Dossier

Les élèves LGBT+, oublié·e·s de l’éducation sexuelle spécialisée?

Un travail de fond doit être mené sur la façon dont l’éducation sexuelle aborde les questions de genre auprès des élèves présentant des difficultés d’apprentissage. Même avec beaucoup de bonne volonté, difficile pour les spécialistes en santé sexuelle de s’extraire d’un discours binaire

Suivant les standards de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’éducation sexuelle se veut une éducation dite holistique, c’est à dire globale, qui aborde positivement la diversité sexuelle et qui lutte contre les inégalités de genre. En Suisse, elle est aussi dispensée dans les écoles spécialisées, auprès d’élèves exclu·e·s du système scolaire ordinaire. Les extraits ci-dessous concernent des élèves âgé·e·s de 12 à 14 ans, ayant des difficultés d’apprentissage. Ils sont tirés d’un travail de thèse en cours.

En s’intéressant de plus près aux contenus transmis par les spécialistes en santé sexuelle, on observe que l’éducation sexuelle spécialisée est principalement centrée sur des dimensions biologiques comme les parties du corps et leurs fonctions ou les changements physiques à la puberté. La thématique de la reproduction occupe également une place prédominante dans les cours et est très souvent liée à la notion de «faire l’amour», comme dans l’extrait ci-dessous:

Spécialiste en santé sexuelle A (SpéA):  Ça veut dire quoi «faire l’amour»? Les adultes ils font quoi, quand ils font l’amour?
Fille: …
SpéA:  Ils s’embrassent, se câlinent, se mettent très, très proches souvent. Chez le monsieur, il se passe quelque chose: son pénis se dresse. Et chez la femme, il y a quelque chose aussi qui se passe dans son corps: le vagin devient humide, mouillé. Et après un certain temps, le monsieur va glisser son pénis dans le vagin. Et là, les graines vont sortir.

L’explication du rapport sexuel est résumée à une relation péno-vaginale entre un homme et une femme. Cette façon de présenter les choses n’est pas neutre et renforce l’idée de la complémentarité des sexes, ce qui traduit une approche hétéronormative de l’éducation sexuelle. L’acte a ici pour finalité l’éjaculation, avec la mention des graines qui sortent, ce qui renforce le lien à la reproduction. Cette définition du rapport sexuel laisse peu de place aux sexualités non hétérosexuelles, non reproductives ou non pénétratives.

Certes, les spécialistes en santé sexuelle abordent la diversité sexuelle: l’homosexualité, les familles arc-en-ciel. Elles essaient d’adopter un langage inclusif, ce qui traduit une volonté d’ouverture. Mais une analyse plus précise des discours montre que la thématique LGBT+ reste minoritaire et reléguée à une place marginale.

LGBT+, quel discours?

L’homosexualité est la thématique touchant à la diversité sexuelle qui est la plus abordée durant les cours. Les spécialistes en santé sexuelle mentionnent d’abord sa prévalence, à savoir qu’une personne sur 10 est concernée.

SpéC:  Et les homosexuels, il y en a combien vous pensez?
Garçon:  3? 5? 10?
SpéC:  Entre 8 et 10, sur 100 personnes, ça veut dire moins de 1 personne sur 10, ça veut dire aussi la difficulté, souvent ils se sentent très seuls et il y a fréquemment une période entre 12 et 20-25 ans, où ils sont seuls, avec ce secret et ils n’osent en parler avec personne, et ils ne se sentent pas bien avec ça. Et puis après, en général, une fois qu’ils ont pu régler ce problème, qu’ils ont pu travailler là-dessus, qu’ils ont pu en parler… Comment s’appelle le terme, quand un homosexuel dit aux gens autour de lui qu’il est homosexuel?
Garçon:  Des aveux?
SpéC:  Oui, alors on utilise un terme anglais qui s’appelle coming out.

Les professionnelles parlent du mal-être que vivent les adolescent·e·s homosexuel·le·s, leur solitude, la difficulté à en parler. Ceci, sans doute, dans l’idée d’un appel à la bienveillance de la part du groupe de pairs, mais, en réalité, ce discours stigmatise. De plus, derrière ces propos plâne l’injonction à dire, à se dévoiler, ce qui règlerait «un problème». Le terme «aveux», utilisé par l’élève et non corrigé par la spécialiste en santé sexuelle, illustre bien cette idée. 

