Dossier

Ecole: lever le tabou LGBT+

Les discriminations faites aux élèves LGBT+ dans le cadre scolaire restent un thème tabou. Sylvain Genoud, en dernière année de formation à l’enseignement au Cycle d’orientation secondaire 1, s’y attaque dans son travail de master. Est-il possible de lutter contre la plus grande des violences, celle du silence? Rencontre.

En salle de classe comme à la récré, les insultes verbales fusent, faciles et traumatisantes, dans l’indifférence même de certains enseignants, voire de leur direction… De retour dans le cercle familial ou dans ses activités sociales, l’enfant LGBT+ ne trouvera guère d’oreille bienveillante dans une société fribourgeoise traditionnelle qui se nourrit, encore, de codes qui ont pourtant explosé. Car la réalité est là: des enfants, qui n’ont pas choisi la nature de leur orientation sexuelle – chassez le naturel, il revient au galop! – ou de naître bisexué, par exemple, souffrent. Intensément et en silence, à en développer, plus que d’autres, un profond mal-être, voire des élans suicidaires. Ce qui touche à une question de santé publique. Alors, là où l’Etat n’a pas encore agi, qui peut faire bouger les lignes?

Il est temps d’en parler

Sylvain Genoud, Gruyérien pur souche de 25 ans et féru de badminton, n’a que le revers et le smash meurtriers. De nature affable, il se destine à une carrière en cycle d’orientation(CO), avec comme disciplines d’enseignement les sciences de la nature, les mathématiques et la géographie. En dernière année de formation, il a eu à choisir un mémoire de master qui s’inscrive dans les programmes possibles pour les élèves en CO et s’en explique: «C’est un thème qui me tient à cœur. J’ai été témoin à plusieurs reprises de telles discriminations, lors de ma propre scolarité comme en stages d’enseignement. En plusieurs années, rien n’a changé, ni le mode discriminatoire, ni la violence subie. Il est temps d’en parler et de conscientiser les adultes de demain que des enfants, des ados peuvent être LGBT+. Et qu’ils doivent être acceptés comme tels, eux qui n’ont pas choisi leur identité sexuelle».

Mais LGBT+, de quoi et de qui parle-t-on? L’acronyme est récent, et touche aux notions d’attirance homosexuelle, de bisexualité et de transgenre (un genre ressenti différent de celui acquis à la naissance), le + permettant d’ouvrir à d’autres formes possibles. A Fribourg, rares sont les groupements à affirmer une telle identité. Les deux plus visibles et actifs, LAGO au sein même de l’Université de Fribourg et Sarigai, affichent plusieurs centaines de membres sur leur page Facebook respective. Mais du côté de Sarigai, on s’inquiète du silence de cette communauté. Le président de l’association, pourtant reconnue d’utilité publique, considère cette invisibilité comme un vrai problème. Si, à son avis, il y a – heureusement – peu de violences physiques et bien plus de pressions psychologiques, il pointe de récents ennuis de la part des autorités fiscales, et une «indifférence de la vie publique à l’égard de la situation de la communauté LGBT+. Ici, aucun politicien, et pas plus de médias, ne s’investit pour une question qui touche la communauté».

 

© STEMUTZ.COM

Patrik, 41, gay
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«Gelebte Diversität ist dann, wenn sie kein Thema mehr ist. In meinem Umfeld ist das erreicht, als Gesellschaft sind wir noch nicht am Ziel angelangt.»

Arrête de te taire!

Le Service de l’enseignement obligatoire francophone (SEnOF) offrant la possibilité de s’emparer d’un sujet de master traitant de santé à l’école, et la planification fribourgeoise du Plan d’Etudes Romand celle de présenter la Gay Pride, Sylvain Genoud a élargi la thématique avec une recherche ouvrant des pistes aux enseignants pour aborder la question LGBT+ avec des élèves de 12–16 ans, dans le cadre des – rares – cours d’éthique: «Il faut leur en parler. La puberté est un moment-clé dans la vie des élèves, c’est aussi le moment où ils découvrent leur sexualité. Au sein d’une classe il n’y a encore place que pour deux genres: les garçons et les filles. En sciences, le programme traitant de sexualité reproductive en est un exemple. Or, il y a potentiellement d’autres réalités biologiques: des enfants bisexués de naissance, d’autres asexués ou qui n’ont pas encore découvert leur identité homosexuelle et seront victimisés sans savoir pourquoi…». D’où le propos de son mémoire de master, sous la direction de la Docteure Pascale Spicher, psychologue FSP et lectrice en didactique, l’objectif étant de proposer aux enseignants un dispositif méthodologique sensé et sensible à mettre en œuvre auprès des publics concernés.

