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Retraites en ligne: les réseaux sociaux au service de l’accompagnement spirituel

Si les communautés religieuses catholiques encouragent plutôt à la sobriété dans l’usage des réseaux sociaux, depuis plusieurs années certaines d’entre elles proposent des retraites en ligne (Avent, Carême), avec la possibilité de vivre un accompagnement spirituel personnel. Enjeux de ces offres qui connaissent un franc succès.

© stemutz

Cela fait une vingtaine d’années que se vivent des retraites spirituelles en ligne, depuis que, en 2000, les jésuites de «Notre-Dame du Web» ont inauguré cette pratique inédite (http://www.ndweb.org/). Elles correspondent parfaitement à la vocation de la spiritualité d’Ignace de Loyola, destinée à offrir des «exercices spirituels» pour tous, tant dans les centres ignaciens que dans la vie. Depuis lors, de telles suggestions numériques n’ont cessé de fleurir et leur boom ne faiblit pas.

 

Cheminement global

Les «cyber-retraites» lors des temps forts de l’année liturgique (avant Noël et avant Pâques) proposent des éléments pour tous les sens: une méditation sur la thématique, une image à contempler, des pistes pour prier personnellement à partir d’un texte de la Parole de Dieu, un chant, une musique, des exercices pratiques, un texte pour poursuivre la réflexion, des fonds d’écran, etc. Les retraitants ont la possibilité de partager sur le réseau leurs questions, leurs découvertes… Une boîte aux lettres spéciale, lue seulement par les animateurs de la retraite, permet d’obtenir des réponses à des interrogations plus personnelles.

La spécificité de cette approche est de faire jouer toutes les dimensions de l’être, en correspondance avec la pédagogie d’Ignace: le corps, les émotions, le cœur et l’âme sont convoqués en un cheminement spirituel intégral et incarné. Les nouveautés apportées par ces démarches consistent dans le fait qu’elles touchent des destinataires «aux périphéries» (selon le vocabulaire du pape François) des activités ecclésiales, paroissiales ou religieuses habituelles. En outre, elles permettent à celles et ceux qui s’y intéressent de les suivre à leur rythme, même si une certaine régularité est conseillée. Enfin, elles donnent l’occasion à des personnes de s’adresser à des religieuses et religieux, à des laïcs engagés et à des prêtres, ce qu’elles n’auraient sans doute jamais osé risquer dans la vie courante.

 

Redécouvrir la méditation chrétienne

Des couvents carmes font des suggestions similaires (https://www.carmes-paris.org/retraite-en-ligne/) en mettant à la disposition de tous ceux qui le désirent les trésors de la mystique carmélitaine (Thérèse d’Avila et de Lisieux, Jean de la Croix, etc.). Les parcours balisés s’efforcent de rendre largement accessibles les chemins de l’intériorisation silencieuse, qui ne sont en rien «réservés» à une soi-disant élite spirituelle. Pour nos contemporains, si attirés par la méditation, souvent inspirée des religions orientales, puis mises à la sauce occidentale (méditation dite de «pleine conscience»), il s’agit là de voies privilégiées pour entrer dans les richesses de la méditation chrétienne qui, depuis deux mille ans, fait partie du bagage spirituel du christianisme, avec l’oraison silencieuse, la méditation de la Parole et la contemplation.

Mais c’est sans doute l’expérience menée par les couvents des dominicains de Lille et Paris qui recueille le plus d’échos avec, ces dernières années, jusqu’à 165'000 retraitant·e·s et près d’un million de visites chaque Carême ou Avent (https://www.retraitedanslaville.org/): textes et vidéos des méditations quotidiennes de l’Evangile et des conférences; offres de vêpres chantées; forum d’échanges où déposer des intentions de prière; blog-chats d’accompagnement personnalisé par un frère ou une sœur dominicains; applications mobiles sur Androïd et Apple; partages via les réseaux sociaux, etc. La spécificité de ces offres dominicaines, auxquelles se sont également associés des couvents de femmes comme celui d’Estavayer-le-Lac, est la démultiplication des accompagnements personnels, grâce à un grand nombre de religieux qui se mettent à disposition des chercheurs de Dieu.

 

Autour d’une foi incarnée

De pareilles propositions répondent aux besoins de gens isolés qui peuvent ainsi jeter «une bouteille à la mer» digitale. Paradoxalement, l’anonymat encourage souvent la confidence. Car il est plus aisé de se livrer en vérité à un accompagnateur que l’on ne voit pas et dont on reçoit ensuite l’avis «objectif». Cependant, il reste évident que de pareilles expériences virtuelles ne remplaceront jamais le dialogue face-à-face avec un guide spirituel, ni le partage d’un office, d’une célébration ou d’une rencontre avec une communauté réelle. D’ailleurs, les congrégations proposent aux retraitants sur le web qui le souhaitent des journées de rassemblement in vivo «week-ends au couvent» et il arrive que l’accompagnement sur le réseau se prolonge par un suivi spirituel en présentiel.

Le christianisme demeure la religion de l’incarnation, et les sacrements de l’eucharistie ou du pardon ne peuvent se vivre sur la toile. En outre, demeurons réalistes, ceux qui rejoignent les «retraites en ville» ont déjà franchi un certain nombre d’étapes, tant les algorythmes du web orientent les internautes. Reste que, comme le dit Benoît XVI, la spiritualité chrétienne conserve un fort potentiel d’humanisation, dans le contexte du tout numérique, et il convient d’y inculturer l’Evangile comme en un nouveau «continent».

Notre expert, l’Abbé François-Xavier Amherdt, est professeur ordinaire à la Chaire francophone de théologie pastorale, pédagogie religieuse et homilétique.
francois-xavier.amherdt@unifr.ch.