Recherche & Enseignement

Découverte de l’ancêtre sauvage du palmier dattier

Des palmiers dattiers, vierges de toute manipulation humaine, existent encore à l’état sauvage. Cette découverte, fruit d’une recherche conduite en collaboration avec le Département de biologie de l’Université de Fribourg, ouvre des perspectives pour la culture dans les oasis et l’amélioration des espèces modernes.

Contrairement à l’idée encore répandue, qui confine parfois à l’idéologie, de la bonté prolifique de la nature sauvage, c’est le développement de l’agriculture qui a permis aux populations humaines d’abandonner les modes de vie nomades, d’établir des colonies, puis de construire des civilisations. Des millénaires avant l’histoire écrite, la transformation des plantes sauvages en cultures abondantes et fiables a déterminé la trajectoire de l’humanité. En revanche, il est vrai que le retour aux sources d’une manière scientifique, en l’occurrence la découverte des phases, des lieux et des raisons de la domestication des plantes sauvages peut s’avérer fructueux. Par exemple, les ancêtres des plantes domestiquées contiennent souvent des agents naturels résistant aux pathogènes émergents. Cela pourrait être le cas du palmier dattier (Phoenix dactylifera), dont des spécimens sauvages ont été identifiés pour la première fois dans des régions reculées d’Oman, au sud de la péninsule d’Arabie.

La distinction des individus ayant un patrimoine sauvage unique est particulièrement difficile pour les arbres fruitiers vivaces à reproduction clonale comme le palmier dattier, car la reproduction sexuée donne souvent des descendants avec des caractères sauvages, tels que des petits fruits désagréables au goût. Ce sont les expéditions pionnières du généticien et géographe des plantes Nikolaï Vavilov (1887-1943), au début du XXe siècle, qui ont fourni l’hypothèse que de petits centres pré­historiques de domestication des plantes sauvages, au cours de centaines de milliers d’années de sélection à médiation humaine, ont abouti à de nombreuses cultures fondamentales qui ont été répandues par le commerce: elles sont maintenant cultivées dans le monde entier, servant de base alimentaire à des millions, voire des milliards de personnes. Or des décennies de recherches n’ont pas encore permis de découvrir avec certitude l’identité des ancêtres sauvages de la plupart de ces cultures importantes. Concernant le palmier dattier, il existe des populations non cultivées dans le désert du Sahara en Afrique, ainsi qu’au Moyen-Orient, mais elles sont issues probablement de cultures abandonnées ou de noyaux de dattes consommées qui ont donné des plants féraux (préalablement domestiqués, puis revenus à l’état sauvage). Des recherches sont en cours et l’avenir nous dira si certaines de ces populations sont sauvages.

 

La région des monts Hajar au nord-est du sultanat d'Oman, © Getty Images
Découverte importante

En revanche, le projet de recherche de Muriel Gros-Balthazard, ancienne post-doctorante à l’Université de Fribourg et actuellement chercheuse à la New York University à Abu Dhabi (Emirats Arabes Unis), a permis de trouver avec certitude un ancêtre sauvage du palmier dattier. Dans un numéro de la revue Current Biology (27, R702–R719, July 24, 2017), la biologiste et ses collègues co-auteurs de l’étude ont démontré que des populations sauvages prospèrent encore dans des régions reculées du sultanat d’Oman. Ont participé à cette recherche le Professeur Daniel Wegmann, directeur de l’Unité de recherche en bioinformatique et biologie computationnelle de l’Université de Fribourg et l’un de ses doctorants, Marco Galimberti, ainsi que d’autres scientifiques internationaux. «Cette découverte est passionnante non seulement au plan historique, car elle permettra de comprendre mieux l’évolution des civilisations humaines, commente Muriel Gros-Balthazard, mais aussi au plan agricole, car elle pourrait servir à améliorer les variétés modernes de dattiers pour faire face aux défis actuels que sont les changements climatiques, la hausse des températures et de la sécheresse, l’apparition de nouveaux pathogènes, et une baisse de la diversité génétique. Concernant ce dernier point, la cause en est que des variétés élite telles que Deglet Noor sont de plus en plus cultivées, donc on perd la diversité d’autres cultivars plus rares, mais qui peuvent parfois porter des versions de gènes intéressantes.»

Ces découvertes sont importantes, puisque le palmier dattier est probablement la plante domestiquée la plus importante dans les pays chauds et arides d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. L’arbre est très productif – en un an, un seul arbre peut produire plus de 100 kg de fruits – et il est surtout l’espèce-clé du système agricole oasien. Les fanes des frondaisons de ces arbres élevés – les troncs peuvent atteindre 20 m de hauteur – four­­­-n­i­ssent une ombre cruciale pour les arbres fruitiers et les plantes moins résistants, comme la figue et la grenade, ainsi que les céréales annuelles et les légumineuses semées sur le sol. Le palmier dattier se trouve ainsi au centre d’un agrosystème sans lequel la vie humaine serait fortement limitée en milieu désertique. Riche en sucre et en nutriments, la datte fait d’ailleurs partie de la tradition musulmane qui veut qu’on en consomme au coucher du soleil pendant le Ramadan.

