Publié le 07.04.2009

Des atomes ionisés font geler l’hélium superfluide


Des chercheurs du Département de physique de l’Université de Fribourg ont montré que des atomes chargés positivement (cations) peuvent induire une cristallisation de l’hélium liquide. Il y a deux ans, le même groupe de chercheurs, dirigé par le Prof. Antoine Weis, avait découvert une nouvelle forme d’hélium solide. Les résultats récents confirment leur hypothèse antérieure : ce sont bel et bien des «boules de neige» nanoscopiques qui forment les constituants principaux de cette sorte d’hélium solide. Ces résultats viennent d’être publiés dans le prestigieux journal Physical Review Letters.

L’hélium est un élément chimique des plus bizarres. Il ne devient fluide qu’à une température de -269 ºC (= 4 K), il devient superfluide à -271 ºC (= 2 K), et ne se solidifie pas, même si on le refroidit jusqu’au zéro absolu (-273 ºC = 0 K). Des effets quantiques, notamment le principe d’incertitude de Heisenberg, sont à l’origine du fait que la solidification de l’hélium superfluide ne peut être réalisée qu’en le soumettant à une pression de 25 atmosphères au moins.

Il y a deux ans, le Prof. Weis et son équipe avaient découvert que de l’hélium refroidi à 1.5 K, doté de particules nanoscopiques produites par évaporation laser d’une cible métallique, forme, sous certaines conditions, une structure solide à des pressions inférieures à la pression critique de solidification (P. Moroshkin, A. Hofer, S. Ulzega, A. Weis, Nature Physics, 3, 786 – 789, 2007, voir aussi universitas, juin 2008). A l’époque, les chercheurs avaient émis l’hypothèse que des particules chargées pourraient constituer la «colle» requise pour solidifier l’hélium dans une structure de la taille d’un petit doigt, appelée «iceberg» (photo a).

De nouvelles expériences, menées à fin d’élucider la nature de cette nouvelle forme de matière solide, ont maintenant permis aux Fribourgeois de démontrer la présence de cations métalliques (ions chargés positivement) dans l’iceberg et d’en mesurer le nombre. En exposant l’iceberg au champ électrique entre deux électrodes chargées à 20'000 Volts, ils ont observé l’apparition de cristallites qui croissent suivant les lignes du champ électrique en direction de l’électrode négative (photos b,c).

L’explication donnée à cette observation est la suivante : le champ électrique appliqué force les cations de l’iceberg à quitter ce dernier et à pénétrer dans l’hélium superfluide (photo d). Une fois dans le superfluide, le cation attire les atomes d’hélium avoisinants de manière tellement forte qu’une couche d’hélium solide d’une épaisseur de quelques atomes se constitue autour du cation. L’ion avec sa croûte d’hélium solide forme un objet nanoscopique, connu sous le nom de «boule de neige» depuis les années 1950. Ensemble, avec des «bulles d’électrons» dans le superfluide, ces boules de neige forment un conglomérat macroscopique qui apparaît sous forme d’un cristallite croissant vers l’électrode négative. Cette découverte représente la première observation d’un conglomérat macroscopique de telles boules de neige et constitue ainsi un pas vers une meilleure compréhension des icebergs d’hélium.

Dans les processus observés, les cations jouent le rôle des noyaux de nucléation qui induisent la solidification de l’hélium liquide. Par nucléation, on entend le début d’une transition de phase (gaz vers liquide, liquide vers solide) induite par un noyau de nucléation, tel que la formation du brouillard par condensation de vapeur d’eau sous forme de gouttelettes liquides sur des grains de poussière ou des aérosols. Les résultats obtenus au Département de physique de l’Université de Fribourg constituent la première observation de la nucléation d’un solide quantique sur des nanoparticules isolées. Comme le mouvement des cations peut être influencé par des champs électriques, ceci offre de nouvelles perspectives pour la croissance contrôlée de cristaux quantiques.

Contacts: Prof. Antoine Weis, Département de physique, Université de Fribourg, +41 26 300 90 30, antoine.weis@unifr.ch.
Dr Peter Moroshkin, Département de physique, Université de Fribourg, +41 26 300 90 33, peter.moroshkin@unifr.ch.

Article original : P. Moroshkin, V. Lebedev, and A. Weis, Positive ion induced solidification of 4He, Phys. Rev. Lett. 102, 115301 (2009).
URL : http://link.aps.org/doi/10.1103/PhysRevLett.102.115301

Photos : Un champ électrique de 20'000 V/cm appliqué à un iceberg d’hélium (a) fait croître un cristallite vers l’électrode négative (b). Les cristallites peuvent aussi croître directement de l’électrode positive vers l’électrode négative (c). La cristallisation se produit à partir de boules de neige formées lorsque les ions pénètrent dans l’hélium superfluide (d).