Le travail de Sylvain Genoud, en cours d’élaboration, s’attèlera à briser l’inéluctable catégorisation binaire selon les deux genres, à elle seule porteuse de violence pour les enfants concernés. Et le diplômant de rappeler qu’en Inde, et depuis peu en Australie, le passeport national laisse ouverte une troisième option à la question du genre, celle de «sexe neutre». Au-delà des informations documentées, il cherchera à établir une réelle formation d’idées: que les élèves puissent se faire leur propre avis, que cet apprentissage ouvre la porte à un changement de comportements. En effet, pour Sylvain Genoud, «c’est une maltraitance que de ne pas leur dire que ça existe. Et il faut ouvrir un ballon d’oxygène pour que les enfants LGBT+ arrêtent de se taire». Le silence est la pire des violences. Et d'évoquer un cas récent et encore inexpliqué de suicide d’une jeune fille dans un CO, plusieurs indices laissant ouverte la question de discriminations dont elle aurait fait l’objet au vu de son identité sexuelle. «Malheureusement, déplore le chercheur, bien des cas de violence liée à l’homophobie sont encore simplement occultés, sous couvert d’un pâlement officiel ‹Ceci n’arrive pas chez nous›»!

Le salut vient du Nord

Du côté de la Direction de la santé et des affaires sociales (DSAS), on a élaboré une stratégie cantonale «Perspectives 2030» pour promouvoir la santé, également psychique, «avec la participation de chaque acteur sociétal et résidant du Canton de Fribourg»; mais la proposition faite aux enseignants par Sylvain Genoud répondra peut-être à une lacune, la communauté LGBT+ n’y étant pas associée. Et ceci même si la DSAS relève que le plan d’action de sa Stratégie jeunesse «Je Participe», toujours en discussion, prévoirait un axe de sensibilisation à l’identité sexuelle. Enfin, on peut se réjouir que certaines positions officielles évoluent, comme celle du Conseil national qui, sous l’impulsion du Valaisan Mathias Reynard, s’est montré favorable, en septembre 2018, à l’introduction de la notion de l’identité de genre dans une initiative parlementaire visant à protéger à même le Code Pénal la communauté LGBT+ contre les discriminations.

Mais c’est ailleurs qu’il faut chercher des exemples d’ouverture encourageants: dans les belles et froides contrées du Nord. Au Québec, l’Assemblée nationale a adopté, en 2012 déjà, une Loi 56 visant à prévenir et combattre l’intimidation et la violence à l’école, incluant les discriminations contre les élèves LGBT+. Des cours d’éthique ont également été développés pour que les jeunes puissent développer les valeurs de respect des autres, d’appréciation de la différence et de tolérance. Quant aux jeunes Suédois, ils bénéficient trois fois par an d’une semaine de sensibilisation qui leur permet, entre autres sujets, de s’informer sur la thématique LGBT+ et de se forger un esprit d’ouverture en la matière.

S’inspirant de ces modèles positifs, les propositions émises par Sylvain Genoud feront peut-être office de précurseur dans le Canton de Fribourg, voire ailleurs en Suisse. A vérifier après l’été 2019, lorsque ses collègues du corps enseignant auront eu loisir de se positionner sur sa démarche et de jouer ce match-là avec lui.

 

Notre expert Sylvain Genoud est gruérien de 25 ans, est président du Club de badminton de Bulle. Sensibilisé à la cause LGBT+ dès sa scolarité, puis lors de ses stages en CO, il se réjouit de porter cette thématique dans les salles de maîtres et plus tard, pourquoi pas, en politique également.

sylvain.genoud@unifr.ch