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Comment le cancer a-t-il commencé? Caio, 12 ans

«Le cancer a toujours existé. Il est intrinsèque au fonctionnement des cellules qui forment nos tissus et organes», explique d’emblée Curzio Rüegg, professeur de pathologie. Une réponse nette pour une maladie qui l’est beaucoup moins.

«Le cancer a toujours existé. Il est intrinsèque au fonctionnement des cellules qui forment nos tissus et organes», explique d’emblée Curzio Rüegg, professeur de pathologie. Une réponse nette pour une maladie qui l’est beaucoup moins.

 

Aujourd’hui, le cancer est un fléau qui provoque, dans 50% des cas en moyenne, la mort de la personne qui le contracte. «Tout commence par un infime changement dans les gènes, ces porteurs d’information enfouis dans nos chromosomes», explique le Professeur Rüegg. Cette mutation est causée pas des erreurs de copie lors de la division cellulaire. Habituellement faible, ce taux d’erreur peut fortement augmenter, lorsque la personne est exposée «à des agents toxiques comme la radioactivité, les rayons ultraviolets ou la fumée». Imaginons le mode d’emploi d’un lave-vaisselle, dans lequel le terme sel régénérant serait remplacé par huile de moteur: «la modification des instructions va provoquer un dysfonctionnement.» En l’occurrence, la cellule va commencer à se diviser de façon incontrôlée. «C’est cette multiplication trop importante des cellules qui constitue le signe central du cancer, aussi appelé tumeur maligne.» Dans certains cas, cette tumeur reste localisée dans sa zone d’origine. «Mais il se peut aussi que les cellules cancéreuses envahissent les tissus voisins, voire migrent dans une autre partie du corps. On parle alors de métastases.»

 

Ennemies numéro un, les métastases

Curzio Rüegg donne l’exemple tristement célèbre du cancer du sein: un nodule faisant mine de se cantonner à la poitrine finit par se propager au poumon et former des métastases. «Dans la plupart des cas, ce n’est donc pas la tumeur d’origine qui pose problème mais les métastases, beaucoup plus difficiles à traiter.» Au fond, sur la multitude de cancers existants, il y en a peu qui – à l’image de ceux du foie, du cerveau ou du pancréas – sont mortels dans leurs organes d’origine. Sans surprise, l’une des questions centrales de la lutte contre le cancer est de comprendre pourquoi et comment une cellule devient métastasique. «Mais la recherche n’est pas encore assez avancée sur la question.» En Suisse, on recense quelque 16’000 morts liées au cancer chaque année. En 2014, ce chiffre représentait environ le quart des décès du pays, derrière les accidents cardiovasculaires (33%), mais devant la démence, selon l’Office fédéral de la statistique. A noter que, chez les femmes, les cancers les plus fréquents sont ceux du sein, du colon et du poumon. Chez les hommes, ce sont les cancers du poumon, de la prostate et du colon qui prédominent.

 

© Jan von Holleben
Déjà connu dans l’Antiquité

Etant donné les ravages provoqués par le cancer, il n’est pas étonnant d’apprendre que les hommes cherchent depuis fort longtemps à percer à jour ses mécanismes et à le combattre. «On sait que dans la Grèce et la Rome antiques, cette pathologie était déjà connue», explique le professeur de l’Unifr. Le médecin grec Galien la croyait due à un état de mélancolie dit de ‹bile noire› mais on ne savait ni d’où elle venait, ni en quoi exactement elle consistait.» Il faut attendre la deuxième moitié du XIXe siècle et les premiers pathologues équipés de microscopes, pour réaliser «que le problème se situe dans les tissus, en lien avec une modification des cellules». Cent ans plus tard, après la seconde Guerre mondiale, «on est parvenu à cultiver les cellules cancéreuses, ce qui a ouvert la porte à la découverte des oncogènes», à savoir la catégorie de gènes qui, une fois mutés, favorisent l’apparition des cancers. «A partir de là, tout s’est accéléré: la biologie moléculaire dans les années 1970, puis le séquençage du génome en 2001, nous ont donné une vision très détaillée du cancer.»

En ce qui concerne la lutte contre cette maladie, Curzio Rüegg explique que «dans l’Antiquité, on essayait déjà d’enlever les lésions grâce à des interventions chirurgicales». Mais les premiers traitements basés sur des données scientifiques datent de la fin du XVIIIe siècle. «Le cancer du sein fut l’un des premiers à être traité par opération, mais avec des conséquences destructrices, car on enlevait beaucoup trop de tissus.» La chirurgie demeure la méthode dominante pour venir à bout des tumeurs malignes jusqu’à la moitié du XXe siècle. Puis vient la radiothérapie. «Cette méthode, basée sur les rayons X, comportait alors d’importants effets secondaires sur les tissus et organes adjacents.» Mise au point dans les années après-Guerre, la chimiothérapie va, pour sa part, se généraliser dans les années 1970. Là aussi, les désavantages sont non négligeables: «Il s’agit d’une thérapie ‹aveugle› qui ne cible pas uniquement les cellules tumorales, mais également les tissus sains qui se régénèrent continuellement, comme les cheveux, le sang ou les muqueuses.»

 

Depuis, la recherche a encore avancé. Outre celle des chimiothérapies plus ciblées, les spécialistes ont commencé à explorer d’autres voies, dont l’immunothérapie. Plutôt que de détruire la tumeur, on cherche à réveiller le système immunitaire, afin d’inciter le corps à se défendre contre la maladie. «Parallèlement, on travaille de plus en plus en amont», précise le médecin. Il s’agit notamment de prévenir les cancers (par exemple en agissant sur l’alimentation et le style de vie) ou encore de les détecter lorsqu’ils sont à un stade précoce et bien délimité. «La recherche progresse, certes à petits pas, mais elle progresse.» Dans un laboratoire du Département de médecine de l’Université de Fribourg, une quinzaine de chercheurs réunis autour de Curzio Rüegg étudient la façon dont les cancers du sein et du colon forment les métastases. «Nous explorons notamment la possibilité ‹d’endormir›, les cellules cancéreuses déjà disséminées afin qu’elles ne forment pas de métastases.» Dans un laboratoire voisin, le Professeur Beat Schwaller et son équipe se concentrent sur le cancer du poumon lié à l’amiante, «un triste exemple de cancer largement causé par l’activité humaine».

 

Notre expert Curzio Rüegg rejoint l’Unifr comme professeur de pathologie en 2009. Il a été président du Département de médecine et est co-directeur du programme NCCR en matériaux bio-inspirés depuis 2014. Sa recherche porte sur le cancer du sein et du colon, spécifiquement sur le rôle de l’inflammation, les mécanismes de la métastase et la résistance aux thérapies. Il est également cofondateur d’une entreprise active dans la détection précoce du cancer.

curzio.ruegg@unifr.ch