Dossier

Un souffle démocratique dans l’Eglise catholique

50 ans plus tard, que reste-t-il à mettre en oeuvre des Synodes 1972? L’ADN démocratique helvétique pourrait-il se répandre à toute l’Eglise catholique pour le prochain Synode des évêques 2023 sur la synodalité?

C’est vrai qu’un véritable élan d’enthousiasme habitait les délégués démocratiquement choisis au lendemain du Concile Vatican II (1962–1965). Les Synodes des six diocèses suisses (Lausanne, Genève et Fribourg / Sion / Bâle / Coire / St-Gall / Lugano), en alternance avec le Synode national d’il y a un demi-siècle, peuvent paraître à certain·e·s nostalgiques comme un temps béni et hélas révolu, dont certaines promesses n’ont pas été tenues.

Prophétiques

Pourtant, à y regarder de plus près, on peut dire qu’ils ont contribué à faire évoluer le visage de l’Eglise en Suisse et ils se sont avérés véritablement prophétiques, puisque depuis son élection en 2013, le pape François ne cesse de plaider pour plus de participation du peuple de Dieu et des Eglises locales (la «syn-odalité», du grec sun-odos, ou faire chemin ensemble).
Le fonctionnement même des Synodes suisses (consultation et participation de toutes et tous, recherche de consensus, authentification par l’autorité hiérarchique) montre que la manière de faire habituelle en politique helvétique a pu déteindre quelque peu sur les procédures ecclésiales. Dans une certaine mesure, le système fédéraliste ressemble à celui de l’Eglise, où chaque diocèse conserve une véritable autonomie, la communion catholique étant assurée par l’évêque de Rome. Naturellement, l’analogie reste assez lointaine, mais on sent que François s’emploie à valoriser les initiatives des Eglises locales, régionales et continentales, avec des synodes à ces différents niveaux, sans pour autant renoncer au facteur pontifical d’unité.

Des avancées

Qu’ont apporté d’essentiel les Synodes suisses? D’abord la prise de conscience que toutes et tous les baptisé·e·s ont leur mot à dire, tant dans l’expression de la foi (le sensus fidei des baptisé·e·s), que pour les orientations pastorales en chaque contexte. Le pontife argentin répète à l’envi, depuis son document programmatique Evangelii gaudium de 2013 (EG), que tou·te·s les fidèles sont des «disciples-missionnaires», toutes et tous sans exception chargé·e·s de l’annonce de la Bonne Nouvelle (n. 119 – 121). Les Synodes ont ainsi favorisé l’engagement bénévole des baptisé·e·s en une série de groupes, mouvements et associations (solidarité, santé, cercles bibliques, cénacles de prière, équipes liturgiques, catéchistes de base, etc.) selon la tradition du bénévolat très solidement ancrée dans notre pays. Cela se traduit également par la mise en place d’une multitude de conseils dans les communautés paroissiales, les régions et les diocèses, soit financiers et administratifs, avec de
véritables responsabilités attribuées à leurs membres et le développement d’un système dual fait, d’un côté, d’une organisation pastorale sous la conduite de l’évêque et, de l’autre, d’une organisation administrative (communes ecclésiastiques) régie par un système démocratique.
Au niveau diocésain, chaque évêque s’est doté d’un conseil presbytéral (délégués des prêtres réfléchissant à la vie et au ministère sacerdotal), d’un conseil pastoral diocésain (délégués des laïcs déterminant les grandes orientations évangélisatrices) et, dans certains diocèses, d’un conseil des diacres et des agents pastoraux laïcs.
Les Synodes suisses ont également prôné la mise en place de petites communautés de base, où puisse se vivre un véritable partage de la Parole, de la prière, de la fraternité, de la justice et de la mission, dans les quartiers et les villages. Ce vœu demeure en grande partie inaccompli, en comparaison avec d’autres continents où fleurissent de telles communautés ecclésiales vivantes. En outre, les documents synodaux de 1972 préconisaient la collaboration entre paroisses au niveau de secteurs ou d’unités pastorales, pour la mise en commun des idées et des forces missionnaires, ensembles pastoraux confiés à des équipes pastorales mixtes, composées de prêtres, diacres, religieux·ses et laïcs mandatés, sous la conduite d’un curé modérateur de la charge pastorale, en vue de répondre à la plus grande mobilité des personnes.

