Retraite active et ornithologie
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Retraite active et ornithologie

Professeur de physique atomique d’optique quantique durant 19 années à l’Université de Fribourg, Antoine Weis a pris sa retraite fin juillet. Il nous parle de ses souvenirs et de ses projets, où la photographie, l’ornithologie, les voyages et la physique sont très présents.

Pourquoi avez-vous choisi d’étudier la physique?
J’ai fait mes écoles au Luxembourg. J’avais développé une passion pour la chimie avant qu’elle ne soit enseignée à l’école, après avoir reçu un kit de chimie à Noël. J’ai fait des expériences, mon laboratoire s’est agrandi et je voulais devenir chimiste. J’avais lu un article sur la synthèse de la molécule de la vitamine B12 – contenant une centaine d’atomes – par le Professeur Eschenmoser à Zurich. J’étais fasciné que l’esprit humain puisse inventer des méthodes pour réaliser ceci. De là est né mon désir d’aller étudier la chimie au Poly de Zurich. Puis vint la grande déception avec de mauvais cours de chimie au gymnase. La chance d’avoir un professeur de physique extraordinaire m’a fait découvrir la beauté de cette branche et j’ai fini par m’inscrire en physique à l’EPFZ. A l’époque, il n’y avait pas d’université au Luxembourg. Après mon diplôme, le Poly m’a offert un poste de doctorant.

Quels domaines de recherche vous passionnent particulièrement?
Ce qui m’a toujours passionné, c’est le challenge de mesurer ce qui ne parait pas mesurable. Détecter des phénomènes ultra-faibles, des processus en principe interdits par les lois de la nature et d’en faire des mesures de précision. J’étais parti pour devenir un physicien des particules élémentaires et le hasard a voulu que mon directeur de thèse, le Professeur Telegdi, se soit lancé dans une expérience de physique atomique par des méthodes de spectroscopie laser à très haute résolution. Durant ma thèse, je suis devenu un spécialiste de cette discipline.

Quels sont les moments forts de votre carrière scientifique?
Mon premier grand succès à Zurich a été d’observer ce qui était à l’époque la transition optique la plus faible jamais détectée dans un atome. Après 18 années à l’EPFZ, j’ai choisi d’aller à l’Institut Max-Planck d’optique quantique à Garching en Allemagne en tant que collaborateur scientifique. C’était un poste permanent de rêve pour faire uniquement de la recherche pure, sans trop de devoirs d’administration et d’enseignement. J’ai poursuivi mes études d’effets magnéto-optiques non linéaires initiées à l’EPFZ, un domaine qui est devenu le fil rouge dans ma carrière scientifique.

J’ai aussi lancé un nouveau domaine de recherche très spécialisé, né d’une idée de mon collègue et ami russe Sergei Kanorski. Ensemble, nous avons développé la spectroscopie d’impuretés atomiques et moléculaires implantées dans des matrices quantiques, en l’occurrence de l’hélium (4He) superfluide et de l’4He cristallin, expériences conduites à une température de 1.5 degré au-dessus du zéro absolu, soit autour de −272 °C.

J’ai commencé à enseigner à l’Université de Munich, où j’ai passé mon habilitation en 1996. La même année, je suis devenu professeur à l’Université de Bonn, puis, en 1999 vint l’appel à un poste de professeur ordinaire à l’Université de Fribourg.

Et vos souvenirs des 19 années en tant que professeur de physique atomique et d’optique quantique à l’Université de Fribourg?
La commission de structure de 1999 avait décidé d’établir une nouvelle direction de recherche (physique atomique et optique quantique) à l’Unifr ce qui m’a permis d’établir ce domaine à Fribourg. A mon très grand regret, ce domaine qui, je pense, a bien fait connaître Fribourg dans le monde, va disparaître après ma retraite. Mon équipement expérimental part vers Berlin, Jena, Belgrade, Bâle, Plovdiv et Saint-Pétersbourg, où mes anciens collaborateurs et collègues assureront le suivi et la survie de ce que nous avons semé à Fribourg.

A part les expériences sur les matrices d’hélium, mes activités à Fribourg étaient centrées sur le développement et des applications de la magnétométrie atomique, c’est-à-dire de la mesure très sensible de champs magnétiques ultra-faibles. En bref, le champ magnétique influence les propriétés des atomes et ces propriétés altérées sont détectées par des méthodes de spectroscopie laser.

A quelques pas de son laboratoire, Antoine Weis pouvait goûter – en miniature – à sa passion pour la nature.

Depuis une quinzaine d’années, je suis membre d’une collaboration internationale, regroupant une cinquantaine de scientifiques, qui conduit une expérience à l’Institut Paul Scherrer (PSI). Elle cherche à détecter si, à l’intérieur du neutron (constituant des noyaux atomiques), les charges positives et négatives sont légèrement séparées les unes des autres. Une telle séparation (on parle d’un moment dipolaire électrique) violerait des symétries fondamentales et permettrait de comprendre l’absence d’antimatière dans l’univers. Il est généralement admis qu’au moment du big bang, matière et antimatière étaient formées à quantités presque égales, avec un minime excès de matière. Les quantités égales de matière et d’antimatière se sont annihilées en produisant de la lumière, détectée aujourd’hui comme fond diffus cosmologique. L’excès de matière constitue notre univers d’aujourd’hui. La raison du petit surplus initial n’est toujours pas comprise et l’expérience du PSI pourrait aider à élucider ce mystère. La contribution de mon groupe était le développement d’un réseau de magnétomètres ultrasensibles permettant de contrôler de manière ultraprécise le champ magnétique utilisé dans l’expérience.