 

Palmiers dattiers sauvages dan les monts Hajar, nord-est du sultanat d'Oman, © Sarah Ivorra

Pour tester si les palmiers dattiers non cultivés trouvés dans le sud-est de la péninsule arabique représentent effectivement des populations ancestrales, les chercheurs ont d’abord mené une analyse comparative de la morphologie des graines sur des variétés domestiquées, ainsi que sur une espèce sœur, sauvage aussi, Phoenix sylvestris, poussant en Inde et au Pakistan, exploitée pour sa sève afin d’obtenir du sucre. En effet, l’altération de la forme et de la taille des graines ou noyaux est un signe important de la domestication dans de nombreuses cultures, la sélection humaine pour des fruits plus gros ayant souvent un impact indirect sur la morphologie. De l’analyse de milliers de graines analysées, il est ressorti que les dattiers d’Oman portaient des graines petites et arrondies plus semblables à celles de l’espèce sœur sauvage qu’aux graines oblongues de variétés cultivées. Cet indice a incité les chercheurs à conduire une analyse génétique qui a démontré que les dattiers omanais, bien que présentant une plus grande affinité morphologique avec le Phoenix sylvestris (palmier à sève), appartiennent bien à l’espèce Phoenix dactylifera (palmier dattier). Avec un nombre limité de marqueurs génétiques typés sur de nombreux individus et grâce à un séquençage génomique de grande qualité effectué sur un groupe plus restreint, les auteurs ont observé une diversité génétique plus élevée dans les palmiers dattiers non cultivés d’Oman que dans toutes les autres variétés domestiques du Moyen-Orient. L’étude phylogénique (étude des relations de parenté) montre que les palmiers dattiers d’Oman sont ancestraux. Sur ces entrefaites est intervenue la modélisation d’un scénario démographique par le Professeur Daniel Wegmann et son doctorant Marco Galimberti.

 

Interdisciplinarité sollicitée

Ces analyses génétiques suggèrent que d’autres secrets restent à découvrir. Ainsi, il semble qu’il y ait eu deux foyers de domestication du palmier dattier, le premier au Moyen-Orient, à partir des dattiers omanais, puis un autre secondaire en Afrique, mêlant ultérieurement ces souches omanaises à des populations sauvages locales qui restent à découvrir. Subsistent des «lacunes» géographiques et chronologiques pour expliquer ces faits d’un point de vue archéologique. Au Moyen-Orient, des tablettes cunéiformes et des illustrations indiquent qu’un système agricole à part entière comprenant la culture de palmiers-dattiers était établi vers 2500 avant notre ère, tandis que la chronologie africaine, moins bien établie, car il y a eu peu de fouilles en Afrique du Nord, hormis en Egypte, suggère que les palmiers-dattiers ont été cultivés sur ce continent à partir de 1500 avant notre ère. Fruit d’une collaboration entre généticiens, botanistes et archéologues, cette étude démontre le pouvoir de l’interdisciplinarité. Qui n’a pas encore dit son dernier mot dans le cadre de cette recherche passionnante sur les origines de la domestication humaine des plantes.

 

Notre experte Muriel Gros-Balthazard écrit sa thèse en cotutelle à l’Université de Montpellier et à l’Institut de recherche pour le développement (IRD, Montpellier) entre 2009 et 2012. Son but était notamment d’essayer de mettre en place un protocole permettant de déterminer si les populations non cultivées de dattiers à Oman étaient férales ou sauvages et de mettre en avant des caractères permettant de différencier les sauvages. Elle rejoint ensuite, en tant que post-doctorante, le groupe de recherche en bioinformatique et biologie computationnelle dirigé par le Professeur Daniel Wegmann, à l’Université de Fribourg. Cette collaboration devrait d’ailleurs se poursuivre. Depuis janvier 2018, elle est chercheuse à la New York University Abu Dhabi (UAE), au Center for Genomics and Systems Biology. Elle dirige le projet «Génomique du palmier dattier» et continue donc les recherches sur les origines de cette espèce. La chercheuse a été distinguée en début d’année par le 10e Khalifa International Award for Date Palm, à Abu Dhabi. C’est un prix qui récompense la meilleure recherche de l’année sur les palmiers-dattiers. La dotation, environ 300'000 francs, a été partagée entre les co-auteurs de l’étude.