Dossier

Le «coup de vieux», info ou intox?

Souvent associé à une cassure brutale survenant vers l’âge de la retraite, le vieillissement cognitif est, en fait, un processus lent débutant bien plus tôt. Même s’il est inéluctable, il peut être ralenti grâce à une série de bons réflexes. Le point avec la Professeure Valérie Camos.

«Depuis que mon voisin est à la retraite, il a pris un sacré coup de vieux!» Dans l’imaginaire collectif, la notion de vieillissement est souvent associée à une cassure brutale qui intervient à un moment précis de la vie, généralement vers 65 ans. «En fait, la détérioration des fonctions cognitives commence déjà 40 ans plus tôt», avertit Valérie Camos, professeure de psychologie du développement à l’Unifr. «De la naissance à l’âge de 25 ans environ, ces fonctions s’accroissent; puis la courbe redescend, avec de fortes variations entre les personnes.» La responsable du Working Memory Development Lab (W-MOVE Lab) précise: «Certes, au début, le processus de vieillissement n’est pas – ou que très peu – visible; c’est un peu comme dans le désert, où il faut une importante accumulation de grains de sable pour former une dune.»

Mais, au fond, qu’entend-on par vieillissement cognitif? «Il s’agit de la réduction de la vitesse de l’influx nerveux du cerveau», explique Valérie Camos. Ce phénomène impacte la vitesse du traitement de l’information, «qu’il s’agisse d’une information qui vient de l’intérieur ou de l’extérieur de l’individu concerné». Chez les personnes dites «âgées», le processus entraîne, par ailleurs, un ralentissement moteur. «En résumé, il s’agit d’un ralentissement général de la machine, qui devient particulièrement perceptible au-delà de 70 ans.»

En ce qui concerne spécifiquement la pensée, «toutes les étapes sont affectées». On entend fréquemment des  seniors – ou leurs proches – se plaindre de troubles de la mémoire. «Ici, on est face à une double peine», observe la Professeure Camos. Etant donné que tout ralentit – notamment l’efficacité des organes sensoriels que sont les yeux et le nez –, le risque de mauvais accès à l’information, ou de perte de cette information, est décuplé.» D’ailleurs, «lorsqu’on a l’impression d’être en train de ‹prendre un coup de vieux›, le premier réflexe devrait consister à faire contrôler son audition et sa vue.»

Corps et tête déconnectés

Sans surprise, les variations qui existent entre les personnes suscitent beaucoup d’intérêt. Pourquoi telle femme de 75 ans paraît-elle (physiquement et mentalement) beaucoup plus jeune qu’une de ses contemporaines? «D’une part, ces différences ont des composantes génétiques, note la spécialiste. Certains gènes ont un effet davantage protecteur que d’autres sur l’influx nerveux.» Voilà qui explique – partiellement – pourquoi certaines familles comptent de nombreux centenaires. «En ce sens, l’expression populaire ‹Lui, il a de bons gènes!› n’est pas fausse.» Parallèlement, Valérie Camos rappelle le rôle important joué par le parcours de vie, et notamment l’hygiène de vie, sur le vieillissement cognitif. «Notre pensée est issue d’un organe biologique, le cerveau; dès lors, les éléments qui affectent le corps, par exemple le tabac ou l’alcool, affectent forcément aussi le cerveau!» La psychologue du développement regrette au passage que les sociétés occidentales contemporaines persistent souvent à déconnecter le corps et la tête.

Le secret de la longévité se cacherait-il tout simplement dans une hygiène de vie exemplaire? «Oui, mais…, nuance Valérie Camos. Dans notre société, les bénéfices d’un renoncement – complet ou partiel – au tabac et à l’alcool, d’une alimentation légère et équilibrée, ainsi que d’un exercice physique régulier, semblent acquis, ce qui est bien sûr réjouissant.» Reste que le maintien des capacités cognitives repose sur deux autres piliers tout aussi importants, mais moins connus: la socialisation et l’activité mentale. Cette dernière consiste, par exemple, à s’adonner régulièrement à la lecture – «attention, regarder la télévision n’est pas une alternative», souligne Valérie Camos – , à pratiquer un loisir créatif qui implique la résolution de menus problèmes (par exemple le bricolage), à faire des sudokus ou des mots fléchés, à jouer au scrabble, «ou, bien sûr, à pratiquer des exercices de calcul mental», ajoute avec un clin d’œil la responsable du W-MOVE Lab.