En parallèle, nous avons démontré qu’un réseau de magnétomètres permet d’enregistrer des cartes dynamiques du champ très faible produit par le battement du cœur humain, expérience qui nous a valu de nombreuses reconnaissances au niveau mondial.

Un de mes dadas était de développer des expériences de démonstration permettant de visualiser la physique quantique. Une quinzaine de nos modules qui démontrent la dualité onde-corpuscule de la lumière sont installés dans différentes universités et collèges en Suisse, en Allemagne et en Bulgarie.

Pourriez-vous faire une brève rétrospective du département de physique à l’Unifr durant ces vingt dernières années?
J’ai passé 19 très belles années à Fribourg. Comparé à d’autres universités à l’étranger j’ai pu profiter de l’aisance financière des universités suisses, ce qui m‘a permis de réaliser tous mes rêves expérimentaux.

J’ai cependant souffert de la petite taille de l’université, de la faculté et du département. Premièrement, cela implique que les professeurs doivent s’engager dans des tâches administratives (troisième pilier d’un professeur, à côté de l’enseignement et de la recherche) plus nombreuses que dans une plus grande institution. Deuxièmement, le petit nombre d’étudiants en physique implique des difficultés pour organiser la relève scientifique (par des étudiants locaux) dans des projets de longue haleine. Tout comme mes collègues, j’ai donc été forcé de recruter des collaborateurs autour du monde: mon «équipe finale» était composée de deux Russes, d’un Serbe, d’un Chinois, d’un Allemand et d’un Tessinois.

Je me suis aussi beaucoup investi dans des collaborations scientifiques internationales, surtout avec des collègues de pays nettement plus défavorisés, tels que la Russie, la Bulgarie, la Serbie, l’Arménie et la Lettonie.

Harle bièvre (Mergus merganser), Fribourg 2017
Milan royal (Milvus milvus), Auried 2017
Foulque macroule (Fulica atra), Champ-Pittet 2016
Pélican à bec tacheté (Pelecanus philippensis), Sri Lanka 2014. Premier prix au concours Sony-WPO 2015.   https://tinyurl.com/yc98fx7o
Lézard, Costa Rica 2011
Colibri, Costa Rica 2011
Géranium, Fribourg 2016. « Commended photographer »  au concours Sony WPO 2017. https://tinyurl.com/y8s729ot
Aigrette garzette (Egretta garzetta), Réserve du Teich 2017
Grèbe huppé (Podiceps cristatus), Champ-Pittet 2017
Rollier indien (Coracias benghalensis), Sri Lanka 2014

Quelles sont vos passions à côté de la physique?
Les voyages dans les tropiques, surtout en Asie, avec mon épouse, notre passion pour les oiseaux et la mienne pour la photographie. Depuis quelques années, nous organisons nos voyages autour des oiseaux et nous passons nos week-ends à les observer dans les réserves naturelles suisses.

Et vos projets à la retraite?
Ma vraie retraite ne débutera pas avant octobre, comme j’ai encore des labos à vider et que je pars comme invité à un congrès en Sibérie. Pour le moment, je n’ai fait que passer ma présence au département de 150% à 100%. Mon Opus Magnum sera la rédaction d’un traité sur la lumière polarisée et les atomes polarisés. Mon successeur m’a laissé un espace pour continuer des expériences en vue d’illustrations.

Côté privé, la nouvelle liberté de la retraite nous permettra de pouvoir partir en voyage à n’importe quel moment de l’année et de combler notre manque en activités culturelles (festivals, musées, expositions, cinéma, théâtre, etc.). Enfin, mes disques durs contiennent à peu près 100’000 photos qui attendent d’être triées et traitées.

Biobox

Antoine Weis est professeur émérite de l’Université de Fribourg depuis août 2018. Passionné à la fois par la création de l’univers et les mesures de l’infiniment petit, le Luxembourgeois a notamment développé des magnétomètres atomiques à Fribourg. Il a débuté sa carrière scientifique à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), avec un doctorat en physique atomique. En 1985, sa thèse est récompensée par la médaille d’argent, la plus haute distinction de l’EPFZ. Durant ses 18 années au Poly de Zurich, Antoine Weis se spécialise dans l’étude d’effets magnéto-optiques non linéaires et la spectroscopie laser à très haute résolution. En 1990, il reçoit une offre pour un poste de collaborateur scientifique à l’Institut Max-Planck d’optique quantique à Garching en Allemagne. Parallèlement, le physicien enseigne à l’Université de Munich, où il passe son habilitation en 1996. La même année, il devient professeur associé à l’Université de Bonn. C’en en 1999 qu’il est nommé professeur ordinaire de physique atomique et d’optique quantique à l’Unifr, un nouveau domaine qu’il établit à Fribourg. Avec son groupe de recherche, il développe des magnétomètres atomiques ultrasensibles, notamment pour une expérience scientifique de l’Institut Paul Scherrer (PSI) à Villigen (AG). Antoine Weis est membre d’une collaboration scientifique internationale au PSI depuis une quintaine d’années. Il restera dans le comité du PSI après sa retraite.

 

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Author

Katja Remane est journaliste, spécialiste en communication et biologiste de formation. Elle aime écrire des articles de vulgarisation scientifique en français et en allemand. Elle a notamment travaillé comme rédactrice à l’Agence Télégraphique Suisse (ats) et comme collaboratrice scientifique au Fonds national suisse (FNS).

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