Pour Anneleen Foubert, congé sabbatique ne rime pas, mais alors pas du tout, avec farniente: en mars, la géologue de l’Université de Fribourg a déposé ses valises en Ethiopie où elle enseigne et poursuit ses recherches. Une aventure scientifique, humaine… et familiale.
«Partir, c’est mourir un peu», affirme le poète. Pour les professeurs en semestre sabbatique, partir sous d’autres cieux académiques, c’est surtout l’occasion de s’extraire d’une routine accaparante, de reprendre leur souffle, bref, de renaître!
Son semestre sabbatique, Anneleen Foubert savait depuis longtemps qu’elle voulait le passer à l’étranger, sans toutefois pouvoir trancher sur la destination: «J’ai reçu des propositions alléchantes, du Danemark et d’Angleterre, idéales d’un point de vue scientifique et familiale puisque j’aurais pu y scolariser mes filles sans problème.» Mais la chercheuse belge a bien dû finir par se l’avouer, elle s’imaginait plus volontiers à Addis Abeba, ville perchée à 2500 mètres d’altitude, que dans les brumes du Jutland. Ses confrères de l’Université de la capitale éthiopienne ont achevé de la convaincre en lui faisant les yeux doux pour qu’elle vienne y dispenser des cours de sédimentologie. Difficile dans ces conditions de résister aux sirènes de la Corne de l’Afrique, région qu’Anneleen Foubert connaît comme sa poche pour y avoir dirigé plusieurs expéditions scientifiques depuis 2013: «Je me suis dit pourquoi ne pas y enseigner tout un semestre, partager le quotidien de mes collègues, vivre au rythme de l’Afrique?» Après tout, l’Europe pourra bien attendre!
A Addis Abeba avec toute la smala
Encore fallait-il obtenir un congé auprès de l’inspectorat scolaire pour ses deux filles, Janne et Mette, âgées de huit et cinq ans. «Nous craignions cette étape, mais notre demande est passée comme une lettre à la poste, explique Anneleen Foubert, nos filles vont maintenant à l’école de l’ambassade d’Allemagne.» Mais qui dit voyage, dit imprévu, et parfois même avant le départ: «La cadette a fait une réaction anaphylactique à l’un des vaccins obligatoires. Elle était criblée de points rouges avec une fièvre de cheval.» Il s’en est fallu de peu qu’il faille ajourner le vol ou, pire, renoncer au projet. Aujourd’hui installée depuis quatre mois à Addis Abeba, la famille Foubert a trouvé ses marques, même si Mette, l’une des seules blanches au milieu de ses camarades éthiopiens, a dû apprendre à accepter son altérité: «Comme elle avait le sentiment que ses camarades se moquaient d’elle, elle m’a demandé d’aller lui acheter des habits éthiopiens pour se fondre dans la masse.» Elle-même d’ailleurs souhaiterait parfois passer incognito, en particulier lorsqu’elle se rend dans les régions reculées de l’Ethiopie. Lors de sa dernière mission dans l’Afar, des enfants ont littéralement fondu en larme à la seule vue de cette extraterrestre à la peau blanche. «Ils ont fui devant moi. C’était assez déroutant!»
Dans la fournaise du désert de l’Afar
Cela fait déjà six ans qu’Anneleen Foubert sillonne la dépression de Danakil, l’un des endroits les plus bas, les plus chauds et les plus arides du globe, paradis des géologues avec ses lacs salés, son activité sismique et ses cratères. La recherche de la sédimentologue vise à déterminer à combien de reprises, par le passé, la mer Rouge est parvenue à inonder la région, phénomène tributaire à la fois des mouvements tectoniques et des variations paléo climatiques. «Si le continent s’enfonce et que le niveau des mers monte, du fait du réchauffement climatique, on peut supposer que la dépression de Danakil risque à nouveau d’être immergée. Cette reconstitution du passé nous permet donc de prévoir l’avenir!» Anneleen Foubert et ses collègues éthiopiens étudient également le système hydrique de la région, une ressource stratégique essentielle dans le désert de l’Afar, ainsi que le potentiel géothermique, immense comme dans toute zone sismique: «Nous restons dans le domaine de la recherche fondamentale, mais les connaissances acquises, pourront servir au développement énergétique et économique de la région.» Et si la recherche passionne Anneleen Foubert, ses yeux se mettent véritablement à étinceler quand elle évoque ce qu’elle chérit le plus dans son projet de semestre sabbatique: «Nous formons la prochaine génération de géologues éthiopiens et je rêve qu’il puisse venir étudier en Europe et retourner en Ethiopie avec un bagage de qualité.»
Un premier bilan au-delà des espérances
Dans la vie, faire des choix audacieux, c’est aussi s’exposer à l’échec, voire aux regrets. S’expatrier un semestre en Ethiopie, de surcroît en embarquant sa famille avec soi dans l’aventure, comportait sa part de risque. A l’heure de dresser un bilan intermédiaire, Anneleen Foubert ne peut que se féliciter de son choix: ses filles vivent une expérience unique, édifiante. Elle-même poursuit ses recherches, partage ses connaissances et, bien que son semestre n’a de sabbatique que le nom, il lui permet de puiser une énergie nouvelle: «A Fribourg, je suis souvent stressé par mes nombreuses sollicitations. Ici, en Afrique, le temps s’écoule différemment. Ça m’aide à prendre du recul. En ce sens, c’est un vrai congé sabbatique.»
- Photos: Anneleen Foubert
- Anneleen Foubert
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