pour financer l’exploitation de l’établissement d’hébergement (art. 8 LRS). La Lex Weber fait donc exception à l’interdiction constitutionnelle pour les constructions qui sont liées à un hôtel.
L’objectif principal de l’initiative, qui est de protéger la nature et le paysage, ne ressort pas directement de la Lex Weber. En comparaison, la Loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage (LPN) prévoit des instruments de protection directe, comme l’obligation d’établir une expertise pour évaluer les effets de la construction sur les objets protégés. La Lex Weber ne contient ni le principe de l’intégration des bâtiments dans le paysage ni l’obligation d’établir une expertise qui évalue l’impact d’un projet d’hôtel sur l’aspect caractéristique du paysage et de la localité. Malgré l’interdiction de l’art. 75b Cst., la Lex Weber offre plusieurs possibilités de construire des résidences secondaires. La protection effective de la nature et du paysage dépend donc d’autres instruments. A notre avis, il appartient aux cantons et aux communes d’exiger que les projets conformes à la Lex Weber soient mieux intégrés dans le site et dans le paysage. Ils pourraient ainsi adopter des conditions plus strictes dans le plan directeur cantonal ou dans le règlement communal des constructions. Ceci éviterait des constructions surdimensionnées et mal intégrées dans le paysage, et renforcerait l’intégration des projets d’établissements d’hébergement organisés dans la structure bâtie des villages de montagne.
Notre experte Valérie Bodevin publiera sa thèse de doctorat sur la construction d’hôtels en automne 2020. Elle est assistante diplômée au Département de droit public. Dans le cadre de l’Institut pour le droit de la construction, elle a notamment publié une étude sur la Législation sur les résidences secondaires – Jurisprudence 2015–2019 avec le Professeur Jean-Baptiste Zufferey.