Joseph Deiss: «L’Université de Fribourg a été mon terroir intellectuel»

Joseph Deiss: «L’Université de Fribourg a été mon terroir intellectuel»

Face au risque de coupes budgétaires, les représentant·e·s du corps estudiantin de l’Université de Fribourg ont organisé une soirée de conférences. L’occasion de rappeler l’apport important, pour le canton, d’une institution forte de plus de 10’000 étudiant·e·s et 2500 collaborateur·trice·s. 

Quelle mouche a donc piqué les étudiant·e·s de l’Université de Fribourg (Unifr) pour qu’ils/elles se lancent dans une telle promotion de l’Alma Mater? Un cri du cœur même. «La communauté étudiante ressent une profonde inquiétude face aux menaces de réductions budgétaires, que ce soit au niveau cantonal ou fédéral», déclare Jérôme Meyer, membre du comité exécutif de l’Association générale des étudiants de l’Université de Fribourg (AGEF).

Joseph Deiss, ancien président de la Confédération, Katharina Fromm, rectrice et Sylvie Bonvin-Sansonnens, conseillère d’Etat

La rencontre du 7 mai 2025 à Fribourg, intitulée «Fribourg, eine Universität, un canton», mise sur pied par l’organisation estudiantine, avait justement pour but de faire passer le message. «Il est important que les autorités politiques comprennent nos inquiétudes», souligne l’étudiant au terme d’une soirée lors de laquelle l’ensemble de l’association s’est mobilisée. Avec une idée: rappeler l’apport important de l’Université à son terreau fribourgeois.

Relever le défi ensemble
La soirée était ponctuée par diverses interventions. Celles de Katharina Fromm, rectrice de l’Unifr, de la conseillère d’Etat fribourgeoise Sylvie Bonvin-Sansonnens, cheffe de la Direction de la formation et des affaires culturelles, mais aussi de Martine Stoffel, présidente du comité de l’association Alumni et amis de l’Unifr, du professeur d’économie publique Mark Schelker. Sans oublier l’ancien conseiller fédéral Joseph Deiss, ancien professeur d’économie qui a étudié dans ces murs, qui a pris la parole ce soir-là dans l’auditoire portant son nom.

Membres de l’AGEF

De leurs côtés, les membres du comité de l’AGEF se sont également exprimés. A l’image de Jacques Deillon, qui concluait par un appel: «Il ne s’agit pas d’une complainte estudiantine, mais bien de dire que l’AGEF est prête à relever le défi avec vous». De quel défi s’agit-il? Pour l’université, il s’agit de mobiliser les forces économiques, mais surtout politiques, en sa faveur. De convaincre du rôle essentiel qu’elle joue pour le canton et de souligner les risques en cas de coupes budgétaires.

Fribourg, une université efficace
Car la menace est à la porte. Elle frappe par un acronyme qui sonne comme une catastrophe: PAFE, pour Programme d’assainissement des finances de l’Etat. Un plan de diète quasi généralisé, en consultation jusqu’au 15 juin 2025, décidé par le Conseil d’Etat fribourgeois en cours de législature et sur lequel se prononcera le Grand Conseil. Motif avancé par le Canton: un contexte d’allégement des finances fédérales et une baisse des revenus de la péréquation.

Mark Schelker, Professeur d’économie

Une cure qui doit amener 490 millions de francs dans les caisses de l’Etat d’ici 2028. Pour l’Université, le PAFE prévoit une réduction de l’enveloppe budgétaire de 2,5 millions de francs sur les trois prochaines années. Montant qui ne rend que plus austère le régime déjà entamé par l’Unifr depuis l’été 2024. Résultat: les économies devraient s’élever en tout à 21,6 millions de francs pour la période 2025-2028. Sans compter la perspective d’une baisse des ressources provenant de la Confédération pour environ 10 millions de francs ces prochaines années.

Une situation d’autant plus dure pour l’Unifr que celle-ci n’est pas l’institution la plus coûteuse du pays. En comparaison, Bâle, d’une taille similaire à Fribourg avec environ 12’000 étudiant·e·s, possédait en 2023 un budget plus de deux fois plus élevé avec 766 millions de francs, contre 310 millions pour Fribourg. «Cela fait de Fribourg une université terriblement efficace», a commenté dans une présentation chiffrée Mark Schelker, prof. d’économie publique à l’UniFr.

