Portrait

Un balai à succès

Michel Simonet est sans doute le cantonnier le plus célèbre de Suisse, grâce à la fleur fraîche plantée sur sa charrette et à son best-seller Une rose et un balai. Rencontre à l’issue de sa tournée en Basse-Ville.

Si vous montrez à des habitants de Fribourg une photo de lui en habit de travail fluo, poussant sa charrette surmontée d’une fleur fraîche dans les rues de la Basse-Ville, ils s’exclameront: «Le balayeur à la rose!». Montrez le même cliché à des résidents français, et ils s’écrieront: «Ah oui, le cantonnier-écrivain!» Michel Simonet jouit d’une double renommée. Locale d’une part, car il s’est forgé dans sa ville une solide réputation de balayeur atypique. Nationale, et même internationale d’autre part, puisque son recueil de textes et poésies, publié en 2015, s’est déjà écoulé à quelque 34’000 exemplaires au total, dont 8’000 dans sa version allemande et 4’000 en France.

La rose, le livre et le balai sont donc les attributs qui collent aux baskets de cet employé municipal de 57 ans. Lorsqu’on s’attable en sa compagnie au Café des Arcades, situé dans sa juridiction professionnelle, il n’est néanmoins accompagné ni de l’une ni des autres. Il faut dire qu’il est 17h00 et que la tournée quotidienne de ce père de sept enfants est achevée depuis deux heures déjà. Par contre, il arbore toujours sa tenue de travail, dont la couleur orange fait ressortir le bleu glacier de ses yeux. Des yeux qui fondent aussitôt qu’on l’interroge sur sa célèbre rose. «C’est une idée qui m’est venue peu de temps après ma titularisation en tant que balayeur, il y a 33 ans, raconte-t-il de sa voix grave et posée de chanteur amateur. Je voulais montrer que la beauté est partout, qu’elle peut être associée même avec les ordures.» Dès que la fleur montre des signes de fatigue, il file lui chercher une remplaçante chez le fleuriste qui le sponsorise depuis toutes ces années.

15 kilomètres à pied par jour

Michel Simonet aime son métier de balayeur. Contrairement à d’autres «concierges de quartier» ou «hygiénistes du trottoir», comme il appelle avec humour les gens de sa profession, ce diplômé du Collège Saint-Michel ne s’est pas retrouvé dans la rue faute d’options. Après plusieurs années d’expérience professionnelle en tant que comptable dans une station de radio, ainsi que d’un équivalent propédeutique en théologie et en philosophie, il a délibéré-ment choisi de revenir à l’activité exercée à temps partiel durant ses études. «C’était une dé-cision d’ordre spirituel», explique-t-il. «Même si j’ai toujours été croyant et pratiquant, je n’ai jamais été tenté par un travail au sein de l’Eglise. Mon action, je l’envisage au cœur de la cité.» Michel Simonet rappelle que «le balayeur symbolise le bas de l’échelle sociale. Cela fait 33 ans que je tente de déconstruire ce symbole».

De l’avis du «balayeur à la rose», le métier de cantonnier n’a pas que des avantages d’ordre spirituel et symbolique. «C’est l’une des rares activités qui permettent à la fois d’avoir la tête libre et le corps occupé.» Les chiffres sont parlants: chaque jour, le quinquagénaire parcourt en moyenne une quinzaine de kilomètres à pied pour les besoins de sa tournée. «Mon record, c’est 23 kilomètres, un jour de neige!» Le soir, lorsqu’il va se coucher – tôt, puisque son réveil sonne chaque matin à 4h40 –, il est certes épuisé. Mais loin de l’abattre, l’effort physique semble galvaniser le Fribourgeois. Adepte de la course à pied, il a notamment bouclé Sierre-Zinal à sept reprises.

 

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Quand l’égalité naît de la perfection

Corps occupé, tête libre. «Il y a cinq ans, l’un des mes enfants m’a offert un smartphone. J’ai commencé à y coucher mes pensées, ainsi que les nombreuses anecdotes tirées de mon quotidien de balayeur.» C’est une compilation de ces notes griffonnées sous forme électronique qui constitue la colonne vertébrale de l’ouvrage Une rose et un balai. Mais attention, «je ne voulais pas me contenter d’un recueil d’anecdotes. Je me suis donné le temps de transformer en mots les enseignements, parfois quasi philosophiques, acquis durant mon parcours de concierge urbain». Au passage, Michel Simonet a «appris à écrire». Jusque-là, «j’étais certes un grand consommateur de livres, mais n’étais pas sûr d’être capable de passer de l’autre côté de la barrière». Trois ans plus tard, son livre a déjà fait l’objet d’une traduction en allemand (éditions Nydegg) et d’une publication française aux éditions de la revue Conférence. Un format poche sortira par ailleurs en 2019 dans l’Hexagone, où le recueil a été classé par la prestigieuse Académie Goncourt parmi les dix livres à dévorer durant l’été 2018.

Sans surprise, tous les regards se tournent désormais vers le prochain livre du «cantonnier-écrivain». S’il ressort sa plume, ou plutôt son smartphone, «ce sera pour parler d’une autre réalité, par exemple celle d’une famille nombreuse devant se contenter d’un salaire modeste», avertit-il. Le cas échéant, le Fribourgeois attendra d’avoir atteint l’âge de la retraite. «Tenter de concilier un travail à plein temps, une famille et l’écriture d’un livre est un vrai exercice d’équilibriste. J’ai parfois eu l’impression de me mettre en danger, d’autant que je suis quelqu’un de perfectionniste.» Ce perfectionnisme, il préfère le mettre pour quelques années encore au service de ses concitoyens. «De la perfection naît l’égalité. En offrant à tous les habitants de la Ville de Fribourg le même degré de propreté, on les met sur un pied d’égalité.»

 

Michel Simonet est l’auteur du recueil à succès Une rose et un balai, paru en 2015 aux éditions Faim de Siècle. Né en 1961 à Zurich, il a grandi en terre fribourgeoise, successivement à Morat et dans la capitale cantonale. Au bénéfice d’un diplôme commercial du Collège Saint-Michel et d’un équivalent propédeutique en théologie et en philosophie, ce père de sept enfants exerce depuis 33 ans le métier de balay­eur dans les rues de Fribourg.

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Film: Unicom, Christian Doninelli