«Je crois en une approche plus holistique de l’éducation!»

«Je crois en une approche plus holistique de l’éducation!»

Dans sa thèse en sciences de l’éducation, Zoe Albisetti se penche sur le sentiment de sécurité en milieu scolaire. La chercheuse de l’Unifr y croit dur comme fer: un travail d’introspection permet aux élèves – et aux enseignant·e·s – d’accroître leur bien-être.

Zoe Albisetti, d’où vient votre intérêt pour les sciences de l’éducation?
J’ai toujours été intéressée par la transmission de l’apprentissage et j’ai d’ailleurs hésité à me lancer dans l’enseignement. C’est une activité que j’ai eu l’occasion de pratiquer en été, comme job de vacances dans des écoles maternelles ou des camps linguistiques. L’éducation est un domaine très vaste, qui pose beaucoup de questions. Moi, l’école, je l’ai toujours aimée, collège mis à part. Mais pas seulement pour l’aspect apprentissage, aussi pour l’aspect social. D’ailleurs, plusieurs de mes amitiés datent de la maternelle.

Pourquoi avoir consacré votre thèse de doctorat au sentiment de sécurité des élèves?
Dans le cadre de mes études à l’Unifr, j’ai découvert tout le pan affectif de l’éducation. La notion de sécurité, et tout ce qu’il y a derrière, a suivi lors de mes études en formation d’adultes à l’Université de Genève. Cette notion m’a immédiatement interpellée et j’ai commencé à me questionner sur le sentiment de sécurité chez les adolescent·e·s. Plus précisément, je me suis demandé en quoi le fait qu’un·e élève se sent en sécurité a un impact sur son implication dans le processus d’apprentissage et son interaction dans le groupe. D’où le questionnement principal de ma thèse: dans quelle mesure la perception de sécurité se trouve-t-elle en lien avec les comportements apprenants adoptés en classe?

Concrètement, comment se sont déroulées vos recherches?
Mes recherches étaient axées sur trois classes tessinoises de l’école secondaire. Les questions portaient notamment sur la perception d’être aidé·e, l’impression d’avoir le droit de commettre des erreurs, le fait d’oser prendre la parole ou encore les buts scolaires et sociaux poursuivis par les élèves. J’ai également intégré des dimensions liées à la violence. A noter que mes questions étaient toujours doubles; elles concernaient à la fois la perception associée à l’enseignant et aux autres élèves.

Avez-vous été surprise par certains de vos résultats?
Une des surprises réside dans le fait que, alors que les enseignant·e·s ont souvent tendance à penser que les élèves qui s’expriment le plus en classe sont ceux qui se sentent en sécurité, ce n’est pas forcément le cas. Une autre constatation qui ne va pas forcément de soi: la perception qu’ont les élèves d’être en sécurité n’évolue pas forcément parallèlement aux comportements. Un élève m’a par exemple confié être en situation de mal-être, car il était victimisé par les autres; or, l’enseignant – à qui il n’avait pas osé en parler – ne s’était pas rendu compte de cette nouvelle dynamique de malaise dans sa classe. Cela montre l’importance de s’intéresser davantage à la perception des élèves et pas seulement à leurs comportements. La perception peut, en effet, rester invisible et refoulée.

Quelles sont les principales conclusions de votre travail?
La première, c’est l’importance d’analyser, d’une part, les dynamiques spécifiques à chaque classe, et, d’autre part, les élèves en particulier, plutôt que de généraliser. Pour ne citer qu’elles, les trois classes sur lesquelles ont porté mes recherches étaient complètement différentes. Par ailleurs, j’ai constaté que certain·e·s élèves appartenant à une classe globalement «sûre» pouvaient tout de même se sentir en insécurité.

A votre avis, à qui revient la tâche d’effectuer ce genre d’analyse?
Je pense qu’il serait intéressant qu’au cours de leur formation, les professionnel·e·s de l’éducation – notamment les enseignant·e·s – soient invité·e·s à faire une introspection, à se pencher sur leur propre sentiment de sécurité, afin de développer une sensibilité à cette thématique et pouvoir ensuite l’intégrer à leur pratique. Sur le terrain, on pourrait imaginer une collaboration entre le personnel enseignant et externe (psychologues, formatrices ou formateurs d’enseignant·e·s, etc.). Cela permettrait aux élèves qui n’osent pas s’ouvrir à leurs professeur·e·s de le faire avec d’autres personnes. On pourrait aussi envisager de systématiser l’analyse des dynamiques de groupe dans les écoles, par le biais d’activités et d’instruments ciblés sur la sphère socio-affective.

Quid de vos autres conclusions?
Je relève l’intérêt d’introduire dans les classes une culture du non-jugement au sens large: face à soi-même et face aux autres, qu’il s’agisse des élèves ou des enseignant·e·s. L’accueil des émotions est également une notion centrale. Certes, l’école ne peut être responsable à elle seule de cela. Mais étant donné qu’elle est obligatoire et que les enfants y passent beaucoup de temps, j’estime qu’elle a un grand potentiel de développement de compétences transversales, indispensables au bon fonctionnement de la société. Si j’étais en charge des grilles horaires de l’école, j’y introduirais des cours obligatoires d’introspection! (Rires) Sérieusement, alors qu’aujourd’hui l’expression «mieux vaut prévenir que guérir» est sur toutes les lèvres, on peut aller encore plus loin et dire «mieux vieux éduquer que prévenir».

Comment accompagner ce travail d’introspection?
On pourrait qualifier cela de «formation socio-affective». De nombreuses méthodes permettent de faire de l’introspection et, par ricochet, de s’outiller face à l’insécurité: dessin, collage, écriture, etc. Tout au long de mon travail de thèse, j’ai moi-même fait un grand travail d’auto-valorisation et utilisé plusieurs techniques, par exemple le Journal Créatif ®ou encore des petits cœurs et des phrases d’encouragement laissés un peu partout dans mes affaires.

A votre avis, quelle est la principale contribution de votre thèse aux sciences de l’éducation?
Je crois en une approche plus holistique de l’éducation. J’espère que mes recherches contribueront à aller dans ce sens. A mon avis, il est essentiel que les élèves – et le personnel éducatif – apprennent à mieux se connecter avec eux-mêmes et avec ce qui les entoure, que ce soit les autres ou la nature. Par ricochet, leur développement et leur bien-être s’en trouveront augmentés.

Et pour vous, comment s’annonce la suite?
Je souhaiterais mettre sur pied des ateliers d’introspection – axés sur le sentiment de sécurité – destinés d’abord aux enseignant·e·s. En espérant qu’un effet boule de neige en découle à la fois sur leurs élèves et leurs collègues enseignant·e·s. Mais, j’en suis bien consciente, cette approche n’est pas faite pour tout le monde.

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  • Zoe Albisetti est assistante et chargée de cours auprès du CERF (Centre d’enseignement et de recherche pour la formation à l’enseignement au secondaire) de l’Université de Fribourg. Après un Bachelor et un Master en sciences de l’éducation, elle a entamé un travail de thèse sur le sentiment de sécurité en milieu scolaire, qui a été publié en 2021. La chercheuse d’origine tessinoise s’intéresse tout particulièrement à la socio-affectivité, aux relations dans la classe et – sans surprise – au sentiment de sécurité.

Author

Journaliste indépendante basée à Berne, elle est née au Danemark, a grandi dans le Canton de Fribourg, puis a étudié les Lettres à l’Université de Neuchâtel. Après avoir exercé des fonctions de journaliste politique et économique, elle a décidé d’élargir son terrain de jeu professionnel aux sciences, à la nature et à la société.

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