 © studio-ko.ch
Pourquoi pas un chien?

Pour ce qui est de la socialisation, «des études montrent que les gens vivant en couple jouissent d’un ralentissement de leur vieillissement cognitif, poursuit la chercheuse. Elle plaisante: «Attention, je ne dis pas que les seniors célibataires doivent se précipiter sur des sites de rencontre. Par contre, il vaut la peine de continuer à cultiver son réseau social tout au long de la vie, de rencontrer du monde, voire d’acquérir un chien.» Acquérir un chien, vraiment? «Oui! Outre des bénéfices corporels, promener un animal de compagnie a souvent des conséquences sociales: on discute avec d’autres propriétaires de chiens, avec des enfants, etc.»

«A de rares exceptions près, le travail offre à celles et ceux qui l’exercent un accès naturel à ces trois piliers, constate Valérie Camos. On bouge au quotidien pour se rendre au bureau, on a recours à une activité mentale dans le cadre professionnel et on interagit avec ses collègues.» Le hic? A la retraite, cette triple stimulation n’est plus garantie. «Si, au-delà de 65 ans, une personne conserve l’attitude ‹passive› qui était la sienne durant sa carrière professionnelle en matière d’activité physique, mentale et/ou sociale, son vieillissement cognitif peut s’en trouver soudain précipité.» L’exemple précité du voisin dont on a l’impression qu’il a pris un sacré coup de vieux à la retraite n’est donc «pas complètement dénué de fondement». D’où l’importance de compenser activement la cessation de l’activité professionnelle par d’autres activités remplissant les mêmes fonctions essentielles, «du moins si ce n’était pas déjà le cas auparavant». On ne le dira jamais assez: une retraite, ça se prépare!

Effet boule de neige

«Pour en revenir à la question du vieillissement cognitif dans l’imaginaire collectif, je pense qu’il est nécessaire de sortir d’une vision linéaire et unidimensionnelle, estime Valérie Camos. Comme je l’ai mentionné précédemment, le vieillissement n’est pas forcément dû à une réduction des ressources mentales, mais aussi – voire davantage – à un moins bon usage de ces ressources.» Et de citer l’exemple de la mémoire à long terme.

«En soi, elle ne baisse pas tellement avec l’âge; par contre, du fait de la dégradation de l’attention sélective – à savoir celle qui permet à l’être humain de faire abstraction des informations non pertinentes pour lui –, il va devenir plus compliqué pour la personne concernée d’aller chercher l’information souhaitée, qui semble cachée dans un labyrinthe.»  Si on ajoute à cela le ralentissement moteur et la baisse d’efficacité sensorielle, on fait face à un effet boule de neige qui n’est pas sans conséquences. «L’exemple classique – mais tellement parlant! –, c’est celui de la personne ‹âgée› qui réalise qu’elle a laissé ses lunettes à la cuisine, illustre la Professeure de l’Unifr. Etant donné qu’elle ne voit pas très bien sans ses lunettes et qu’elle se déplace relativement lentement, il lui faut un certain temps pour arriver à la cuisine.» Sur place, «son attention est accaparée par des restes de nourriture posés sur la table; après les avoir rangés dans le frigo, elle regarde autour d’elle et se demande ce qu’elle a bien pu venir faire à la cuisine…»

Notre experte Valérie Camos est professeure de psychologie du développement à l’Unifr. Cette spécialiste de la mémoire de travail dirige également le Working Memory Development Lab (W-MOVE Lab).
valerie.camos@unifr.ch