Portrait

Des chiffres et du bouillon aux lettres

Une carrière dans la finance leur tendait les bras; plutôt que le complet-cravate, ils ont préféré enfiler un tablier. Ben & Léo, tous deux diplômés en sciences économiques de l’Unifr, ont ouvert trois restaurants en trois ans, dont le Café de la Fonderie, qui ne désemplit pas.

Une carrière dans la finance leur tendait les bras; plutôt que le complet-cravate, ils ont préféré enfiler un tablier. Ben & Léo, tous deux diplômés en sciences économiques de l’Unifr, ont ouvert trois restaurants en trois ans, dont le Café de la Fonderie, qui ne désemplit pas. Le rendez-vous étant fixé à 13h30, on s’attend à voir débarquer d’abord Léonard Gamba, le commercial du duo. Le cuisinier, Benoît Waber, on l’imagine encore derrière les fourneaux, face aux dernières commandes. C’est le contraire qui se produit: Ben vient s’asseoir (presque) ponctuellement à la petite table en bois brut située non loin du bar du Café de la Fonderie, tandis que Léo ne le rejoint que quinze minutes plus tard, les joues en feu. «Désolé, je sors de cuisine!», lance-t-il en parquant tant bien que mal ses longues jambes sous la table. Ce qu’on dit de ces deux-là est donc vrai, ils sont interchangeables!

«Etre capables de remplacer l’autre à tout moment nous permet d’avoir une demi-vie en dehors du travail. Sachant que certains restaurateurs n’en ont pas du tout, c’est déjà un luxe…», plaisante Léo, 27 ans. Mais attention, «cela n’empêche pas les champs d’activités d’être clairement répartis, intervient Ben, 29 ans. Si nous n’avions pas chacun nos responsabilités, notre amitié ne tiendrait sans doute pas le coup», analyse-t-il. Une amitié de plus de 20 ans, les deux jeunes hommes ayant grandi dans le même immeuble de Villars-sur-Glâne. Alors que le blond Léonard gère de main de maître le service et l’administration des trois établissements ouverts à Fribourg depuis 2016 – le Café de la Fonderie, le Cintra et le Kumo – son partenaire brun et barbu règne sur la cuisine.

50’000 francs pour démarrer

«J’ai beaucoup de chance d’avoir un chef qui a fait des études d’économie, sourit Léo. Ben a beau être extrêmement créatif en cuisine, il n’en oublie pas pour autant les contraintes budgétaires.» Car c’est bien l’une des particularités sur laquelle repose le succès colossal de leur restaurant bistronomique, leur gastrobar et leur bar à nouilles: leur parcours de formation pour le moins atypique dans la branche. L’art de la restauration, ils l’ont appris sur le tas, d’abord en lisant des magazines, en organisant des soirées culinaires dans un bar à vin et en proposant un service de chefs à domicile. Puis en participant à la téléréalité française Masterchef. Ce n’est qu’une fois leur bachelor universitaire en poche (économie politique pour Ben, gestion d’entreprise pour Léo), que les dynamiques vingtenaires se sont lancés dans de «vrais» cursus culinaires. Tandis que Ben fréquentait l’Institut Paul Bocuse, à Lyon, son meilleur ami suivait les cours de l’Ecole Alain Ducasse, à Paris. «L’avantage quand on vient de l’amateurisme, c’est qu’on est habitué à bricoler en cuisine, à se contenter d’un équipement minimal, analyse Ben. Lorsque nous avons décidé de lancer le Café de la Fonderie, nous avions 50’000 francs de budget, que nous étions parvenus à économiser grâce à notre service de chefs à domicile, pour lequel nous ne nous versions pas de salaire. Dans la branche, 50’000 francs, ce n’est rien!» Certes, ils auraient pu contracter un emprunt bancaire. «Mais nous tenions à garder une totale liberté, tout en prenant le moins possible de risques financiers.»

La philosophie Ben & Léo n’a pas changé depuis: «Pour nous, il serait impensable de nous endetter à notre âge. Chaque franc gagné est réinvesti dans nos restaurants. Au Café de la Fonderie, tout nous appartient, sauf le bâtiment», précise Léo avec une lueur de fierté dans le regard. «S’équiper petit à petit a du bon, renchérit Ben. A chaque nouvel appareil, nous nous sentons un peu comme des enfants qui auraient reçu un gros cadeau de Noël!» Au niveau gestion d’entreprise, cette philosophie fait également sens. «Le monde de la restauration a changé. Avant, on ouvrait un établissement pour une vie. On pouvait donc le rentabiliser sur plusieurs années. Désormais, la mode est aux enseignes éphémères. Il faut rentrer dans ses frais beaucoup plus rapidement!», commente Léo.

Fribourg mon amour

Ce sens des réalités économiques sous-tend constamment le discours des deux complices. De là à penser que Ben & Léo sont tombés dans la marmite de la restauration par intérêt pécuniaire, il y a un pas à ne pas franchir: «Si nous avions voulu devenir riches, nous travaillerions dans la finance!», rigole Ben. Non, ces deux-là mettent tout simplement leurs affinités avec le business au profit de leur passion. A la question «Vu votre succès, pourquoi n’ouvrez-vous pas des restaurants ailleurs, par exemple dans de plus grandes villes?», ils répondent du tac au tac: parce qu’ils connaissent Fribourg comme leur poche. «Nous savons exactement ce qu’il y manque, quels sont les goûts et le budget de notre clientèle, précise Ben. Mais aussi, bien sûr, parce que nous adorons Fribourg, ainsi que ses habitants agréables et simples, complète Léo. Nous avons envie de les initier à de nouvelles saveurs, de les faire sortir de leur zone de confort culinaire.» Il suffit d’observer le regard pétillant qu’affichent les deux amis pour deviner qu’ils ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. «Nous avons encore des tas d’idées pour la place fribourgeoise», admettent-ils.

 

Benoît Waber et Léonard Gamba, alias Ben & Léo, sont deux jeunes restaurateurs fribourgeois de respectivement 29 et 27 ans. Leur navire-amiral ouvert en 2016, le Café de la Fonderie, affiche 14 points au Gault et Millau. A côté de ce restaurant bistronomique, les deux diplômés en sciences économiques de l’Unifr gèrent le gastrobar Cintra et le bar à nouilles Kumo. Après s’être fait une réputation locale en organisant des soirées culinaires dans un bar à vin, puis en proposant un service de chefs à domicile, Ben & Léo ont acquis une notoriété nationale (et internationale) en participant à l’émission de téléréalité française Masterchef. Leurs classes culinaires, ils les ont faites respectivement à Lyon (Institut Paul Bocuse) et à Paris (Ecole Alain Ducasse). Depuis l’automne 2018, ils animent l’émission hebdomadaire «Bon App!» sur la RTS.

Photos: STEMUTZ.COM