Dossier

Souriez, vous êtes salarié·e

A l’amitié personnelle, le marketing ajoute la notion d’amicalité professionnelle. Cela permet, bien entendu, de soigner la relation-client en la rendant moins formelle, mais peut aussi avoir des effets sur le bien-être de l’employé·e.

L’amitié nous accompagne dans notre vie personnelle, professionnelle, mais aussi dans notre vie de client·e. Dans ce troisième contexte, celui des échanges marketing, nous parlerons plus volontiers d’amicalité, plutôt que d’amitié.

Dans un contexte personnel, l’amitié «véritable» se caractérise par un intérêt mutuel et réciproque au cours d’interactions répétées dans le temps. C’est-à-dire qu’un·e ami·e est quelqu’un·e avec qui vous choisissez de construire une relation, parce que vous lui vouez un attachement profond et que vous aimez passer du temps ensemble. Dans le contexte commercial, l’amicalité se définit plutôt comme l’existence d’une relation amicale entre les employé·es d’une entreprise (la plupart du temps, une entreprise de services) et ses client·es. Cette amicalité, dont l’origine émane de la volonté de l’entreprise d’améliorer ses relations avec ses client·es et de les rendre plus profitables, est souvent moins profonde que l’amitié véritable. Cependant, cette amicalité, loin d’être uniquement hypocrite ou cynique, permet d’améliorer aussi bien le bien-être des employé·es que celui des client·es.

Pas uniquement l’expérience-client

En effet, considérer ses client·es comme des ami·es plutôt qu’uniquement comme une source de revenu ou de pourboire permet de rendre le travail plus agréable, surtout lorsque les comportements amicaux des employé·es sont réciproqués par ceux des client·es.

Les entreprises ont tout à gagner à satisfaire pleinement leurs client·es et le développement de ces relations amicales y contribue. Aujourd’hui, plus qu’autrefois, les client·es sont à la recherche d’expériences de consommation plus que de produits ou de services. Pour beaucoup, ces expériences participent à la construction de leur identité et jouent un rôle central dans leur vie. L’amicalité des employé·es en contact avec les client·es participe pleinement à ces expériences en les rendant plus agréables et moins formelles.

 

© KEYSTONE SDA | «Courage of Lassie»
Authenticité appréciée

Dans un contexte marketing, l’amicalité reste souvent très superficielle en comparaison avec l’amitié véritable. Cependant, même superficielles, ces relations amicales peuvent être enrichissantes et sont souvent mémorables. En outre, plus cette amicalité est perçue comme authentique, plus elle aura d’effets positifs sur la relation entre l’entreprise et ses client·es.

Dans le cas contraire, où cette amicalité est perçue par les client·es comme forcée ou hypocrite, elle aura des effets négatifs. La plupart des client·es quittent une entreprise non pas à cause du prix, de la qualité d’un produit ou d’un service, mais parce que la relation-client ne les satisfait pas. L’amicalité est donc à double tranchant. Une mauvaise gestion de la relation amicale peut transformer certain·es client·es en détracteur·trices. Si les client·es perçoivent un manque d’authenticité ou la moindre pointe d’hypocrisie, ces dernier·ères n’hésiteront pas à aller chez la concurrence. Pire, à l’ère numérique, la mauvaise expérience-client sera vite partagée sur les réseaux sociaux, nuisant sensiblement à la réputation de l’entreprise. C’est pourquoi, les employé·es de contact doivent être formé·es à adopter un comportement amical en adéquation avec les attentes des client·es pour ne pas risquer de leur déplaire.

Au-delà du commerce

La Chaire de marketing de l’Université de Fribourg vient de publier, en collaboration avec celle d’hospitalité de l’Université d’Etat de Pennsylvanie, les résultats d’une étude parlante dans le Journal of Service Management. Intitulé «Dimensionality of frontline employee friendliness in service encounters», l’article met en évidence que l’amicalité est primordiale dans des secteurs où les relations entre employé·es et client·es sont souvent étroites et prolongées, comme les services à la personne, la restauration ou l’hôtellerie. L’étude démontre également que l’amicalité peut aussi être mise à profit dans d’autres secteurs de services, où traditionnellement les relations-client sont moins étroites, comme les services publics, les transports, les institutions financières, et même le secteur automobile.

Cette étude met également en évidence quatre axes sur lesquels les employé·es peuvent travailler pour parvenir à une relation amicale de qualité. Pour être perçu comme amical par les client·es, le personnel de contact doit tout d’abord se montrer accueillant et mettre à l’aise les client·es. Ensuite, un comportement conversationnel pourra rendre également le service plus agréable, et cela même si la conversation peut paraître superficielle lorsqu’elle concerne la pluie et le beau temps. L’employé·e peut aussi, dans certains cas, se montrer plus informel·le en tutoyant et en appelant les client·es par leur prénom. Mais cette informalité ne plaît pas toujours à tou·tes les client·es. Il faut donc l’utiliser avec précaution et tact. Enfin, quand la relation de service le permet, l’employé·e peut également utiliser son sens de l’humour et lancer quelques plaisanteries qui pourront chercher à faire éclore quelques sourires.

En se tournant vers l’avenir, l’un des principaux défis des entreprises de service de demain sera de trouver comment garder le contact humain et nouer des relations amicales avec ses client·es, dans un contexte commercial qui s’automatise et se robotise de plus en plus. Les livraisons à domicile et le click & collect se développent, alors que le temps d’interaction face-à-face se réduit. Dans un environnement en pleine mutation technologique, certains secteurs se numérisent plus vite que d’autres. Les interactions virtuelles et à distance deviennent désormais la norme plutôt que l’exception. Les employé·es interagissent de plus en plus souvent avec les client·es via des outils numériques. L’amicalité pourrait donc être amenée à se digitaliser au travers des nouveaux moyens de communication par courriel, chat, réseaux sociaux et messagerie instantanée, voire les robots de service.

 

Notre expert Olivier Furrer est professeur ordinaire à la Chaire de marketing de l’Université de Fribourg.

olivier.furrer@unifr.ch

Notre experte Mélanie F. Boninsegni vient d’obtenir son doctorat à la Chaire de marketing de l’Université de Fribourg et exerce comme professeure assistante en marketing à l’IPAG Business School, Paris.

m.boninsegni@ipag.fr