Les mots de Joseph Deiss
Pour ce spécialiste, pas de doute, il existe un lien symbiotique entre les deux institutions. «Une université forte conduit à un canton fort. Et réciproquement.» L’Université, par sa nature même, permet à l’Etat de remplir deux de ses rôles (l’éducation et la recherche). Et lui amène une ressource essentielle: le capital humain. Au lieu de rogner les budgets et préserver l’existant, Mark Schelker est d’avis que le canton gagnerait à repenser les conditions cadres susceptibles d’attirer davantage d’entreprises sur son sol. Et de rappeler que l’Unifr, citant une étude, a contribué à la création de valeur cantonale pour 227 millions de francs en 2015. La même année, son apport au pouvoir d’achat du canton se montait à 85 millions.

Bien qu’ancien professeur d’économie à l’Unifr, Joseph Deiss a préféré quant à lui souligner la dimension symbolique. «Cet endroit a été mon terroir intellectuel», a commencé par rappeler celui qui y a d’abord étudié. Très opposé au récent projet de la Confédération de doubler les taxes universitaires, une manière d’économiser à bon compte sur le dos des étudiant·e·s, le Fribourgeois voit dans l’Unifr l’un des ciments du canton, forte des valeurs latines inscrites au-dessus des portes de son Aula Magna : Scientia et sapientia (science et sagesse). Un lieu, non pas qui fait de la politique, mais permet à la politique de se faire, «un forum pour les grandes questions de la société et du monde».

Réduire l’offre de l’Université diminuerait son attractivité
Rectrice de l’Unifr, Katharina Fromm partage pour sa part l’inquiétude des étudiant·e·s. La difficulté, selon elle, ne tient pas dans la capacité de l’institution à se réinventer — «elle le fait en permanence» —, mais bien dans la mise sous pression, qui plus est sur un temps court. Elle craint que cela ne conduise à des coupes sur les postes de travail. «Une réduction de l’offre diminuerait l’attractivité de l’Université», dit-elle. Et plus loin, dans le sillage de cette spirale, le risque d’une baisse des ressources financières provenant de la Confédération est bien réel.

Une perspective d’autant plus dramatique que l’UniFr «se trouve aujourd’hui dans une dynamique positive qui va à l’encontre de la logique de ces coupes», continue la rectrice. Parmi les fruits de cette évolution, elle cite l’Adolphe Merkle Institute (AMI), la recherche sur les biomatériaux, qui place l’université fribourgeoise en 3e position dans ce domaine, après les écoles polytechniques fédérales, ou encore la formation en droit et en médecine.

Un vent favorable, mais fragile, et qui pourrait bien retomber. L’Université de Fribourg ayant peu de graisse en réserve, pour reprendre une image du prof.  Markus Schelker, il faudrait, en cas de coupes, entamer la chair, le muscle, voire le squelette. «Ce serait très dangereux», insiste Katharina Fromm, attachée à la diversité des disciplines actuelles à Fribourg. Cette offre large permet de traiter les problèmes de façon pluridisciplinaire et holistique. «C’est l’un de nos points forts», dit-elle, citant le Food Center ou le cluster «Future of Switzerland».

Forte concurrence dans le pays
«Avec ces restrictions, le risque est que l’on n’arrive pas à décoller», continue-t-elle. Et se développer est d’autant plus vital pour Fribourg que la concurrence s’accroit entre les universités et les hautes écoles du pays. Que ce soit à Lucerne, Neuchâtel, Bienne, ou encore le projet de transformer Unidistance en Université du Valais, on investit dans de nouvelles constructions pour la formation supérieure. Là où Fribourg peine à entretenir le bâti existant.

Portant la voix du Conseil d’Etat mercredi soir, Sylvie Bonvin-Sansonnens fait le même constat: la concurrence s’accroit dans le pays au niveau de la formation supérieure. Une situation qu’elle regrette. «Cela devient presque malsain», juge-t-elle. Sur les perspectives budgétaires de l’Unifr, la ministre précise que cette «baisse» représente en fait une diminution de l’augmentation initialement prévue au budget pour la législature. Question de vocabulaire. Car pour l’Unifr cela constituera bel et bien une diminution de ressources financières.

«Il ne fait pas de doute que l’Université de Fribourg est importante pour le canton», a rappelé Sylvie Bonvin-Sansonnens, tout en évoquant qu’il est demandé à chacun et chacune de faire un effort dans le cadre du PAFE. Elle s’est dit touchée par les prises de paroles de la soirée et invite tout un chacun à participer durant cette phase de consultation, soulignant l’importance, pour le canton, d’avoir des éléments chiffrés pour avancer.

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Author

Pierre Koestinger est journaliste indépendant.

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