«Mieux connus, les sols seraient mieux protégés»

«Mieux connus, les sols seraient mieux protégés»

Les sols sont à la base de toute vie végétale. Et celle-ci diffère selon la nature du sous-sol. Pour mieux le comprendre, le Jardin botanique de l’Université de Fribourg vient de publier une brochure intitulée «Les sols». Décryptage avec l’une de ses auteur·e·s, Magali Matteodo, botaniste-pédologue.

On le foule chaque jour sans plus le remarquer. Pourtant, le sol remplit des fonctions multiples et indispensables. Support des activités humaines, il est aussi celui de toute vie végétale, des forêts primaires aux cultures agricoles nourricières.

«Mieux connu, il pourrait être mieux protégé», estime Magali Matteodo. Botaniste-pédologue et collaboratrice à la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg (HEIA-FR), elle a contribué à la rédaction d’une nouvelle brochure intitulée «Les sols», publiée en partenariat avec le Jardin botanique de l’Université de Fribourg.

Magali Matteodo, pourquoi les sols demeurent-ils si méconnus, alors qu’ils sont un élément essentiel à notre existence?
C’est probablement lié à la conception qu’on en a. Le sol est considéré comme une surface, en deux dimensions, et non comme un volume. On ne se soucie pas de ce qui se passe en dessous, puisqu’on ne le voit pas. Mais les choses évoluent. La politique commence à prendre conscience du défi et des efforts nécessaires pour le relever.

Dans un objectif de protection?
En mai 2020 — c’est donc très récent — la Confédération a publié sa Stratégie sol suisse. Les différentes fonctions du sol y sont mentionnées, de la production de denrées alimentaires à la filtration de l’eau en passant par la régulation du climat grâce au stockage du CO2 et de l’eau. Ce document fixe aussi des objectifs de gestion durable et de protection.

Une meilleure connaissance des sols, de leur constitution et de leurs fonctions amènerait-elle une plus grande sensibilité à sa protection?
Je le constate au quotidien lors des discussions avec mes proches. Quand ils savent à quel point un sol est complexe et lent à se former, ils prêtent davantage attention à cette ressource. Notre société a tendance à penser qu’elle peut tout recréer, reconstituer, recycler. Mais il faut 20’000 ans à la nature pour générer un sol productif tel qu’on les connaît sur le plateau. Si on peut redynamiser un sol, on n’arrivera jamais à le recomposer entièrement. Tout sol construit ou dénaturé est donc un patrimoine perdu.

Existe-t-il un inventaire des sols?
Selon les directives fédérales, les cantons ont une obligation de répertorier leurs sols par le biais de cartes élaborées de façon fine. Les cantons alémaniques sont plus avancés que les romands sur cette question. Cela va être un gros chantier ces prochaines années, mais une telle carte est nécessaire pour gérer de façon durable cette ressource, pour déterminer les usages les plus appropriés lors d’un projet d’aménagement et savoir quoi protéger.

Avec un sous-sol identique, est-ce qu’on trouvera toujours le même sol et la même couverture végétale?
Les espèces qui poussent à la surface sont strictement liées aux caractéristiques du sol. Mais il n’y a pas que la nature du sol qui influence la végétation. Le climat joue évidemment un rôle. Et il existe une interaction entre la végétation et le sol: la végétation n’est pas seulement la conséquence, elle est aussi l’un des acteurs qui va influencer la qualité et la formation du sol qui la supporte. Puisque, quand elle meurt, elle se dégrade et devient un composant du sol. Ce sont ces interactions complexes que nous essayons de mieux comprendre.

En quoi est-ce si important?
Sur le terrain, nous constatons que le réchauffement climatique influence de manière très rapide la végétation, mais l’impact sur le sol est encore peu clair. Par ailleurs, tout changement de végétation a un impact sur le sol et sa dynamique. Mieux comprendre ces interactions nous permettra de faire des prévisions sur les sols et la végétation de demain. Adapter nos forêts et nos cultures au type de sol présent serait la réponse la plus pertinente, plutôt que continuer à penser qu’on peut cultiver tout partout. Mais beaucoup de questions restent encore sans réponse.

Une brochure comme celle que vient de publier le Jardin botanique peut-elle participer à une sensibilisation du grand public?
Par sa fonction, le Jardin botanique montre la diversité végétale. Pour y parvenir, des sols différents ont été recréés, de façon superficielle. Cela permet de montrer la réponse de la végétation à ces sols de natures différentes. Ainsi, même si on ne peut pas creuser pour montrer ce qui se passe sous la surface, on va le déduire en observant les plantes qui poussent.

Combien de sols différents peuvent être observés dans le cadre du Jardin botanique?
Six types de sols distincts sont mentionnés sur la carte qui figure dans la publication. Ils sont ainsi faciles à localiser. Un texte explicatif permet de comprendre les spécificités de chaque type. Le sol anthropique, celui qui a été drastiquement transformé par l’être humain et par ses activités, est aussi présenté. On pourrait le considérer comme inintéressant, mais, en milieu urbain, le sol représente un défi énorme. Les violentes intempéries de 2018 l’ont rappelé, notamment à Lausanne, la ville a besoin de sols perméables pour absorber les eaux superficielles. Et elle a aussi besoin de surfaces vertes pour atténuer la chaleur estivale. D’où un véritable casse-tête: comment densifier les centres tout en préservant leurs sols?

Vernissage et visite guidée dans le cadre de la Fête de la nature
Destinée au grand public, la brochure «Les sols» se base sur un travail pédagogique réalisé par trois étudiant·e·s de la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg (HEIA-FR). En 2021, les spécialistes de la HEIA-FR l’ont affiné, en collaboration avec le Jardin botanique de l’Université de Fribourg. Récemment publiée, la brochure est disponible au Jardin botanique. Son vernissage est prévu dans le cadre de la Fête de la nature, qui se déroulera du 18 au 26 mai prochain. Une visite guidée du Jardin botanique sous l’angle de ses sols sera proposée par Magali Matteodo, botaniste-pédologue et collaboratrice de la HEIA-FR. Rendez-vous le 19 mai, à 18h00, près du bassin aux nénuphars. Visite en français.
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  • Site du Jardin botanique de l’Université de Fribourg

Author

Sophie Roulin a d’abord exercé sa plume dans les rubriques régionale et magazine du journal La Gruyère, avant de reprendre sa liberté et de devenir indépendante. Ce choix lui permet d’élargir encore son horizon professionnel et de remettre davantage de sciences dans les thématiques abordées. Avant de se tourner vers le journalisme, elle a étudié les géosciences à l’Université de Fribourg.

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