 

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Engagement de laïcs

L’une des grandes innovations des assemblées synodales helvétiques réside, sans nul doute, dans la possibilité octroyée à des laïcs, femmes et hommes, de s’engager aux côtés des ministres ordonnés de manière durable dans la pastorale du diocèse, manifestant ainsi une volonté explicite d’expérimenter la synodalité dans une diversité de services d’Eglise. Dénommés différemment selon les formations reçues et les responsabilités attribuées, elles et ils reçoivent de l’évêque un mandat et une lettre de mission canonique.
C’est dans le Jura pastoral (partie francophone du diocèse de Bâle) et dans tout le diocèse de Bâle que cette institution a été poussée le plus loin. Désormais, les agents pastoraux laïcs disposant d’une formation théologique complète (master ou diplôme ecclésiastique) s’appellent, selon le désir de Mgr Felix Gmür, «théologien·ne·s de la pastorale». Mission leur est donnée par l’évêque d’accompagner les communautés – certain·e·s avec le titre de «répondant·e·s» de paroisses ou d’unités pastorales, avec l’appui d’un prêtre modérateur – ou d’exercer un «ministère spécialisé» en aumônerie d’hôpitaux, de prisons, d’écoles, etc. – , au sein d’une équipe pastorale ou d’une équipe d’aumônerie.
En parallèle avec les ordinations presbytérales et diaconales, les théologien·ne·s laïques qui le souhaitent bénéficient, selon le droit diocésain de Bâle, de la possibilité de sceller un engagement mutuel et pour la vie entière au service du diocèse, par une «institution». Ce rite liturgique de l’institution correspond là aussi prophétiquement à deux décisions récentes du pape François: d’une part, par le motu proprio Spiritus Domini (11 janvier 2021), le souverain pontife a élargi également aux femmes l’accès aux ministères institués de lecteurs·trices (pour l’animation biblique de la pastorale) et d’acolytes (pour le service de la table, de l’autel et des pauvres); d’autre part, il a introduit pour les femmes et les hommes le nouveau ministère de catéchiste, par une autre lettre intitulée Antiquum ministerium (11 mai 2021), pour l’exercice du service de l’annonce de la Parole.
A noter que, selon les desiderata des Synodes 1972, la synodalité fonctionne très intensément dans lesdites «missions linguistiques» où, en complémentarité avec le missionnaire-prêtre couvrant un vaste territoire, chaque communauté locale est confiée à un·e ou plusieurs responsables laïc·que·s choisi·e·s par ses pairs.
Les grands diocèses sont divisés en régions diocésaines, placées normalement sous la houlette conjointe d’un vicaire épiscopal prêtre et d’un·e responsable régional·e (diacre ou agent·e pastoral·e laïque). Signalons que l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg vient de nommer, en septembre 2021, deux laïc·que·s et un diacre en tant que ses représentants dans trois des cantons de son diocèse. Cette pluralité d’états de vie se retrouve donc également au sein du Conseil épiscopal (comme à Sion) qui épaule l’évêque dans ses choix essentiels.

Un pour tous, tous pour un

Cette devise de la Suisse peut valoir mutatis mutandis pour la collégialité sur le plan de l’Eglise universelle. En lançant une vaste consultation préparatoire en 2021-2022 pour le Synode des évêques qui se tiendra à Rome en octobre 2023, sur le thème «Pour une Eglise synodale: communion, participation et mission», le pape veut intensifier la synodalité «catholique» qui s’inscrit théologiquement dans l’essence même de l’Eglise.
La promotion d’une diversité d’engagements, la nomination à des postes à responsabilité de femmes et d’hommes de différents ministères, la diversité des profils appelés à collaborer au sein de conseils diocésains, tous ces fruits déjà portés suite aux Synodes 1972 ouvrent la voie à une Eglise qui désire risquer des chemins nouveaux, afin de rester crédible dans le monde de ce temps.

 

Notre expert l’abbé François-Xavier est professeur ordinaire à la Chaire francophone de théologie pastorale, pédagogie religieuse et homilétique.
francois-xavier.amherdt@unifr.ch