 

© STEMUTZ.COM

Anita, 53, lipstick dyke
Lehrerin, Regenbogenfamilienmutter
«Freiheit wird einem nicht gegeben,
frau muss sie sich nehmen.»

Les thématiques intersexe et trans* ne sont presque pas abordées et, lorsqu’elles le sont, c’est généralement parce qu’un·e élève a posé une question sur ces sujets. Le discours des professionnelles traduit alors la binarité:

A la naissance, on va naître soit avec un sexe de fille, soit avec un sexe de garçon, et, en fonction du sexe qui est là, on va se sentir garçon ou on va se sentir fille. Ça, c’est la plupart du temps, c’est comme ça. Et puis, après, la majorité des filles, qui sont filles dans leur sexe et filles dans leur tête, sont attirées par le sexe opposé. Et puis, de temps à temps, il y a des garçons qui naissent avec un sexe de garçon, mais qui, en grandissant, ont l’impression que la nature s’est trompée. Ça, ça va être compliqué, parce qu’ils ont l’impression qu’on ne les comprend pas, quand on leur dit: «non, tu ne peux pas mettre une jupe parce que les jupes, c’est les filles qui les mettent», il va dire: «mais je suis une fille». Et ça, c’est les personnes trans* ou transsexuelles. C’est très compliqué à l’intérieur de la tête quand on a une question trans* (SpéC).

Ce discours, essentialiste, renforce la binarité des sexes et des genres en ne mentionnant que deux seules possibilités, qui s’excluent mutuellement. Il nie par ailleurs l’existence des personnes intersexuées. De plus, il montre d’abord l’évidence, à savoir la prétendue normalité, puis mentionne dans un deuxième temps les autres possibilités, en les expliquant par des erreurs de la nature. Ce discours pathologise à nouveau les personnes trans*, ce qui est encore souligné par la mention du fait que c’est très compliqué.

Sans une réflexion critique sur le genre et l’hétéronormativité, la conception de la sexualité diffusée par l’éducation sexuelle transmet donc des biais: elle est biologisante (centrée sur la reproduction), différentialiste (les hommes et les femmes sont présentés comme différents et complémentaires) et hétéronormative.

La licorne du genre: un outil inclusif

Face à ces constats, comment favoriser une éducation sexuelle inclusive de toutes et tous? Un outil pédagogique, simple mais précis, permet d’aborder l’identité dans sa diversité: la licorne du genre. Ce schéma rend visibles les différentes dimensions qui définissent chaque personne: l’identité de genre, l’expression de genre, le sexe assigné à la naissance, les attirances sexuelles et les attirances émotionnelles. Pour toutes ces dimensions, chaque élève peut placer le curseur selon son souhait. Le schéma, ludique et facile à utiliser, peut être téléchargé sous: unicorn.mrtino.eu.

Cet outil ouvre le champ des possibles et laisse à chacun·e la liberté de se définir et de faire évoluer sa propre définition de soi. Il n’y a ainsi pas seulement deux possibilités, garçon/fille, homo/hétéro…, mais plusieurs, qui sont toutes présentées comme valables, possibles et faisant partie de la réalité. Ce schéma, par sa clarté, constitue une bonne réponse aux inquiétudes des spécialistes en santé sexuelle qui évitent parfois d’aborder la diversité sexuelle craignant une confusion des élèves ayant des difficultés de compréhension.

Adopter une pédagogie critique de la norme est certes contraignant: cela suppose une rigueur et une attention de tous les instants pour contourner les pièges de l’hétéro-normativité. Mais remettre en question les normes de genre et de sexualité, ainsi que celles de capacité et d’ethnicité, évite à l’école de n’être qu’un simple instrument de reproduction de la société et de l’hégémonie des classes dominantes.

 

Notre experte Sophie Torrent est assistante et doctorante au Département de pédagogie spécialisée. Son travail de thèse (en cours) porte sur la construction de genre qui s’opère dans les cours d’éducation sexuelle spécialisée. sophie.torrent@unifr.ch